SCALP - Saison 1
Kerviel m’a (presque) sauver
Par Dominique Montay • 13 janvier 2009
Le réalisateur de « J’irais au paradis car l’enfer est ici » offre à Canal une série inégale mais qui montre de belles promesses...

« J’irais au paradis car l’enfer est ici » était assez bluffant. Une histoire prenante, des personnages carrés, charismatiques, servis par des seconds rôles de génie, le tout emballé dans une réalisation sérieuse et inventive. « Scalp » commence sur les mêmes bases.

We are the champions

1991. Pierre est un trader. Un très bon trader, qui risque des fortunes tous les jours pour enrichir les plus riches, et lui, par la même occasion. Lorsque la série démarre, c’est pour se centrer sur lui, et sa déchéance. Il entamme une chute vertigineuse, celle imaginable d’un homme qui joue au monopoly avec l’argent des autres. Lâché par ses amis, ses collègues, il va tout perdre en deux jours, à cause de la déclaration de guerre des USA en Irak.

Si on souffre d’un problème de point de vue sur ce pilote, il n’en reste pas moins habile, et à l’identique de J’irais au paradis car l’enfer est ici, très inspiré du cinéma de Martin Scorcese. L’avantage majeur de ce pilote, c’est de se mettre du point de vue de quelqu’un qui prend l’eau parce que, soyons honnêtes, le trading, on y comprend rien du tout. Et personne ne nous l’explique (du moins dans le pilote). Au milieu de tout ce bruit et ces mouvements, on se retrouve aussi perdu, largué que le personnage central.

Une belle brochette

La grande force de cette série réside dans le casting. Presque tous sont parfaits, mention spéciale à Eric Savin qui incarne Raphaël, un homme dans le secret des dieux (ses patrons, au courant de l’imminence de la guerre, vont lui demander de faire un maximum de dégâts pour ramasser le pactole et donc de flinguer les traders trop actifs, dont Pierre), gay absolument pas refoulé, partagé entre l’idée qu’il ne peut aider ses amis et qu’il est parfois condamné à les court-circuiter, et son professionnalisme qui l’aide à balayer ses états d’âme.

Les autres rentrent dans la catégorie "des gueules du cinéma français dont on ne connaît pas le nom", mais qui mériteraient qu’on les connaisse. Edouard Montoute (on y reviendra plus tard, mais son personnage permet presque à lui seul de lancer la série), Dan Herzberg, Gérald Laroche (excellent dans le rôle d’un financier de haute voltige totalement cynique), tous sont au niveau. Le passage de témoin entre Pierre (qui se suicide au terme du pilote), et Alex, sa femme (qui va récupérer toutes ses dettes), ne fait pas baisser la qualité du personnage principal. Tous très bien écrits (même les rôles en retrait ont bénéficiés d’une caractérisation forte, Wizard, en tête, joué par Luc Florian, sorte de pourrit fini gangréné par l’argent et incapable d’avoir une relation "humaine" avec ses colègues), très bien dirigés, et très bien interprété.

Et on est surtout contents de retrouver Laure Marsac. La belle jeune femme a eu une carrière des plus atypique. Révèlée au grand public pour avoir jouée une scène (nue) en compagnie d’Antonio Banderas dans « Entretien avec un vampire », elle a poursuivi son chemin coincée entre seconds rôles peu exposés et premiers rôles dans des films d’auteur obscurs. Elle a ensuite poursuivi dans une mouvance 100% télé. La revoir aujourd’hui dans un rôle fort, qui exploite sa prestance, son physique "petit format" et son potentiel dramatique est une vraie bonne suprise, même si elle n’est pas toujours la mieux servie du casting (un comble pour un personnage principal).

Cette dimension donnée aux personnages est un peu à l’égal de « Reporters ». Ils parlent un langage qui donne rarement l’impression d’être "écrit", sensation que l’on rencontre parfois au cinéma français, et presque systématiquement à la télévision. Donc vous n’aurez pas de "depuis que ma femme est morte, je ne vis plus que pour mon métier" en première réplique d’un personnage. Rien que ça, ça fait un bien fou.

Ca raconte quoi ?

Lorsque Alex, la femme de Pierre, se retrouve en dettes, la solution que les amis de Pierre lui offrent, c’est de travailler en bourse pour gagner un max d’argent, le tout sans dire qu’elle est la femme de Pierre Etcheverry, histoire de ne pas pousser ses nouveaux collègues à lui demander qu’elle paye les dettes officieuses de Pierre en plus des officielles. Simple. Via le personnage d’Alex, qui n’est absolument pas une initiée, on redécouvre, à partir du second épisode, le monde de la bourse, mais cette fois ci avec des personnages qui vont nous (lui) expliquer ses rouages. Soyons clairs, on n’y comprend pas grand chose, mais on est moins largué.

