UN VILLAGE FRANÇAIS – Saison 3 : le bilan
Une saison addictive !
Par Sullivan Le Postec • 2 janvier 2011
Pour sa troisième saison selon la nomenclature officielle, c’est-à-dire les douze épisodes de la deuxième année d’Occupation, « Un Village Français » évolue fortement et atteint pleinement ses objectifs : l’empathie et l’addictivité.

La troisième saison de « Un Village Français » est une franche réussite, qui voit la série atteindre pleinement ses ambitions. La manière dont la série a plutôt bien résisté à la programmation lamentablement nulle de France 3 — audience en progression au fil des semaines, mais aussi progression systématique au fil des soirées : non seulement la série ne perdait pas de spectateurs, mais elle gagnait en fait les déçus des programmes d’en face — montre que le public a adhéré, et que les scores moyens d’audience, fatalement en baisse, France 3 doit se les reprocher à sa propre incompétence, et à elle seule. On espère que la chaîne aura la décence de proposer une rediffusion en prime-time l’été prochain, pour permettre aux téléspectateurs qui ont manqué cette saison par sa faute de se rattraper avant que ne débarquent les prochains épisodes.

Comme nous l’avait expliqué Emmanuel Daucé sur le tournage, cette saison a vu la série être re-conceptualisée par ses auteurs, au vu de l’expérience acquise sur les douze premiers épisodes. Le premier changement très visible intervient en fait à l’épisode 3. Jusque-là, « Un Village Français » avait gardé la structure de ses douze premiers épisodes : l’épisode 3x02 se passait en effet trois semaines après l’épisode 3x01. « La Planque » (3x03), lui, se déroule seulement deux jours après, et donne le ton du reste de la saison, qui se déroule sur une quinzaine de jours.

Le temps change

J’étais loin d’être automatiquement acquis à ce changement. Il me semble en effet que les modifications dans la prise en compte de la temporalité dans une série sont assez dangereuses – ça a transformé quelques séries-carrosses en séries-citrouilles, « Battlestar Galactica » récemment. (On a d’ailleurs, en France, tendance à traiter de ce genre de chose avec trop de légèreté.)
Reste que la formule originale de « Un Village Français » — chaque épisode couvrait une journée, les douze journées étant réparties grosso modo sur les douze mois d’une année — était un peu rigide et se prêtait mal à une véritable montée en puissance des enjeux et de la sérialité. Comme le faisait remarquer Philippe Triboit dans l’entretien accordé au Village, grâce à ce changement, cette année la tension ne redescend pas, et les personnages n’ont pas le temps de digérer les évènements et de cicatriser d’un épisode à l’autre.

Pour sa troisième saison, « Un Village Français » joue donc la carte de la série-feuilleton, des cliffhangers et de l’addictivité. Cela fonctionne parfaitement, et nombre de fin d’épisodes donnent envie de passer directement au suivant.

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Néanmoins, ce nouveau rythme apporte aussi quelques (petits) défauts. Il implique ainsi de traiter dans la longueur des préparatifs de l’opération de la cellule communiste, en application de la nouvelle Ligne du Parti, qui leur demande d’abattre des officiers allemands. Si c’est initialement très intéressant, cela finit par tourner quelque peu en rond, et même à virer au comique involontaire, quand Marcel et Suzanne se retrouvent systématiquement désignés pour effectuer les missions préparatoires. C’est d’autant plus embêtant que ces longues séquences s’avèrent... ne servir à rien du tout, quand le plan préparé est mis aux oubliettes au profit d’une opération improvisée à l’instinct dans l’épisode 7. C’est certainement intentionnel de la part des scénaristes. Mais c’est frustrant.
On retrouve un problème similaire ailleurs dans la saison. En effet, si le fait que le personnage du Maire Daniel Larcher se propose comme otage à la place des vingt communistes retenus par les allemands est intéressant pour sa caractérisation, même si les allemands refusent cette proposition, placer ce rebondissement en cliffhanger d’un épisode, c’est faire une promesse aux téléspectateurs qu’on ne tient pas.
Cette hystérisation relative des intrigues est clairement un risque de l’hyper-feuilleton et des cliffhangers systématiques. Mais ces petites maladresses ne sont pas grand-chose face au dynamisme d’une intrigue qui vous emporte dans son flot.

La saison de Marcel

Cette saison assume clairement de mettre en avant certains personnages. A bien des égards, c’est la saison de Marcel Larcher, le rebelle qui a tourné le dos à son héritage familial mais reste un trublion même au sein du Parti Communiste, dont il met régulièrement à mal les principes de discipline. La quasi-totalité des épisodes s’ouvrent sur une scène dans laquelle il apparaît.
Ce qui intéressant, c’est qu’au-delà de l’intrigue qui sous-tend la saison, celle des attentats planifiés par la cellule communiste, le personnage est aussi développé de façon plus personnelle, notamment au travers du très joli épisode « Notre Père » (3x02) qui présente de façon subtile le conflit et le passif qui sépare les frères Larcher. Fabrizio Rongione porte parfaitement bien sa responsabilité de personnage principal de la saison. Il est un des exemples des rencontres entre certains personnages et certains acteurs qui se font tout à fait cette saison.

A l’inverse, certains autres personnages sont clairement mis en retrait — c’est notamment le cas de Henri De Kerven et Marie Germain, qui ont payé le prix de l’embryon de résistance mis en place en saison 2, mais aussi évidemment de Jean Marchetti, que la fin de la saison replace toutefois dans une position stratégique pour la suite.

