LE QUINZO — 2.09 : Où l’on pleure sur la fiction française, même en ayant dormi
Toutes les deux semaines, l’humeur de la rédac’ du Village.
Par le Village • 7 février 2011
Le Quinzo, saison 2, épisode 9. Premier Quinzo régulier de 2011. Sullivan râle à propos de France Télés, Dominique râle à propos de M6, et Emilie râle à propos des téléspectateurs français. 2011, c’est so 2010.

A propos de méthode

Par Sullivan Le Postec.

Si vous n’avez pas regardé la conférence du FIPA consacrée à « Death in Paradise », série policière co-production entre BBC et France Télévisions, permettez-moi de vous recommander de le faire, il s’y dit plusieurs choses assez intéressantes qui mettent en lumière tant le système anglais que le Français.

Il y a un point particulièrement saillant. Les deux chargées de programmes de France Télévisions, Sophie Gigon (la responsable des coproductions internationales) et Caroline Pierce y racontent que lors d’une réunion ayant eu lieu quelques jours plus tôt, elles ont découvert que le système d’écriture des deux pays était pour le moins différent.
En effet, pas question pour un scénariste anglais d’enchaîner traitements, synopsis et séquenciers laborieusement validés uns à uns pour passer du pitch à l’écriture d’une V1 de continuité dialoguée. Un gros choc culturel pour les deux françaises qui, puisque le projet est d’initiative anglaise et financé à 70% par la BBC (France Télé paye 30% du programme), ont accepté de se plier à une écriture à l’anglaise, dans laquelle l’auteur passe librement du pitch à la V1. V1 que la production et les diffuseurs s’emploieront à commenter, ce qui amènera à la retravailler très profondément pour la — ou plus probablement les — version(s) suivante(s). Et le très profondément n’est pas du chiqué, voici ce à quoi ressemblait le script de l’épisode 3 que le scénariste Robert Thorogood était en train de retravailler pendant ses voyages entre Paris, Biarritz et la Guadeloupe :

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Sophie Gigon et Caroline Pierce ont commenté le fait que cette découverte d’autres méthodes était très enrichissante… avant de s’empresser d’ajouter qu’il ne fallait pas dire qu’une méthode est meilleure que l’autre. Histoire que les scénaristes français ne se fassent pas d’illusions : pas question d’aller réclamer à France Télé d’abandonner les 12 étapes intermédiaires validées entre le pitch et la V1.

Sauf que là, le rédacteur du Village que je suis a simplement envie d’interjeter un « objection, votre honneur ! »

Il n’y a pas moyen de dire si une méthode est meilleure que l’autre ? Vraiment ? Est-ce que Sophie Gigon et Caroline Pierce sont prêtes à passer trois semaines enfermées dans une pièce à regarder alternativement des fictions télé britanniques et françaises ? Parce qu’à la sortie, pas moyen de nier l’évidence sur la spectaculaire différence de niveau de qualité moyen entre les deux !

Et honnêtement, c’est simplement logique. Si vous avez du accumuler traitements et séquenciers hyper-détaillés, au-delà de la question du long temps que tout cela prend et qui explique en grande partie la difficulté française à produire de nouvelles saisons tous les ans, il est évident que le scénariste même valeureux a de fortes chance d’avoir perdu énergie et passion au moment de passer à la continuité dialoguée. Cette histoire qu’il a probablement porté avec enthousiasme au début (en admettant qu’on ne l’ait pas déjà castré à la phase du pitch, mais c’est une autre histoire…), il est probable qu’elle soit maintenant attachée à quelque chose de laborieux, qu’elle ait perdu de sa magie, que le scénariste ne soit plus très investi.
Et remettre de l’énergie et de la passion dans une continuité dialoguée après coup, par le biais de notes émises par un comité Théodule, c’est un défi (dira-t-on à défaut d’affirmer que c’est probablement presque impossible).