S’ensuit une série d’épisodes tantôt péchus, tantôt mal rythmés, qui souffrent (c’était déjà le cas dans « Reporters »), d’un manque de punch dans les fins d’épisodes. On a pas le savoir-faire concernant l’art du cliffhanger, ni pour faire monter la sauce, ni pour asséner le coup de grâce. Mais ce n’est pas le plus grand défaut de cette série.

Eventé

Comme dit plus haut, Alex ne doit pas dire qu’elle est la femme de Pierre. Très bien. Soit. Mais alors pourquoi, en plein milieu de l’épisode 5, Raphaël saute sur Jules en plein milieu des autres traders pour hurler qu’Alex et Pierre se connaissaient (en substance, Raphael lui reproche d’avoir dévoilé un secret concernant Pierre à Alex). Une monumentale incohérence, une bourde inexcusable, un de ces évènements qui peut vous donner envie d’arrêter de regarder une série. Encore, si c’était admis, si tout le monde réagissait en répercussion, mais non. Personne ne tilte. Un épisode plus tard, Alex est promue, et d’un coup, tout le monde sait qu’elle est la femme de Pierre. Quel était l’intérêt de garder ça secret si c’était pour bafouer, puis l’évacuer aussi simplement ?

Rues méchantes

« Scalp », c’est une série qui a les défauts comme les qualités de son auteur. Durringer est très habile pour poser des personnages, pour installer et offrir du charisme à ses comédiens. Par contre, son rapport au cinéma de Scorcese est parfois gênant. Même façon de décrire un environnement masculin et macho. Même rapport des personnages au pouvoir grisant de l’argent. On y retrouve, au delà des thèmes, des scènes calquées. La scène où la bande de pote sillonne Paris à dos de chameau fait écho à la scène du malfrat qui possède un tigre en cage dans « Mean Streets ». Celle où un des personnages planque de l’argent dans les couches de sa fille ramène à celle des « Affranchis » où Ray Liotta faisait de même avec de la cocaïne. L’utilisation du plan séquence dans l’épisode 6, celui où Alex entre dans le pit en tant que tradeuse s’inspire toujours des « Affranchis » quand Ray Liotta entre dans le Night-Club, inversant juste le rapport : Liotta est important est respecté, Alex est non désirée et toisée du regard.

On se repète, mais...

Canal a traité « Scalp » comme la plupart de ses productions maison, par-dessus la jambe. Pas de site dédié, peu de promo (sauf quand l’article élogieux de Libé est sorti), 2 épisodes par soirée... alors qu’on allait tout droit vers un inéluctable arrêt de la série, Durringer peut remercier un certain Jérôme Kerviel. Le trader français coupable d’avoir creusé un trou de la taille du grand Canyon dans les comptes de la Société Générale a mit un éclairage inattendu sur la série. Une seconde a donc été commandée, et, on l’espère, bénificiera d’une promo à la hauteur de celle de « Engrenages », encore que, on peut douter. A force d’avancer masquer, Canal gâche un bel outil. C’est noble de sortir des séries qui tournent autour de thèmes peu ou pas abordés à la télé française, c’est mieux d’éviter de ne pas donner l’impression d’en avoir honte.

Saison 1

Episode 1 : Chute Libre

Réalisation : Xavier Durringer
Scénario : Olivier Loustau, Xavier Durringer, Nathalie Hertzberg, Bruno Petit, Stéphane Kazandjian, Juliette Sales.

Raphaël apprend de ses supérieurs que le Koweit a été envahi, sans pouvoir en parler à ses amis. L’un d’entre eux, Pierre, qui a tout misé sur l’achat, se met en banqueroute. Endetté jusqu’au cou, il finira par se suicider, laissant sa femme, Alex, seule face aux dettes.

Problème de point de vue dans cet épisode. Le procédé rapelle celui de la série « Oz », qui se consacrait à un personnage destiné à mourir, mais moins habile. On ne comprend rien à la bourse, mais le talent de Thomas Jouannet aide à mieux ressentir emotionnellement sa chute. Mais ce pilote est extrèmement prévisible et manque de moments forts. Toutes les scènes de bourse se ressemblent, le rythme est mal maîtrisé, trahissant un manque de culture série chez les auteurs de la série.

Episode 2 : St-Martin

Réalisation : Xavier Durringer
Scénario : Olivier Loustau, Xavier Durringer, Nathalie Hertzberg, Bruno Petit, Stéphane Kazandjian, Juliette Sales.

Alex accepte la proposition des amis de Pierre de prendre un poste à Brongniart afin de gagner un maximum d’argent en un minimum de temps. Alex apprend que Pierre réalisait un grand nombre d’affaires frauduleuses en pratiquant l’évasion fiscale.

