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Mais Pourquoi est-il si Méchant ?
Joey, ou la sitcom pas drôle
samedi 13 novembre 2004, par
Lorsque Friends s’est enfin achevé la saison dernière, avec de nombreuses storylines maintes fois répétées, des répliques à bout de souffle, des personnages tellement figés dans leurs mimiques qu’on devinait tout à l’avance, j’ai enfin pu souffler un soupir de soulagement.
Il est certes très dur de quitter des amis de longue date qui ont squatté NBC à coup de prolongation de contrats savamment orchestrées. Le prix de l’amitié, en quelque sorte.
La fin de saison s’est à contrario déroulée plutôt agréablement, vu le contenu relativement indigeste qui nous avait été servi pendant 3 longues saisons. Bien sûr, l’épisode final n’était pas parfait, mais tout ce qu’on souhaitait, au fond, c’était un éloge funèbre à la hauteur de notre attachement.
Et puis l’annonce avait été faite depuis longtemps, l’esprit de Friends n’allait pas complètement mourir, puisqu’une autre sitcom reprenant le personnage de Joey allait voir le jour. Joey s’installe à Hollywood, rejoint sa sœur (Drea de Matteo) et son neveu.
Avant même la diffusion du pilote, j’étais plutôt circonspect. Mais je voulais vraiment donner une chance à cette série. Et je continue d’ailleurs à le faire, puisque je suis là à bailler toutes les semaines devant chaque épisode.
Voilà, c’est dit, maintenant si je crache mon venin, on ne me comparera pas à Hobbes, j’espère !
Joey a toujours été un gars lourd. Avec le temps, on a pu développer une certaine tendresse avec son personnage. Oui, il est idiot et naïf, mais il a un cœur en or. Oui, c’est un dragueur de première, mais il n’a jamais maltraité les femmes. Oui il dévore tout sur son passage, mais…euh… il faut bien que quelqu’un finisse les plats. Et par-dessus tout, Joey est drôle.
Sauf que Joey n’évolue pas. Il reste un caractère extrêmement simple. La simple maxime « joey doesn’t share food » suffit à définir le tiers de sa personnalité, c’est dire à quel point ce personnage est limité. Centrer une série sur ce seul personnage est voué à l’échec, à moins d’avoir une liberté exceptionnelle dans les histoires.. Même pendant les dernières saisons de Friends, où Joey sauvait les épisodes du bide, on rigolait plus par réflexe sur les mêmes mimiques de base que sur les scènes elles-mêmes.
La règle de base d’une sitcom, c’est la coexistence de personnages extrêmement typés, et si possibles opposés, (Note à destination des Joey qui nous lisent : ça veut dire qu’ils s’affrontent).
Relation number one : le geek / le dragueur
Dans Joey, le geek c’est le neveu (joué par l’insipide Paulo Costanzo) et le dragueur, c’est …joey. C’est bon, je vois que vous suivez.
Premier problème : si Joey reste lui-même un dragueur, il n’a personne pour lui mettre le doigt sur son comportement. Il manque clairement non pas un membre de sa famille mais un ami. On se raconte d’ailleurs beaucoup plus de choses « intimes » entre amis qu’avec sa sœur ou son neveu. Gina ne remplacera jamais un Chandler lors des séances de Baywatch, par exemple. Même si Gina connaît son frère et peut lui lancer quelques répliques, Joey reste isolé sans véritable interlocuteur. Autrement dit son potentiel de dragueur ne pourrait exister qu’avec son neveu, censé représenter un anti-joey. Seul espoir à l’horizon, la voisine de palier vers qui il commence à se confier, mais on est très loin du délire.
Survient le second problème : Michael (le neveu) est insipide, à peine marqué geek sur son front. Dès lors, il ne sert plus à rien dans sa relation avec Joey, et les auteurs en rajoutent dans sa relation avec sa maman, croyant masquer ainsi un manque de personnalité pourtant évident.
