MINI-SERIE - Les Hauts de Hurlevent (2009)
Ou plutôt les bas...
Par Emilie Flament • 17 février 2010
Les britanniques ont beaux être les spécialistes de l’adaptation, toutes leurs œuvres ne se valent pas. En 2009, la chaîne ITV a diffusé une nouvelle version des célèbres « Hauts de Hurlevent (Wuthering Heights) ». Malheureusement, ce n’est toujours pas la bonne.

Souvent qualifiée d’inadaptable, « Les Hauts de Hurlevent (Wuthering Heights) » a surtout connu des versions cinéma. Seules 2 adaptations TV, une en 1962 et une très « libre » par MTV en 2003 (à oublier !), sont à décompter. ITV a donc voulu combler ce manque tout en concurrençant les grands succès du même style BBC. Peter Bowker, le scénariste de « Blackpool » et de « Desperate Romantics » a été choisi pour cette tâche. Il nous livre une version très personnelle (peut être trop) de l’œuvre...
 

Une vision partielle et sombre

130 minutes au total. Autant dire qu’il n’y a pas de temps à perdre dans cette adaptation. Aucun temps mort donc, aucun moment perdu, on va à l’essentiel, ou du moins aux points clefs. Mais cela ne suffit malheureusement pas à installer l’histoire. Cette version oublie totalement une part énorme du roman : Heathcliff et Catherine s’aiment. Toute cette première partie du roman est tellement traitée rapidement que cette passion dévorante ne trouve pas naissance. Très rapidement après l’établissement d’une aventure entre les 2 personnages, Cathy envisage la proposition en mariage d’Edgar. Après le départ d’Heathcliff, aucune transition ne nous montre l’état de Catherine, supposée être désespérée. On passe immédiatement au mariage avec Edgar (même si il a lieu 3 ans plus tard). Toute l’histoire manque de cohérence à partir du moment où on coupe son origine. Le jeu des acteurs n’est pas d’un grand secours : si Tom Hardy (Heathcliff) est immédiatement intense, Charlotte Riley (Cathy) est trop inégale et donne un coté « girouette » à son personnage.

Cette vision réductrice peut aussi être expliquée par l’approche de son scénariste. Quand il a été demandé à Peter Bowker comment on abordait une telle histoire d’amour, il a répondu qu’il ne la considérait pas comme une histoire d’amour, mais comme un récit sur la haine, les rivalités familiales, les conflits de classes, la perte de l’être aimé et la vengeance. Il préfère se concentrer sur les ravages de cette passion et sur cette violence transmise d’une génération à une autre. A partir de ses déclarations, on comprend mieux cette vision extrêmement sombre. Son adaptation ne comprend aucun moment de bonheur, même avant que cette passion devienne destructive.

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Pour accentuer l’ambiance tourmentée, l’adaptation est fortement teintée gothique. Emily Brontë s’était déjà beaucoup inspirée des contes gothiques du « Blackwood’s Magazine » que son père lui lisait et du personnage de Lord Byron lors de l’écriture. Le fantôme de Catherine qui le hante et la scène où Heathcliff ouvre la tombe de sa bien-aimée et s’allonge près de son squelette en témoigne. Bowker intensifie la mystification du personnage d’Heathcliff déjà souvent comparé à un démon. Le gipsy aux cheveux sombres et au teint mat du roman prend un coté vampire avec son teint gris, ces yeux sombres angoissant et ses longs cheveux noirs dans cette version.
 
 

Une narration bouleversée

Bowker a joué avec son cutter… littéralement ! Il a en effet disséqué le livre pour le reconstruire de façon chronologique, et non sous forme de flashbacks. L’adaptation débute tout de même avec Linton quittant de force Edgar agonisant pour vivre avec son père et les plans d’Heathcliff pour obliger la jeune Cathy à épouser son fils. La présence de Cathy à Wuthering Heights rappelle à Heathcliff celle de sa mère à son arrivée plus de 30 ans plus tôt. Le reste est chronologique jusqu’à la mort de cette dernière, puis on reprend au mariage de la jeune Cathy et Linton. En démarrant avec cette haine entre Edgar et Heathcliff, Bowker espère pousser le spectateur a chercher l’origine de cette hostilité entre ces 2 hommes et donc à entrer plus rapidement dans le sujet.
Le personnage de Lockwood, narrateur initial, a simplement été supprimé, tout comme l’aspect narratif de Nelly. Par conséquent, la subjectivité de la vision de ces 2 personnages sur l’histoire est perdue. En rendant le téléspectateur directement témoin de la cruauté d’Heathcliff, la violence de la situation est encore plus grande et l’impact plus marqué. La distance qui « protégait » le lecteur a ici disparu.
 

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Des choix inexpliqués

Dans le roman, l’action se déroule entre 1771 et 1803. Bowker a choisi dans son adaptation de la situer entre 1801 et 1848. Pourquoi ? Mystère. A part un ajout, le livre « Ivanhoé », transmis à Cathy le jour de son anniversaire, qui n’a été publié qu’en 1819, aucun élément n’est donné dans la version pour expliciter ce choix.
Autre point marquant, les protagonistes ont été vieillis. Dans l’œuvre de Brontë, Cathy et Heathcliff sont des adolescents lorsqu’ils tombent amoureux. Ici, ce sont de jeunes adultes d’une vingtaine d’années. Deux conséquences à ce choix. D’abord, les 3 ans d’attente entre la proposition et le mariage de Cathy et Edgar n’ont plus aucun sens. Dans le roman, Cathy est trop jeune (15 ans) et fait encore le deuil de son père. Elle attend ses 18 ans pour épouser Edgar. Dans la version de Bowker, un tel décalage n’a plus de sens. Ensuite, cette maturité entraine une sexualisation de leur histoire, initialement platonique. Heathcliff est le premier à posséder Cathy. D’ailleurs, lors de leurs retrouvailles, Il la repousse parce qu’elle s’est donnée à Edgar, pas parce qu’elle l’a épousé. L’ensemble donne un coté plus primaire, quasi bestial, à leur relation qui sert plutôt bien la vision du scénariste.
A noter, le suicide d’Heathcliff remplace en partie sa lente agonie, avec en conséquence directe, l’impossibilité de l’enterrer dans un lieu consacré. L’image finale des 3 tombes, Heathcliff, Cathy et Edgar, côte à côte, est donc supprimée.

Post Scriptum

« Les Hauts de Hurlevent (Wuthering Heights) »
D’après le roman de Emily Brontë
2 épisodes, de 80 et 50 minutes
Version de 2009 pour ITV, avec Charlotte Riley et Tom Hardy
Adaptation : Peter Bowker
Réalisation : Coky Giedroyc
Inédit en France