MINI-SERIE - Sparkhouse (2002)
L’étincelle de la passion
Par Emilie Flament • 28 février 2010
Qualifier une adaptation de libre signifie qu’elle ne reste pas tout à fait fidèle au roman. Les puristes y trouvent rarement leur compte. Mais le plus important n’est-il pas de respecter le fond et les intentions de l’œuvre plutôt que sa forme souvent marquée par l’époque de son écriture ?
En ce sens, « Sparkhouse » réussit où beaucoup de versions plus traditionnelles [1] échouent : l’histoire de Carol et de Matthew a la passion, les obstacles et la frustration nécessaires au rendu de l’œuvre d’Emily Brontë.

Avec un casting impeccable qui donne réellement à la version tout son écho, « Sparkhouse » est une petite bulle d’émotions extrêmes qui ravira les âmes sensibles... même si les mouchoirs seront de sortie car Sally Wainwright n’a pas été jusqu’à en faire un "happy-end" ! Petite mise en garde aux fans de Richard Amitage : le look fermier avec une choucroute sur la tête risque de vous marquer à vie (vous ne le regarderez plus dans « [MI-5] (Spooks) » de la même façon) ! Si ce traumatisme ne vous fait pas peur, cette adaptation est à voir absolument.
 

Dans le venteux Yorkshire

Tout comme dans l’œuvre originale, l’action se déroule dans les landes du Yorkshire, au milieu des bruyères, de la pluie. Carol vit à Sparkhouse, une des dernières fermes non abandonnées dans la région. Elle y vit avec son père, une brute sans éducation, sa mère, qui mettra rapidement les voiles au début de la série, et sa sœur Lisa, qu’elle essaie de protéger de la violence du paternel. Sur la colline d’en face habitent Andrew et ses parents, l’exemple parfait de le famille de classe moyenne, bien éduquée, propre sur soi, un peu hautaine.
Pourtant, depuis leur enfance, Carol et Andrew sont inséparables. Ils s’aiment contre toute attente, d’un amour fou. Carol s’y investit totalement. Andrew l’aime, mais a du mal à s’opposer à ses parents qui refusent qu’il la voit. Cette passion est palpable dès les premières minutes de cette version. Elle est vivante, vivace, viscérale...grâce à l’écriture de Sally Wainwright et surtout grâce aux deux interprètes principaux, Sarah Smart et Joe MacFadden. Et c’est là le point clef de l’histoire : Carol et Andrew s’aiment, Heathcliff et Cathy s’aiment... si ce n’était pas le cas, rien ne se passerait !
Au passage, la mise en abîme de l’histoire d’Heathcliff et de Cathy est accentuée par plusieurs scènes où les protagonistes lisent le livre de Brontë, aussi bien dans leur jeunesse que lors de la prise de conscience d’Andrew en fin de série. Ce livre définit tout leur référentiel en matière d’amour. Seuls les grandes déclarations sont reprises ("I’m Heathcliff", "I can’t live without my soul") accentuant le fait que les protagonistes ne perçoivent que l’entièreté des sentiments dans cette histoire et non son tragique.

Heathcliff au féminin

Le plus grand bouleversement de cette version prend place dans le choix du Heathcliff : c’est une femme, Carol. Bien entendu, l’ensemble des personnages s’en trouve bouleverser : Cathy s’incarne en Andrew, qui reviendra vivre avec sa femme et leur enfant chez ses parents. Pourquoi inverser le sexe des personnages principaux ?
D’abord, Sally Wainwright veut surtout surprendre, l’extrémité du personnage d’Heathcliff étant plus difficile à imaginer sous la forme d’une jeune femme. Et surtout, elle cherche à l’humaniser : Carol est une guerrière, elle a beaucoup souffert, surtout à cause de son père. Elle n’a jamais rien eu dans sa vie, à part Lisa et Andrew. Tout se base sur eux, et elle est prête à tout pour conserver cette unique bouée de sauvetage. Et elle porte cet énorme secret, ce poids qui l’empêche de partir et de vivre sa vie : ce viol par son père qui fera d’elle la mère de Lisa : elle ne peut quitter la maison et abandonner sa fille, elle n’arrive pas à se donner à Andrew, elle ne peut révéler son rôle à Lisa. Andrew est le seul à qui elle l’ait dit et le lendemain, il l’a abandonnée. La rancune n’en sera que plus forte.

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La modernisation des grands thèmes du roman

« Les Hauts de Hurlevent » parle d’une histoire d’amour, contrariée notamment par des barrières sociales, qui se transforme en torture pour ces deux amoureux perdus dans leur souffrance et dans leur vengeance. Sally Wainwright réussit à transposer ces éléments à notre époque. On oublie le frère adoptif persécuté par le frère de sang. Si les origines sociales de Carol sont toujours un obstacle à leur relation, le persécuteur prend une dimension tout autre, en la personne du père de Carol, extrêmement bien interprété par Alun Armstrong.
Le comportement de notre "Heathcliff" est est plus justifié que dans le roman. La dimension mystique du personnage est exclue. Carol n’est pas un "démon", c’est une femme entière mais blessée qui essaie de survivre. Carol a 2 niveaux de réponses : vers ses 18 ans, lorsqu’Andrew annule leur projet de mariage ou lorsqu’il ramène Tessa chez lui, ses réactions sont d’une extrême violence (la destruction de la voiture, la pendaison du chien). Ses pulsions incontrôlables sont imputables en grande partie aux maltraitances qu’elle subit de son père : elle ne connaît que cette réaction, elle les subit depuis des années et n’arrive pas à y échapper. A son retour, ses pulsions ont disparues. Sa vengeance est surtout concentrée sur son père. Son comportement par rapport à Andrew et à sa famille n’est pas foncièrement méchant, elle essaie plus de se protéger que de nuire. Même son mariage avec John n’a pas pour but de blesser Andrew ou John. Elle est honnête sur ses intentions : sauver la ferme et éviter de retomber dans la misère. Leur histoire relève plus du tragique que de la vengeance. L’adaptation s’arrêtant à la mort d’Andrew, les impacts sur la seconde génération sont complètement absents, ce qui semble logique puisque l’on imagine mal Carol se vengeant du suicide dont elle est la principale responsable.

Post Scriptum

« Sparkhouse »
Adaptation libre du roman « Les Hauts de Hurlevent » de Emily Brontë
3 épisodes de 60 minutes
Diffusé en 2002 par BBC, avec Sarah Smart, Joe MacFadden et Richard Armitage
Adaptation : Sally Wainwright
Réalisation : Robin Sheppard
Inédit en France