Un reproche que je pourrais faire à « Un Village Français », c’est que ses personnages peuvent parfois manquer un peu de fantaisie et de caractère. Même le personnage d’Armelle Deutsch dans la saison 2 (Natacha), qui s’y prêtait, restait assez conventionnel, comme si le contexte sérieux de la série pesait excessivement sur les personnages.
Là aussi, la situation s’améliore dans cette troisième saison, et la série commence à imposer quelques figures hautes en couleur. On pense évidemment à Hortense Larcher et à Heinrich Müller (génial Richard Sammel), mais aussi à Jeannine Schwartz que sa situation personnelle radicalise jusqu’à la rendre absolument épouvantable. Mais la série a besoin de temps pour dessiner ces caractères : Yvon, introduit cette saison, ne tient pas tout à fait ses promesses, largement moins tête brûlée que ce que j’avais anticipé.

Les sentiments

La saison 3 du « Village Français » m’a aussi permis de mettre mieux le doigt sur ce qui m’avait empêché d’adhérer pleinement précédemment, sur ce qui m’avait conduit à aimer la série intellectuellement sans parfaitement réussir à m’y attacher.
Frédéric Krivine a une vision de l’amour très triste. Et par triste, je n’entends pas tragique. Non, il s’agit d’une tristesse de la quotidienneté. En fait, la vision de l’amour de Frédéric Krivine est terriblement non romantique. Cette inclination associée aux réalités de l’époque (il faut voir Jules Berriot discuter de son mariage avec Lucienne avec le père de celle-ci...) conduit à un résultat qui peine à séduire la midinette en moi — oui, il y a une midinette en moi, et elle prend pas mal de place.
Il s’agit là d’une affaire de goût, au sens où ceux qui aiment le plus « Un Village Français » l’aiment justement exactement pour cela.

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Mais cette troisième saison a réussi à laisser davantage de place à quelques séquences venant un équilibrer quelque peu la tendance. Je pense par exemple à la magnifique scène de la danse que partagent Lucienne et Kurt à la fête des Catherinettes (2x06) ; mais aussi à la manière dont Suzanne réclame sans cesse à Marcel dans les derniers épisodes un ‘‘mot gentil’’ — au point qu’on ne sait plus bien sur qui elle cherche à faire pression : le personnage ou bien le scénariste ?

Cette saison amène aussi à un premier climax les dilemmes moraux auxquels doivent faire face les personnages. C’est évident en ce qui concerne le Maire Daniel Larcher, totalement pris au piège de ses bonnes intentions, et avec qui on vit pleinement le terrible engrenage de la Collaboration et ses conséquences personnelles. La très réussie scène qu’il partage avec Sarah emprisonnée dans l’épisode final devrait participer à propulser le personnage dans une direction différente pour les saisons à venir...
Là encore, la série prend parfois le risque d’aller loin et d’en faire un peu beaucoup. Le dilemme auquel doit faire face de Kerven est ainsi particulièrement ‘‘plaqué’’, à la limite du Deus ex machina bien pratique pour mettre en place l’un des cliffhangers.

Contrairement à la saison précédente, cette saison 3 se termine par des cliffhangers davantage liés aux personnages qu’à une intrigue, et qu’il sera donc beaucoup plus facile de résoudre au démarrage de la quatrième saison. Les deux suspenses principaux sur la survie de Raymond et d’Hortense sont tout de même un poil classiques, et ont surtout l’inconvénient de se voir venir de très loin.

L’Histoire

Malgré l’intensification de la tension dramatique — qui atteint peut-être son climax un tout petit peu trop tôt, donnant le sentiment que les deux derniers épisodes traitent essentiellement de queues d’intrigues — et la montée en puissance des personnages, « Un Village Français » ne faillit pas à sa mission de série Historique. Mais elle arrive, dans la plupart des cas, à bien intégrer cette dimension didactique aux enjeux narratifs.

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Le fonctionnement d’une cellule communiste, les aryanisations, la collaboration, les rapports entre la police française et l’Occupant, les enfants issus des amours franco-allemandes, la réalité de l’avortement dans les années 40, l’état d’esprit de la société française et la naissance des mouvements de résistance… Lles sujets sont nombreux. Ils sont abordés de façon riche et nuancée et participent clairement à faire du « Village Français » une série différente, et aux ambitions vraiment élevées.


La troisième saison de « Un Village Français » laisse le sentiment d’une série qui a tout-à-fait trouvé son identité. Extrêmement addictive, elle élève de façon très visible le niveau de qualité des trois piliers de la série. L’intrigue, ses enjeux et rebondissements sont plus fluides, plus maîtrisés, et pour tout dire diablement plus intéressants que précédemment. Les personnages s’approfondissent, gagnent en réalisme, en complexité et deviennent aussi plus mémorables. La plongée historique dans la période de l’Occupation est toujours extrêmement soignée, visiblement documentée, et sait braquer ses projecteurs vers des éléments dont l’intérêt dramatique et fictionnel est très fort.
On est très impatient de découvrir ce que nous réservent les équipes de la série maintenant qu’elle a atteint – assez vite, finalement – cette jolie maturité. La quatrième saison arrivera l’automne prochain. Elle sera composée de deux parties de six épisodes chacune qui s’attarderont sur deux périodes de l’année 1942.

P.S : Le numéro 69 du podcast Season 1, en ligne depuis le vendredi 7 janvier 2011, consacrera une séquence, à laquelle je suis invité, à dresser le bilan de la troisième saison de « Un Village Français ».

Post Scriptum

« Un Village Français »
Saison 3, 12 épisodes produits par Tetra Media Fiction pour France 3.
Créée par Frédéric Krivine, Emmanuel Daucé et Philippe Triboit.
Direction d’écriture : Frédéric Krivine.
Réalisateurs : Philippe Triboit (épisodes 3x01 à 3x06) et Jean-Marc Brondolo (épisodes 3x07 à 3x12).

Dernière mise à jour
le 9 janvier 2011 à 21h46