A l’inverse, le système anglais va produire une V1 où il y est fort probable qu’il y ait cette fraîcheur, cette envie, ce petit supplément d’âme qui fait le sel de l’excellente fiction télé britannique ou américaine. Sans doute par contre, à moins que le scénariste soit vraiment extrêmement bon (ce qui arrive, et sûrement plus souvent là-bas que chez nous, et il y a là aussi certainement lien de cause à effet), cette V1 aura plus de défauts de structure, de rythme, de progression dramaturgique. Sauf que ces défauts là, ce sont justement ceux que de bonnes notes sont vraiment susceptibles d’aider à corriger.

Je trouve ça marrant parce que je me souviens d’Olivier Szulzynger m’expliquant justement qu’après ses premiers mois difficiles, le nouveau souffle de « Plus Belle la Vie » avait été trouvé en arrêtant l’écriture inutile. Extrait de l’interview d’Olivier Szulzynger :

« …J’annonce [aux auteurs] qu’il y aura très peu d’écriture. C’est- à dire qu’on se met d’accord oralement et qu’il y a simplement, une fois par semaine, un petit document, un petit séquencier, pour rendre compte d’où on en est. En effet, un des gros problèmes en France c’est qu’on produit énormément d’écriture inutile. C’est-à-dire qu’il y a dix versions de synopsis, quinze versions de séquencier, etc. Les gens sont très contents, ils ont pondu des textes, mais ceux-ci ne sont pas utiles.

Peut-être que je me trompe mais ma perception c’est que ce sont beaucoup les chaînes qui les demandent, ces documents.

Oui, en effet.

Donc comment ça se passe avec France 3 ?

Ce qui se passe c’est qu’à ce moment-là arrive un nouveau directeur de la fiction qui nous dit une chose : ‘‘arrêtez d’écrire !’’ C’est une énorme bouffée d’oxygène suscité par la chaîne et par un changement au niveau de la direction de la fiction. Sans cela, rien n’aurait été possible. »

C’est un peu le drame de la fiction française. Non seulement les gens sont capables de nier l’évidence — « on ne peut pas dire qu’une méthode est meilleure que l’autre » — mais en plus on n’apprend jamais rien de ce qui s’est passé avant, même au sein du même groupe. Pas d’apprentissage, pas de progression. Et moi, ça me déprime.

Une histoire d’amour

Par Dominique Montay.

Taper sur M6, ça n’est pas seulement facile, c’est aussi nécessaire. Si TF1 nous fait râler par son immobilisme et son inintérêt total, M6 nous fait tout bonnement enrager, et pas seulement à cause de sa grille de programmation.

Non, ce qui choque le plus, c’est la façon dont elle a évoluée. De chaîne musicale, elle était devenue une chaîne axée femmes. Et pas seulement une ménagère de moins de 50 ans. Non, une femme active, entre 25 et 45 ans. L’air de rien, la petite chaîne de Neuilly réalisait alors notre rêve d’aujourd’hui, elle faisait de la télé populaire segmentante.

Mais la chaîne prit un virage à 180° qui n’a servit ni le PAF, ni, avec le recul, la chaîne elle-même (le bilan 2010 classant M6 quatrième, derrière TF1, France 2 et France 3, la chaîne de « Barnaby »). Elle est donc devenue pure généraliste. Par exemple, lors de la Coupe du Monde 98, la chaîne balançait des promos malignes, mettant en avant l’absence totale de présence de football sur sa chaîne. Terminé, elle aussi en diffuse, et à bas prix, récupérant les matches de Coupe du Monde que les autres chaînes ne veulent pas, ou signant des contrats d’exclusivité avec des clubs pour la diffusion de matches européens de la Coupe UEFA, dont les droits sont nettement en deça de l’épreuve reine, la Ligue des Champions, mais aussi beaucoup moins intéressante et spectaculaire.

Le traitement du football sur la chaîne est symptomatique de la façon dont M6 traite ses programmes. Son but évident : faire la même chose que les autres, mais pour 10 fois moins cher. Sans jouer la nostalgie facile, M6 fût la chaîne qui diffusa « Police District », et dans un passé très proche, avant de la massacrer, « Les Bleus ». Des séries policières, certes, mais avec un angle. L’ultra-noiceur pour l’une (bien avant la saison 1 d’« Engrenages » et plus habilement) et la jeunesse pour l’autre.