Les problèmes de rythmes sont ici encore plus flagrants. L’intrigue n’avance pas. La série subit son pilote. Tout est tellement montré dans ce premier épisode que toutes les révélations qui suivent ne sont une surprise que pour les personnages. Zéro satisfaction pour le spectateur, hélas, qui subira même un moment insupportable : Alex, assise sur une chaise longue, silencieuse, qui regarde dans le vide pendant 2 minutes. Une scène envisageable en fin d’épisode, afin de finir sur une note désenchantée et nostalgique, mais non, elle arrive en plein milieu. Et brise toute tentative de mettre du rythme.

Episode 3 : Péracor

Réalisation : Xavier Durringer
Scénario : Olivier Loustau, Xavier Durringer, Nathalie Hertzberg, Bruno Petit, Stéphane Kazandjian, Juliette Sales.

Premier jour d’Alex au palais Brognard, en tant que fichiste. Larguée, elle va trouver de l’aide avec Ziggy, meilleur "flasheur" du Pit, qui va lui apprendre les rudiments du métier.
Premier bon épisode de la série, qui gagne en intérêt grâce à l’intervention d’un de ses meilleurs personnages (et acteur) Ziggy (Edouard Montoute). Il sonne juste à chaque intervention, ses cours sont naturels et ne semblent pas être lus (son rythme de diction, ponctué par certaines hésitations, comme s’il cherchait ses mots afin de bien expliquer quelque chose qu’il connaît viscéralement est soit une idée géniale de direction, soit une fantastique intuition de comédien). Si Laure Marsac n’est pas toujours bien servie en dialogues et en situations, le cast masculin bénéficie d’une meilleure mise en lumière, illustrée à la perfection par le trio Herztberg-Savin-Montoute, qui rafle systématiquement la mise. Cet épisode n’y déroge pas.

Episode 4 : Mr Smith

Réalisation : Xavier Durringer
Scénario : Olivier Loustau, Xavier Durringer, Nathalie Hertzberg, Bruno Petit, Stéphane Kazandjian, Juliette Sales.

Alex remplace au pied levé le Boxman de Péracor, montrant de réelle qualités. Elle prend sa place.

Mr Smith, un nom stupide pour un informateur, surtout dans une série française, mais on passera. Les échanges entre Alex "Boxman" et son interlocuteur direct, le "Broker", gâchent l’épisode tant les scènes de ce dernier plombent le rythme par son jeu assez approximatif (pas évident de jouer "dans le vide") et une mise en scène poussive qui se concentre sur un simple champ-contrechamp.

Episode 5 : Argent Sale

Réalisation : Jean-Marc Brondolo
Scénario : Olivier Loustau, Xavier Durringer, Nathalie Hertzberg, Bruno Petit, Stéphane Kazandjian, Juliette Sales.

Alors que la guerre a été déclarée, la tension monte à Brongniard. Alex demande à Chapman de lui offrir un poste de Négociatrice Indépendante, poste qui n’a jamais été offert à une femme.

On ne va pas revenir sur la révélation foireuse de l’identité d’Alex sans que personne ne s’en rende compte. Le reste tient la route. Le personnage de Ziggy gagne en épaisseur et nous sert une scène assez tendre entre Ziggy, déclarant sa flamme à Alex, qui l’éconduit gentiment. Décidemment, Montoute mérite qu’on connaisse son nom, et pas seulement son visage.

Episode 6 : Golden Girl

Réalisation : Jean-Marc Brondolo
Scénario : Olivier Loustau, Xavier Durringer, Nathalie Hertzberg, Bruno Petit, Stéphane Kazandjian, Juliette Sales.

Alex devient NIP et se met en danger. Jouant son argent, elle tente le tout pour le tout afin de rembourser ses dettes. Elle n’a plus rien à perdre, c’est elle qui le dit.

Vraiment bon. Les scènes d’Hertzberg sont assez réussies, même si elles sont en marge. Son personnage a été viré et il entame une lourde déchéance, bien retranscrite. Marsac voit son personnage prendre de l’épaisseur (comme si les auteurs avait attendu cet épisode pour ça) et s’affirme. Un cliffhanger une fois de plus raté qui gâche un peu le plaisir.

Episode 7 : Addiction

Réalisation : Jean-Marc Brondolo
Scénario : Olivier Loustau, Xavier Durringer, Nathalie Hertzberg, Bruno Petit, Stéphane Kazandjian, Juliette Sales.

Alex trouve ses marques dans le PIT en amassant une grande quantité d’argent. Mais le succès la grise et elle fait plus confiance à sa capacité à "sentir le marché" que sur sa technique.

