LA GREVE DES UNS - Choix de la rédaction de Spin-Off
« Reporters », « Jekyll », « Fais pas ci, fais pas ça »
Par le site Spin-Off • 15 février 2008
Créé en novembre 2007, Spin-Off critique les séries télé de tous poils avec un regard acéré. Interractif, le site permet aux visiteurs de noter eux-même et de commenter chaque épisode. Quelques rédacteurs du site nous donnent leur sélection de séries européennes à découvrir.

Journaliste, métier de fiction ?

par Manuel Raynaud

Le mardi 8 mai 2007 à 20h50, alors que l’élection présidentielle occupe encore tous les esprits, une nouvelle série fait son apparition sur la chaîne cryptée. Intitulée « Reporters », elle a l’audace de traiter des journalistes et des relations qu’ils entretiennent avec leurs rédactions et la politique. Mais ici, point de Perry White dirigeant machinalement le Daily Planet, la caricature n’a pas sa place dans ce projet déployé par Capa Drama.

Racontes-moi une histoire

Olivier Kohn, créateur de « Reporters », revient sur la naissance de son bébé : “C’est une demande de Canal Plus […]. Fabrice de la Patellière et Dominique Jubin (responsables de la fiction) avaient demandé à plusieurs producteurs de réfléchir à une série autour du journalisme, et c’est notre projet, celui de Capa, qu’ils ont finalement choisi.”

Et le bilan serait presque intimidant pour tous ceux qui critiquent une fiction française en berne. A l’image, le téléspectateur se soumet, impuissant mais admiratif devant le fonctionnement de deux rédactions : un journal fictif nommé 24 Heures en difficulté financière et une chaîne publique elle aussi fictive, TV2F, qui fait la course à l’audience.

Habituellement, le métier de journaliste n’est qu’un simple prétexte, un peu comme dans Tintin, relève Guillaume Soulez, sémiologue à Paris III-Sorbonne. Cette fiction au contraire, en zoomant sur les rapports humains, “ouvre un éventail de questions et de situations nouvelles et inédites”.

L’ancrage au réel

Comme le hasard fait parfois bien les choses, les évènements de l’actualité qui ont entouré la diffusion de la série lui ont donné un relief encore plus surprenant. Le rachat par un puissant groupe industriel du journal « 24 Heures » fait référence à celui de Libération. Les relations entre journalistes et politiques qui ont marqué la campagne présidentielle sont aussi incarnées à l’écran. “On sent ce glissement vers une espèce de collusion qu’elle [Florence Baumal jouée par Anne Coesens] rejette. Elle se laisse manipuler, avant de comprendre” examine Jérôme Bertin, ancien journaliste à LCI qui, lui, interprète le présentateur du JT de TV2F.
“[Les créateurs] ont eu le nez creux, même si ce n’est pas ce que met en avant la communication autour de la série. Celle-ci raconte des histoires géniales, parle de phénomènes qui se sont produits au moment où Canal+ diffusait les épisodes, comme le suicide chez les jeunes ou la perquisition dans un journal” souligne-t-il.

Autre exemple, le 15 mai soit le jour de la diffusion des épisodes 3 et 4, Rue89 révélait par exemple qu’un article du JDD avait été censuré. Dans la série, cette question est abordée à travers l’autocensure que les journalistes peuvent parfois s’infliger.

Une série référence ?

Toutes ces problématiques, et il y en a d’autres — l’arche principale traitant l’histoire d’un journaliste pris en otage fait référence à Florence Aubenas —, démontrent à quel point « Reporters » est une série qui a su s’ancrer dans le réel, constituant un tour de force magistral.

De la même manière, les performances de Didier Bezace et de Patrick Bouchitey en tant que journaleux sont excellentes et attachantes. Côté points faibles, on lui reprochera une présentation des personnages trop étalée qui ralenti le lancement de l’intrigue.

Si vous n’avez pas encore vu ce petit bijou, n’hésitez pas à acheter le DVD de la saison 1. Quant à la saison 2, elle a bien été confirmée par Canal + même si presque aucun détail n’a encore été révélé. On sait tout juste qu’elle sera diffusée cette année.


Jekyll : le renouveau du fantastique

par Valentin Morisseau

En cette période de disette pour les sériephiles, il convient de se demander quoi regarder pour faire passer le temps. Faute de shows américains, reconvertissons-nous en amateurs d’art anglais. Car c’est bien d’art qu’il faut parler quand on parle de « Jekyll ».
Diffusée pour la première fois en juin dernier sur BBC1, cette série renouvelle le genre brillamment et apporte un nouveau souffle aux séries britanniques.
En revisitant le mythe de R.L. Stevenson, Steven Moffat prouve que son talent, aux multiples visages, est grand. Scénariste de génie, il a su adapter avec brio cette œuvre noire et torturée en la transposant à notre époque et en y ajoutant de l’action, des effets spéciaux simples et étonnements réalistes.