Aujourd’hui, comment définir l’identité de la chaîne ? Par ses émissions mi-docu spectacle, mi-real TV : C’est du propre, D&Co, L’amour est dans le pré ou dernièrement, C’est ma vie, et ce toujours avec les mêmes recettes. Ultra-dramatisation des évènements avec insertion de musiques qui exagèrent le propos (l’utilisation du générique du « Batman » de Tim Burton sur le vidage d’un camion dans D&Co, par exemple, était peut-être un peu too much, non ?). Sur-surlignage des éléments visuels par une voix off omniprésente et didactique qui donnerait des impressions de redondances à un aveugle. Et la petite pointe de cumin à cette recette ultra-riche : pour avoir des participants qui pleurent, faisons les mariner jusqu’à 4 heures du matin. Plus ils sont épuisés, plus ils cèdent vite.

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Nicolas de Tavernost
Président de la petite chaîne qui descend, qui descend, qui descend...

De Tavernost pensait encore il y a peu que cette recette allait le mener très haut, et même lui permettre de faire un doigt d’honneur pendant qu’il doublait tout le monde, vu que son modèle nécessite un investissement très faible. Mais on ne blâme pas vraiment la chaîne pour l’existence de ces programmes. Déjà parce que, pris un à uns, ils marchent. Mais surtout parce qu’elle ne s’accompagne pas d’une prise de risque. Même légère. En faisant de la psychologie à deux francs six sous, on pourrait dire que De Tavernost n’aime pas ce qu’il fait. Qu’il le fait pour l’argent, et basta (après tout, Martin Bouygues n’aime pas la télé, et pourtant, il en fera tant que ça sera hyper-rentable).

C’est Luc Besson, qui n’est pas un modèle de réalisateur (et encore moins de scénariste), qui en parle le mieux. Quand il débutait, il trouvait étrange que le producteur qui avait financé son premier film « Le Dernier Combat » produisait aussi des merdes commerciales. Le type lui avait rétorqué que sans les merdes commerciales, il ne pouvait pas faire « Le Dernier Combat ». Cette philosophie le guide aujourd’hui en tant que producteur, EuropaCorp produisant pas mal de bons films, grâce à ces machins insupportables que sont « Le Transporteur », « Hitman » ou encore le fabuleux « Baiser mortel du Dragon » (je l’ai vu au cinéma parce que je m’étais trompé de salle, avant de m’endormir en plein milieu par un fabuleux réflexe de défense immunitaire). Mais voilà, même s’il est maladroit, Luc Besson aime sincèrement le cinéma.

De Tavernost, s’il aimait réellement son métier, mettrait certainement à l’antenne Un dîner presque parfait ou Cherche appartement ou maison… mais il aurait gardé « Les Bleus » (dont les audiences étaient loin d’être mauvaises avant d’être saccagée), et il ne se refuserait pas aujourd’hui à diffuser de la fiction maison. Elle donnerait une autre identité à la chaîne, une autre image, une aura qu’elle ne possède pas aujourd’hui. L’explication de ses très mauvaises audiences de décembre, et son mois de janvier où elle a passé la barre des 10% de parts de marché à l’arrachée résident peut-être dans le fait que son patron n’aime pas la télévision.

Le triste héritage de Julie, Antoine, Joséphine & co...

Par Emilie Flament.

On râle souvent au Village. Il faut l’admettre. On râle sur les diffuseurs qui ne financent pas les bonnes fictions, sur les responsables de la programmation qui s’acharnent à remplir leur grille en dépit du bon sens, sur la non-communication qui entoure la plupart des programmes, sur l’élitisme bien français qui considère la télévision comme un « sous-cinéma »… Bref, on râle sur tout… ou presque. Car il y a quelques exceptions : on aime bien les auteurs et globalement les équipes qui travaillent sur nos séries favorites, on les adore même et on parle tout le temps d’eux ! Reste que dans la grande équation de la télévision, on oublie quelqu’un : le téléspectateur.
 
