DISCOURS - Après deux ans à la tête de la fiction BBC, bilan et perspectives pour Ben Stephenson
L’intégralité de son discours du 29 septembre 2010.
Par Sullivan Le Postec • 30 septembre 2010
Le Directeur de la fiction du groupe BBC s’est adressé au monde de la télévision britannique à l’occasion du lancement de la saison 2010/2011.

Ambition et traditions sur la BBC, c’est ainsi que nous titrions notre article preview sur la saison de fiction du groupe public britannique, qui s’impose à nous yeux depuis quelques années comme le meilleur fournisseur de fiction de qualité au monde.

Sur place, tout n’est pas forcément rose. La BBC est soumise à de fortes tensions budgétaires — mais aussi à des contestations venues de Grande Bretagne sur sa ligne éditoriale, ce qui semble déjà plus étrange. C’est que là-bas aussi, l’atrait des séries américaines est fort, au point d’en rendre fou et aveugle quelques-uns.

Tandis que je rédigeais cette fameuse preview, je me lamentais de ce que la BBC n’ait pas mis en ligne un programme complet de sa saison, comme les années précédentes. C’est en fait que le lancement avait été retardé à hier soir, où une soirée présentait le programme à venir en matière de fiction, en même temps qu’elle célébrait les deux ans à la tête de la fiction du groupe BBC de Ben Stephenson, qui a succédé à Jane Tranter.
Cette dernière est partie aux Etats-Unis avec Julie Gardner et Russell T Davies pour développer des fictions pour le territoire américain produites par BBC Worlwide.

A cette occasion, Stephenson a dressé un premier bilan et ces deux années et tracé des perspectives pour la fiction télévisée britannique. L’occasion de faire la preuve d’une vision à la fois claire et ambitieuse de ce que devrait être la fiction d’un pays européen. Son discours est reproduit intégralement ici :


« Merci à tous d’être venus. Je voulais saisir l’opportunité de mes presque deux ans en poste pour organiser pour la première fois une soirée de lancement de la fiction d’automne hiver, et j’en profite pour parler un peu de la fiction sur BBC. Ce qu’elle est, pourquoi elle est importante et ce que sera son futur.

Surtout, je veux donner crédit au talent extraordinaire de ce pays, dont bon nombre se trouve dans cette pièce. Et vous dire merci. Depuis que j’ai pris ce poste, j’ai été renversé par la passion et l’ambition de ces scénaristes, réalisateurs et acteurs qui travaillent pour la BBC.

Ce sont des gens qui ont grandi avec la boite lumineuse dans un coin de la pièce, et qui la voient comme une amie, comme une forme d’art, quelque chose qu’on doit autant embrasser que remettre en cause. Des gens qui voient la fiction télévisée – que ce soit les unitaires, les mini-séries ou les feuilletons – comme la plus haute chose à laquelle ils peuvent aspirer.

C’est ce talent – dont je sais qu’il est le meilleur au monde – qui m’a inspiré pour essayer de faire de la fiction de la BBC la meilleure qui soit.

Deux années en poste m’ont chevillé au corps le désir de défendre la fiction britannique. J’adore la passion pour la fiction dans ce pays — des auteurs aux opinions affirmées et des téléspectateurs qui demandent de la qualité. La BBC doit tout accueillir. Nous devons être contradictoires et larges dans notre capacité à mélanger l’art élitiste et le meilleur de la culture populaire. « The Song of Lunch » doit se frotter les épaules avec « EastEnders », « Sherlock » avec Shakespeare, Sir David Hare avec Steven Moffat, Emma Thompson avec Idris Elba.

Mais je n’ai pas peur de dire qu’on ne devrait pas entrer en compétition avec les Etats-Unis pour ce qui concerne les saisons de 24 épisodes – nos modèles économiques sont complètement différents.

Ce que je crois, c’est que la BBC devrait adopter tout ce qui a un caractère britannique. Et cela à revient dire une chose : nous nous devons être la meilleure des maisons pour la fiction dotée d’un fort point de vue d’auteur, qui divertit et qui stimule.