Un aperçu de ce qu’aurait pu être « Scalp » si la série avait été réellement pensée comme une série et pas un (très) long film. Soit une étude sur le travail dans cet univers (ici, l’unification des filles de Brongniard autour d’Alex, et les prémices d’une mixité dans le métier), avec comme fil rouge les dettes d’Alex et les raisons du suicide de Pierre. On regrette la façon dont est amené l’unification d’Alex et Laeticia autour d’un con qu’elles baffent à tour de rôle. On regrette aussi le montage qui enchaîne deux scènes qui ne se suivent pas de manière cohérente (une où Paul annonce qu’il reste un espoir à Alex de se refaire, puis une scène où Alex demande de l’argent à Picasso, un investisseur peu recommandable. Quand on sait que la solution de Paul n’est pas de rappeler Picasso, on se demande à quoi sert qu’Alex le contacte). On regrette encore l’allusion à Scorcese qui se fait ici de façon verbale et maladroite. On regrette enfin qu’après le meilleur cliffhanger de la saison, on nous colle une scène qui aurait pu être une superbe entrée en matière pour le dernier épisode. Encore une fois, la base est là, mais l’exécution laisse cruellement à désirer.

Episode 8 : Manipulation

Réalisation : Jean-Marc Brondolo
Scénario : Olivier Loustau, Xavier Durringer, Nathalie Hertzberg, Bruno Petit, Stéphane Kazandjian, Juliette Sales.

Alex et ses amis démarrent, en compagnie de 8 autres personnes travaillant dans le pit, leur plan de manipulation du cours.
Donc nous voilà à la conclusion. Inconscient ou non, la saison aura finalement calqué la structure d’« Oz » saison 1 (qui se termine sur une émeute raciale). 7 épisodes qui ont pour but de construire et légitimiser un dernier virtuose. Mais là où « Oz » faisait preuve d’un réél savoir-faire et réussissait à être captivant (aussi bien formellement que thématiquement), « Scalp » aura été beaucoup plus maladroit et hésitant. Si il n’y a presque rien à redire sur le gros morceau de l’épisode, c’est-à-dire le déroulement de la manipulation (hormis le risible "je dois passer un coup de fil anonyme mais la seule cabine téléphonique que j’ai choisie est occupée par un grand monsieur noir"), le final soulève un gros problème : pourquoi aucune piste n’est laissée en suspens pour une saison 2. Toutes les intrigues majeures semblent bouclées (exceptée le suicide de Pierre, dont tout le monde semble se moquer à la fin), mais pas les mineures (la séropositivité ou non de Raphaël, l’addiction de Jules). Encore une convention des séries qui vole en éclat, mais qui traduit plus cet éternel manque de savoir-faire qu’une réelle volonté de bousculer les régles. De plus, juste une fin d’épisode pour préparer ce final, c’est peu. L’idée de la manipulation aurait pu arriver avant, et le "recrutement" des 12 complices aurait pu à lui seul être au centre des épisodes, tant il paraît ici expédié.

On coupe

Une saison 1 inégale mais plus qu’honnête, un casting en béton et des dialogues qui sonnent souvent justes. Avec « Reporters », sûrement la série au plus fort potentiel de la chaîne, pour peu que Durringer coupe un peu le cordon avec Scorcese et embrasse enfin à 100% l’écriture "serielle" (et évite donc de mal maîtriser ses principes, comme ceux des cliffhangers, des twists ou encore corrige la structure malhabile de ses épisodes). On espère une belle saison 2 après une correcte saison 1, même si on se pose des questions.

Et si Canal s’était en fait trouvé devant une très bonne mini-série avant de vouloir la transformer en 8x52 ? Tout tend à le prouver. Certains épisodes semblaient tirer sur la corde, d’autres vivaient dans la redite des épisodes précèdents. Ce cruel manque de rythme et de tenue sur l’ensemble va dans ce sens. Ce reformatage, « Engrenages » saison 1 l’avait vécu avec les conséquences désastreuses que l’on connaît. « Scalp » s’en sort largement mieux.

Si jamais elle arrive, la saison 2 ne frappera pas les écrans de plein fouet avant 2010. Le temps pour les auteurs, en plus d’imaginer les raisons du retour du casting original (s’en séparer serait une grave erreur, tant il est bon, et même si on sait déjà que Laure Marsac ne sera pas de la partie), de penser « Scalp » comme un série, et pas comme un gros téléfilm morcelé.

Post Scriptum

SCALP
Canal+ / 7e Apache
Créé par Bruno Petit et Olivier Loustau.
Scénario : Olivier Loustau, Xavier Durringer, Nathalie Hertzberg, Bruno Petit, Stéphane Kazandjian, Juliette Sales.
Réalisation : Xavier Durringer et Jean-Marc Brondolo.
Avec : Laure Marsac (Alex), Eric Savin (Raphael), Dan Herzberg (Jules), Thomas Jouannet (Pierre), Edouard Montoute (Ziggy), Bruno Lopez (Paul), Annelise Hesme (Laetitia)