Le potentiel comique du dragueur se retrouve donc à sa plus simple expression, et seules des aventures féminines pourront le faire sortir de sa torpeur. Et pour l’instant, ça n’en prend pas du tout le chemin.
Relation number two : la fratrie
S’il y a bien un point sur lequel j’espérais que la série remonterait, c’est bien celui-là. D’abord parce que Drea de Matteo au générique, c’est pas rien, mais surtout parce que les auteurs proclament un peu partout s’être inspiré de Frasier. Et là encore, le résultat fait peine à voir, n’en déplaise à Conundrum.
Premièrement, Drea de Matteo, si elle campe plutôt moyennement son personnage (on sent les mêmes gênes que Joey mais elle n’est pas assez volubile pour se démarquer), elle n’apporte strictement rien quand elle dialogue avec Leblanc.
Prenons donc Frasier, puisque la comparaison est évidente. Frasier et Niles sont tous les deux psy. Ils sont bien frères dans leur comportement élitiste, leur vanité se loge dans leurs goûts, et leur total manque de bon sens leur confère tous deux une « humanité » appréciable. Même si l’un développe des troubles plus profonds que l’autre, leur relation est tout simplement géniale à l’écran. La hiérarchie entre frères est explicite : Niles a toujours suivi le chemin de Frasier, (et en quelque sorte jusque dans les déboires amoureux), et ce rôle de petit frère « invisible » le pousse de temps à temps à essayer de se montrer davantage. Les deux frères sont d’ailleurs souvent mis en concurrence directe, leur jalousie respective égaye leurs soirées, et ils ne manquent aucune occasion pour se faire la gueule, se lancer des vannes, faire des coup-fourrés ou se mentir ouvertement . Mais plus encore que ce qui les sépare, c’est leur attachement l’un à l’autre qui les magnifie à l’écran. Entre frères, on se parle, certes, d’autant plus quand on est psy, mais on se met à nu et on se soutient...dans une certaine limite. C’est cette interaction permanente qui en fait des joutes verbales de très haut niveau, le sarcasme enclenchant les évènements. Joutes d’autant plus faciles que les personnages ont de multiples couches, du pathétique Niles attaché à sa Marisse comme Norm à sa Vera (Cheers), à l’excentrique, le romantique, le peureux, le snob et j’en passe.
Or Gina/Joey, ce n’est rien de tout ça : Joey étant déjà simpliste, il fallait un personnage suffisamment pourvu de personnalité pour éviter que les échanges ne se limitent à de simples vannes sur l’un des trois caractères identifiants de Joey. Gina n’existe dans la série que pour rappeler qu’elle a un fils-boulet, et au mieux elle pourra sous-entendre des histoires vécues dans sa jeunesse avec Joey. Du coup les échanges sont plats, ceci étant renforcé par le fait que Joey est plus un comique au « monologue ». Style, regardez moi, je suis idiot, je finis le plat, je lance sans arrêt la même vanne et mes mimiques sont à hurler de rire. Comment rebondir sur ça ? Et d’une façon originale, s’il vous plait, parce que ça fait déjà 10 ans qu’on connaît comment un Joey fonctionne !
Bref, Gina n’est là que pour parler d’elle, ou de son fiston, et c’est un véritable essai manqué pour la série. De là à la considérer comme un boulet, il n’y a qu’un pas, mais comme le niveau de la série est très bas, il serait injuste de tout pointer sur elle.
Relation number three : la maman-poule/ le fiston sans personnalité
D’emblée la relation est mal conçue, puisque le fiston est un incapable, une lavette incapable de décider ou de s’opposer à sa mère. Sans personnalité, ce « faux-geek » se contente d’essayer d’avoir Joey de son côté. La relation est faussée, ça aurait pu devenir la maman tyrannique et le fiston débrouillard (un peu comme Malcolm), mais on se retrouve avec un Joey qui intervient pour donner des conseils à sa sœur.