Des scénaristes uniques artisans d’un travail formidable, que ce soit dix épisodes bouclés, un unitaire ou une série. Des soaps operas capables de gagner des BAFTA. Des fictions populaires qui prennent de grands risques de par leur modernité. Des fictions provocantes qui posent des questions difficiles.

Nous sommes le seul endroit où la stratégie de la fiction n’est pas dictée par la mise au premier plan des découpages démographiques du public – c’est-à-dire qu’elle n’est pas dictée par la publicité. Cela ne veut pas dire que les chaînes commerciales ne font pas de grandes fictions – il suffit de voir les récents succès de ITV ou de Channel 4 – mais BBC est la maison des fictions risquées, d’auteurs et destinés à chacun, quel que soit son goût, son âge, sa classe.

Peut-être qu’au lieu d’en parler, je pourrais vous montrer un aperçu de ce qui est à venir.

J’espère que ce clip montre la grande ambition que nous avons pour la fiction à la BBC, et le talent extraordinaire avec lequel nous avons la chance de travailler.

Voilà qui contraste avec le cynisme concernant la fiction télévisée britannique qui émane d’une partie de l’élite médiatique.

J’ai particulièrement apprécié un récent titre, qui disait que l’investissement de Sky dans la fiction était, je cite, ‘‘un autre clou dans le cercueil de la fiction des chaînes gratuites’’. Un point de vue qui m’a surpris, et je suis sûr qu’il en a été de même pour mes amis à ITV et Channel 4, compte-tenu du fait que leur investissement, tout bienvenue qu’il soit, n’est que de 30 millions de Livres. Un chiffre éclipsé par les centaines de millions que nous dépensons pour la fiction britannique originale, et les centaines de millions que Sky a choisi de dépenser pour acquérir des programmes étrangers plutôt que d’investir dans les scénaristes britanniques et la fiction originale.

Il ne fait aucun doute que les Etats-Unis font de grandes séries. Mais il faut que nous arrêtions de nous punir de ne pas être américains.

Il y a une mythologie terriblement à la mode, mais très naïve, à propos de la télévision américaine. Bien sûr qu’ils font de la grande télévision. Mais ils ne fabriquent que deux types de télévision. Les saisons de 13 épisodes, et les saisons de 24 épisodes.

Vous êtes priés de sortir si vous voulez écrire quoi que ce soit d’autre. Pas de « Five Daughters », pas de « Sherlock », pas de « Dive », pas de « The Silence », pas de « Song of Lunch », pas de « Wallander ». Tous ces scénaristes se verraient requérir de développer 13 ou 24 épisodes, ou de déguerpir. Steven Moffat n’aurait pas la possibilité d’écrire « Sherlock » comme il le souhaite. Il serait éliminé au profit d’un showrunner capable de créer un modèle financièrement acceptable pour 24 épisodes.

Le modèle économique des 13 ou 24 épisodes, ou une saison peut coûter jusqu’à 60 millions, signifie qu’on ne peut pas entrer en compétition avec eux sur ce terrain. Alors ne le faisons pas. Reconnaissons les mérites des modèles britanniques et américains pour ce qu’ils offrent, et non pour ce qu’ils n’offrent pas.

Nous ne voulons pas que les 18-49 ans soient tout ce qui compte – si vous n’êtes pas dans cette tranche, vous n’avez plus aucune importance. Et pour les chaînes du câble, il faut en plus que vous soyez de la classe moyenne.

A-t-on vraiment envie de voir notre fiction souffrir le même destin que celui de la nouvelle série célébrée par la critique de la Fox, « Lone Star » ? Commencée lundi de la semaine dernière, elle a été annulée hier.
Où sont les unitaires, les mini-séries en deux ou trois parties, les géniales séries en 6 ou 8 épisodes ? Où sont les opportunités pour les auteurs qui ne veulent pas écrire une seule idée pendant cinq années – qui pensent qu’ils ne peuvent pas étaler leur idée en 100 épisodes pour la Syndication. Croyez-moi, il n’y en a tout simplement pas.