Cher lecteur, malgré tout, tu n’es pas la véritable cible de ce poste, parce que, si tu nous lis, c’est que tu as une vague idée de l’état de la fiction hexagonale. Pour mieux comprendre ma cible, petite mise en situation, une banale discussion entre un ‘‘amateur de séries’’ et moi :

L’amateur de séries : C’est quoi Le Village ? (ok... nous ne sommes pas le site le plus célèbre du monde, on veut bien l’admettre.)
Moi : C’est le webzine de la fiction européenne.
L’amateur de séries : La fiction européenne ? « Derrick » et tout ça ? (premier cliché... je reste zen... la blague était facile)
Moi : En fait, « Derrick » n’est pas très représentatif de la fiction européenne, d’ailleurs on n’en a jamais parlé sur le site (ok, Dominique a écrit une Ode à Derrick, mais c’était pour rire !). Non, on parle beaucoup de fiction anglaise...
L’amateur de séries : (qui m’interrompt) La fiction anglaise ? (petit rire) plutôt Barnaby alors ? (début de fou rire... (mon niveau d’énervement monte)
Moi : Là encore, ce n’est pas très représentatif. Les anglais sont même carrément bons en séries, ils ont « Doctor Who », « [MI-5] », « Life on Mars », « Skins », « Sherlock »... Qualitativement, ils sont même souvent meilleurs que les américains qui s’éclatent à faire des remakes de leurs shows (profond soupir... ok, je peux comprendre qu’on connaisse peu la fiction anglaise, passons à autre chose)... Et puis, on parle aussi de séries françaises...
L’amateur de séries (le sourire jusqu’aux oreilles) : Les séries françaises ? « Navarro », « Josephine, Ange Gardien » et tout ça ? C’est pas trop mon truc... je regarde pas les trucs français...
Moi : (tentant de rester zen et diplomatique)Non plus, là encore, il n’y a pas que ça dans la fiction française. Certains ‘‘trucs’’ sont même excellents... plus modernes, meilleurs scénarii, meilleure image... (le voyant qui s’apprête à m’interrompre avec un énorme sourire)... et non, je ne parle pas de « Clem » ou de« R.I.S. » ! Canal + fait pas mal de séries, globalement bonnes, « Pigalle La Nuit », « Reporters », Arte s’y met aussi avec « Les Invincibles » et bientôt « Fortunes »...et puis y a « Kaamelott » et « Hero Corp »...
L’amateur de séries (sceptique) : J’connais pas, jamais entendu parlé... enfin si « Kaamelott » j’en ai déjà vu quelques uns, c’est marrant, mais le reste... Nan, mais moi les trucs français de toute façon, c’est pas mon truc...

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Fin de la mise en situation ? Presque, parce que dans l’absolu, je continue à lui expliquer que, dans la fiction française, y a des ‘‘trucs’’ bien, je pitche quelques séries, j’argumente sur leurs qualités... mais j’ai surtout l’impression de tourner en rond. Pourquoi ? parce que ce ‘‘pauvre’’ spectateur élevé à la série américaine (comme moi) n’arrive pas à briser l’association série française = « Julie Lescault » & co.
Au bout, d’un moment, ça m’énerve parce que, si les jeunes générations ne regardent plus les productions françaises, c’est en grande partie à cause de cette flamboyante période de la fiction française que furent les années 90 et l’empreinte hautement négative qu’elle a laissée sur les esprits (à noter que TF1, en continuant à en financer certaines, n’aide pas). Et même si les séries actuelles évoluent positivement, il va être extrêmement compliqué de ramener cette partie de la population devant de nouveaux types de programmes, dont ils n’entendent presque pas parlé, et sur lesquels ils ont des idées pré-conçues. Bref, même agonisante (voire morte), la fiction des 90’s continue à pourrir la production française.
Alors, ça se termine comment ? Et bien, avec moi, râlant sur l’amateur de séries qui en restant sur son idée des séries françaises empêche les bonnes fictions d’avoir l’audience qu’elles méritent et qui, du même coup, confirme les diffuseurs qui continuent de penser que les français veulent de la fiction 90’s, audience à l’appui. Conclusion, on se réveille, on ouvre ses mirettes et on vient regarder sur le Village quelles sont les séries à voir !

Comme ça, vous saurez quoi répondre la prochaine fois qu’on rira lorsque vous dites que vous regardez de la fiction française.