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Une direction d’acteurs saisissante

En seulement 6 épisodes, Moffat fait aussi bien, voire mieux, que de nombreuses bonnes séries. Il réussit en très peu de temps à nous plonger dans un univers sombre sans trop jouer sur le grandiloquent. Le ton est cynique, alambiqué et dérangeant sans jamais exagérer.
Version moderne, voire post-moderne du roman, « Jekyll » est très bien réalisé, avec un acteur des plus impressionnants. Je ne connaissais pas beaucoup James Nesbitt, ne l’ayant vu jouer que dans « Bloody Sunday », de Paul Greengrass. Je dois pourtant avouer que cet acteur a réussi à ne pas caricaturer son personnage et à interpréter minutieusement un rôle pour le moins difficile. Un travail considérable exécuté de main de maître. Les prestations de Gina Bellman (la femme de Jackman) et Michelle Ryan (son assistante) – que l’on a vu dans le fade « Bionic Woman » - ne sont pas déméritées non plus tant elles sont fortes de personnalité et d’attachement.

Un personnage haut en couleur

Les transformations en Hyde, des plus vraisemblables s’accompagnaient souvent chez moi d’un petit frisson, attendant frénétiquement avec cynisme et ardeur le moment où notre anti-héros par excellence se révélerait enfin. Moffat décrit son personnage comme : "Jack Nicholson on a coke bender, tremendously good fun and a complete bastard if he loves you. […]He’s going to make jokes ; he’s going to be in quite a good mood, isn’t he ? I would be if I had superpowers and the ability to f*ck everyone and actual fangs that come out occasionally. It’s brilliant." Oh oui que c’est brillant. Tellement qu’on attend une suite.

Pas de saison 2

Du suspense, de l’action, des personnages intrigants et attachants et des acteurs à couper le souffle, que demander de plus ?
Je dirais… une saison 2. Car à l’heure actuelle aucune suite n’est prévue à cette série, qui demeure pour moi et pour l’instant l’une des meilleures séries fantastiques jamais faites. Et cela même si elle ne fait que 6 épisodes (malheureusement). C’est en quelque sorte un film à rallonge que nous propose Steven Moffat. Le show est diffusé sur Canal + depuis le 11 février, mais un conseil, regardez-le en vo ! Cet accent so british donne du cachet à la série et la voix énigmatique, changeante et charismatique de James Nesbitt exacerbe les points forts du personnage.


Fais pas ci, fais pas ça

par Julien Dauchy

Les seules comédies qui me font rire sont presque exclusivement américaines. Et pourtant « Fais pas ci, fais pas ça » entre dans mon panthéon de la comédie. J’attendais peu de cette série dont manuuu m’avait vaguement parlé. Mais de quoi ça parle ?

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Concrètement, on suit le quotidien de deux familles radicalement opposées. D’un côté, on a les Lepic. Ils représentent la famille bourgeoise traditionnelle. Le père travaille, la mère est au foyer, 4 enfants. De l’autre côté, les Bouley. Chez eux, c’est la mère qui ramène l’argent du foyer. Le père, quant à lui, est en « restructuration professionnelle », comprenez au chômage. C’est une famille recomposée puisque la mère a une fille d’une précédente relation et a eu avec son nouveau mari un fils.

Les intrigues sont simples : invasion de poux, suspicion de consommation de drogues, organisation de fêtes d’anniversaire. Le comique de la série réside dans le traitement de ces histoires, vues par un œil extérieur. En effet, à la manière de The Office, la série est filmée de façon documentaire. Donc les personnages livrent leurs sentiments sur certains points devant la caméra.

Ce qui est très amusant également est que les schémas parentaux assez clichés (famille carrée/laxiste) sont très souvent démentis par les enfants. En effet, le fils des Lepic, Christophe, est un éternel glandeur. Sans forcément le faire exprès, il trouve toujours le moyen d’énerver ses parents, et surtout sa mère, instable émotionnellement. Du côté des Bouley, c’est le fils surdoué qui pose problème. Il est tellement intelligent, mature et pragmatique que ses parents ne se reconnaissent pas en lui. Assurément, les discussions d’ordre politique, moral ou religieux donnent lieu à des situations ironiques appuyées par le talent des acteurs.

Car oui, non seulement les dialogues sont drôles, mais en plus, ils sont parfaitement incarnés. Que ce soit Isabelle Gelinas (Valérie Bouley), Bruno Salomone (Denis Bouley), Valérie Bonneton (Fabienne Lepic) ou encore Guillaume de Tonquédec (Renaud Lepic), le jeu d’acteur est irréprochable. Le tout est agréablement accompagné de petites touches qui rendent les personnages attachants et la série prenante. L’insatiabilité de Christophe ou encore le besoin profond d’Eliot de claquer les portes sont autant de détails qui marquent les personnalités de chacun. Ajoutez à cela un générique sur la très célèbre chanson « Fais pas ci, fais pas ça » de Jacques Dutronc et le plaisant « A TABLE ! » de Fabienne en début d’épisode et vous avez devant vous 42 minutes de plaisir.

Loin d’être fan des séries françaises, je dois reconnaître la grande qualité dont fait preuve « Fais pas ci, fais pas ça ». Une fois n’est pas coutume, la série a décroché une deuxième saison qui aura l’honneur d’être diffusée en prime-time. Et ce, dès septembre. Dernière chose, si vous avez la possibilité de le regarder avec vos parents, n’hésitez pas. C’est encore plus marrant quand chacun peut s’identifier aux personnages.


Retrouvez les rédacteurs de cet article sur leur site : Spin-Off.fr.

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