D’un certain côté, on pourrait croire que c’est là un point majeur dans la relation Joey/Gina, il n’en est malheureusement rien. Ca tourne très vite court, et ces conflits mère-fils deviennent vite un immonde artifice pour masquer un manque profond d’histoires intéressantes.
Pire encore, la série vire dans la guimauve la plus totale quand il s’agit de Gina/Michael (et même Gina/Michael/Joey), en oubliant tout simplement d’essayer de nous rendre les personnages attachants. On se contre-fiche bien vite de ces scènes, et on a qu’une seule hâte, c’est qu’un personnage drôle va ouvrir une porte.
Les personnages extérieurs
C’est avec une très grande anxiété qu’on cherche des personnages récurrents capable d’insuffler un peu de vie dans les relations précédemment citées, à l’instar de Karen et Jack dans « Will and Grace ». Hélas, trois fois hélas, personne ne va perturber ce ronron soporifique.
La voisine tout d’abord, incarnée par Andrea Anders (Oz), et qui a le mérite d’être déjà un peu plus volubile que la précédente actrice (comment elle s’appelait déjà mademoiselle catwoman ?). Comme je l’ai déjà dit, c’est vers elle que se trouve certainement la solution : Joey commence à se confier, la voisine lance des vannes qui ne sont pas toujours centrées sur l’une des 3 caractéristiques du Tribbiani (on se demande bien comment elle peut supporter un gars pareil, puisque leur relation est minimaliste), il y a de l’espoir. Mais on en est encore très loin, ses apparitions sont soit pas assez hors sujet pour provoquer l’hilarité, soit pas assez drôles tout court.
L’agent de Joey, ensuite. Cette femme est miraculeusement excentrique, et est une des rares bonnes idées de la série. Problème, elle reste cantonnée à des visites de Joey, ce n’est pas ça qui va débloquer le triangle de personnages. Et puis on la voit à peu près tous les 3 épisodes. Un rire toutes les heures, c’est terrible pour une sitcom.
On a déjà fait le tour, à part deux apparitions de Howard petit gros relativement drôle (au point où on en est on est capable d’avaler n’importe quoi), il n’y a vraiment pas de quoi crier au génie. C’est pauvre, atrocement pauvre. De quoi se demander si c’est vraiment une sitcom.
Et avec ça ?
Le générique est immonde. En fait, non, il est parfaitement représentatif de la série et du personnage. Vide, creux, avec un Joey stupide qui s’amuse tout seul (la main dans le rétro), et le mauvais goût absolu avec une figurine qui se balance au son d’une chanson beauf (et bof !).
Les histoires sont à l’image des personnages, fades, répétitives (et oui, déjà), si bien qu’au moindre gag un tant soit peu réussi, on essaye de se convaincre que c’était vraiment drôle.
Mais il n’y a rien de drôle, Joey n’est qu’une sitcom ratée qui profite de l’effet Friends.
C’est tellement douloureux à accepter qu’on se surprend à rêver à un décollage de la série. Mais les auteurs, usés, ont définitivement perdu le sens de l’humour, ressassant les mêmes gags et les mêmes situations (acteur raté, drague, et plus rarement bouffe), limités par leur faible nombre de personnages, et des personnages à la psychologie elle-même limitée qui plus est. Les répliques sont clairement un cran en dessous de la dernière saison de Friends, qui n’était déjà pas terrible.
Et pour vous montrer à quel point la différence est flagrante, j’ai plus rigolé dans le premier épisode de la saison 2 de The O.C. que dans les trois derniers Joey réunis.Et pourtant c’était un épisode nettement dramatique ! Et que dire de la reprise d’Arrested Development qui fout la honte à toutes producitons comiques actuelles, excepté Scrubs….
N’en jetez plus Joey est pire que la déception de l’année, c’est une véritable injure aux fans de Friends, et un gigantesque retour en arrière pour le comique des sitcoms.