Que ce soit HBO ou bien FOX – et je parle là de chaînes formidables qui dont des séries de classe internationale – elles sont dirigées par la nécessité de faire du profit. Nous avons l’opportunité unique d’être différents.

On devrait adorer la télévision américaine, mais on devrait adorer et chérir la nôtre.

Alors, quel est notre futur ?

La fiction BBC va continuer d’être fièrement britannique, et va commander la meilleure qualité de création pour notre public. De manière cruciale, nous allons donner aux scénaristes et réalisateurs britanniques leur liberté, et ne pas les empêcher d’écrire leurs meilleures idées, quelle que soit leur forme – de la fiction populaire aux œuvres destinés à un public plus distinct.

Nous n’allons pas commandeer des saisons de 24 épisodes parce que les critiques nous le demandent. Mais on pourrait très bien le faire si un créatif a une idée formidable.
Nous n’allons pas avoir un œil sur le marché américain. Nous n’allons pas devenir obsédés par les co-productions. Nous allons être au service de nos téléspectateurs en leur offrant les meilleures histoires que nos scénaristes ont à raconter.

Nous n’allons pas, cela dit, être de petits anglo-anglais. Nous voulons étreindre toute la Grande Bretagne, et en fait le monde entier plus souvent. Nous voulons simplement être le lieu où les histoires sont le mieux racontées.

C’est crucial, nous allons être plus ambitieux que nous ne l’avons jamais été, nous allons prendre plus de risques que nous ne l’avons fait dans le passé. Nous allons continuer de remettre en question ce que devrait être la fiction grand-public et populaire sur BBC 1. Nous allons soutenir une culture de la fiction sans précédent sur BBC 2 – le budget a été triplé et nous voulons de la fiction unique dans son ambition. Nous allons continuer de pousser dans leurs derniers retranchements l’audace et la variété de ce que peuvent offrir BBC 3 et BBC 4.

Et nous serons la meilleure maison pour les scénaristes, réalisateurs, acteurs et producteurs.

Nous ne pouvons pas vous promettre les plus gros budgets, nous ne pouvons pas vous promettre que nous allons tout produire, et nous ne pouvons pas vous promettre que nous n’allons pas avoir quelques désaccords passionnés.

Mais nous vous promettons que notre investissement restera plus grand que n’importe qui d’autre. Et que pour nous, la fiction compte. Elle est chérie et aimée à la BBC plus que n’importe où ailleurs.

C’est au cœur de ce pourquoi je crois que la BBC existe.

Sur ce, j’ai quelques annonces incroyables à faire.

Il y a un an, j’ai été présenté à l’un des plus grand scénariste-réalisateur au monde par Christine Langan, et je suis ravi que ce déjeuner ait donné naissance à l’une des commandes les plus excitantes dans laquelle j’ai jamais été impliqué. L’oscarisée Jane Campion a écrit et réalisera une série en plusieurs épisodes pour BBC 2. C’est une œuvre extraordinaire et ambitieuse et je ne pourrais pas être plus heureux d’y être associé.

Sir David Hare est de retour à la BBC avec un nouvel unitaire qu’il mettra également en scène. C’est émouvant et important, et c’est formidable de l’avoir à nouveau parmi nous.

Dernière annonce, mais pas la moindre : Shakespeare ! Janice et moi avons toujours su que nous voulions que notre programmation Shakespeare en 2012 soit unique et singulièrement ambitieuse. En faisant équipe avec Sam Mendes, Pippa Harris et Simon Russell Beale, nous nous réjouissons que 2012 voit la production épique de quatre pièces historiques qui les amène à la vie comme films de télévision. Nous produirons Richard II, Henry IV parties 1 et 2 et Henry V à une échelle jamais vue auparavant à la télévision. Rufus Norris et Sir Richard Eyre mettrons en scènes trois des quatre pièces.

Ces productions sont au cœur de ce que défend la fiction BBC, et j’espère qu’elles pavent la route à un futur unique et ambitieux. »

Ben Stephenson, le 29 septembre 2010.