VITE VU ...en janvier • VITE VU
Episode 8
Par Sullivan Le Postec • 2 février 2008
On a vu. On a aimé. Ou pas. On vous dit tout. En bref !
Abordés ce mois-ci : « En marge des jours », « Primeval » (saison 2), « Torchwood » (saison 2), « Moving Wallpaper » et « Echo Beach ».

Comme promis, Vite Vu revient en 2008 sur un rythme mensuel pour chroniquer en quelques mots l’actualité de la fiction européenne et francophone.

A propos de réalité

La question de la réalité et du réalisme semble beaucoup tarauder la fiction française, et les journalistes qui la suivent, depuis qu’elle est en train de tenter de se reconfigurer. C’est vrai, on a beaucoup écrit que les fictions de l’ère du héros-citoyen récurrent en 90 minutes n’étaient ‘‘pas réalistes’’, et qu’on ‘‘n’y croyait pas’’ — ce que l’on ne peut pas nier. Néanmoins, il aurait sans doute fallu se poser deux minutes et réfléchir à ce que cela signifiait réellement plutôt que d’immédiatement chercher à y apporter des réponses. Le manque de ‘‘réalisme’’ de la fiction française n’est pas dû, comme je l’ai lu cette semaine, au fait que les acteurs seraient « trop bien coiffés et habillés » (!). Quelle bizarre spécificité française que cette manie de considérer que, pour que ça fasse vrai, il faut mieux que les acteurs soient moches, la photographie inexistante, le cadre approximatif et l’image baveuse...
Ce manque de réalisme des séries françaises, il provenait sans doute pour partie d’un manque de données pratiques, de documentation. Ici, à une époque où la fiction était à 90% policière, des enquêteurs de 80 ans, dont pas un ne savait tenir correctement son arme de service, menaient les investigations. C’est difficile dans ces conditions de trouver très crédible ce qui se passe à l’écran.

Mais je suis persuadé que la plus grosse partie du problème ne vient pas de là. C’est se tromper que de penser qu’il s’agit d’un problème de réalité documentaire, alors qu’il faut avant tout chercher les manques du coté de la fiction pure. La vérité, c’est qu’un scénario extrêmement bien écrit peut nous vendre un enquêteur de 80 ans. Il faut juste que le personnage soit écrit au millimètre, tienne compte de sa particularité plutôt que de la passer sous silence, que ses motivations soient travaillées et convaincantes, etc.
D’ailleurs, non seulement les acteurs américains sont très bien habillés et très bien coiffés, mais en fait il devient même de plus en plus difficile d’en trouver un-e qui ne soit pas passé par la case chirurgie esthétique. Chaque série US à l’antenne tend à démontrer que cela ne constitue en rien un obstacle à partir du moment où le scénario et l’acteur sont bons.
La réponse est et à toujours été dans la fiction et ses ressorts. Celle-ci existe et est distincte du documentaire justement pour exploiter au maximum les possibités narratives et la mise en avant des personnages.

Dans ce contexte, France 2 diffusait ce mois-ci « En marge des jours » [1]. Michèle Laroque y joue Julie, une femme dont l’homme qui partage sa vie depuis peu est victime d’un grave accident de la route deux mois après qu’ils aient refaits leur vie ensemble. Claude, c’est le nom de l’homme, est victime d’un grave traumatisme crânien. Sa femme (il n’a pas encore eu le temps de divorcer) et mère de ses enfants profite du fait qu’elle constitue l’interlocuteur légal de l’hôpital pour tenter d’évincer Julie. Dans ce téléfilm, le principe de réalité crue est poussé jusqu’au bout : Michelle Laroque, sans maquillage, tourne cette adaptation d’une histoire vraie au milieu d’un vrai hôpital rempli de vraies infirmières et de vrais patients. Le résultat est une fiction aride, imprégnée d’une angoisse sourde et d’une langueur oppressante, qui réussit son pari de retranscrire à la perfection le vécu d’une telle situation. « En marge des jours » est un vrai succès tant en terme de réalisation que d’interprétation.
Mais, en tant que public, est-ce que j’ai vraiment envie de m’infliger ça ? Même en admettant que la réponse soit oui, et au risque d’être bêtement pragmatique, cela sert à quoi ? La fiction a-t-elle quelque chose à gagner à provoquer le même malaise que certains documentaires passablement voyeurs et racoleurs, et à s’affranchir du bon goût pour tourner au milieu de vrais comateux et traumatisés crâniens ? En résumé, la fiction existe-t-elle pour se lancer dans une course éperdue derrière la “réalité vraie” ? Et a-t-elle quelque chose à gagner à la singer ?
Pour tout vous dire, je n’ai pas de réponses à mes propres questions.

Soap & coulisses

C’est un pari culotté et, pour tout dire, très intéressant qu’a mis à l’antenne ITV depuis le 10 janvier. Le vendredi soir de la chaîne privé anglaise est en effet occupée par un duo de séries liées l’une à l’autre : « Moving Wallpaper » et « Echo Beach » [2].

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Moving Wallpaper

« Moving Wallpaper » nous montre l’écriture d’un nouveau soap du soir pour ITV à partir du moment où, 15 jours avant le début du tournage, le producteur est viré pour être remplacé par Jonathan Pope, une pointure connue détestable mais avec ses moments de génie. Problème : la directrice de la fiction de ITV n’a pas recruté elle-même Pope, mais elle le connaît très bien. A l’époque où elle avait bossé pour lui en tant qu’assistante sur « Coronation Street », elle avait vécu l’enfer. Elle se tient à l’affut, prête à le virer à la moindre erreur. Pope décide de jeter à la poubelle tout le concept de série ultra-réaliste qui parlerait de « vrai gens » pour en faire un soap glamour se passant sur la plage, avec de jeunes acteurs blondinets musclés torse-nus pour jouer les surfer (Ed Speleers vu dans « Eragorn »). Les trois scénaristes se voient donc obliger de tout ré-écrire, puis re-ré-écrire, puis re-re-... à chaque fois que Pope est pris d’une lubie de casting et transforme un guest en personnage principal. L’écriture comique de la série est excellente et Ben Miller (de « Primeval », Miller apparaît donc dans deux séries différentes deux soirs de suite) propose une interprétation parfaitement réjouissante.

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Echo Beach

A 21h30, juste après « Moving Wallpaper », ITV propose « Echo Beach », le soap dont on vient de suivre les coulisses fictives la demi-heure précédente. A en juger par les premiers épisodes, c’est clairement là que le bas blesse. « Echo Beach » est un soap de prime-time on ne peut plus classique et dont le pitch est à peu près le moins original de la planète. On y suit le retour dans une petit ville de bord de mer d’un homme et de ses deux enfants après la mort de sa femme. Un retour qui n’est pas au goût d’un couple de la cité, avec lequel l’homme a un passé commun. Pendant que les adultes se déchirent, les adolescents fricotent les uns avec les autres, inconscients de ce qui s’est joué 20 ans plus tôt. [Bâillement réprimé.]
Il faudra voir au fil du temps (douze épisodes de chaque série sont tournés) si « Echo Beach » parvient à décoller ce qui semble pouvoir se faire de deux façons : soit devenir un vrai bon soap, soit profiter à fond du concept et tirer parti du décalage parodique.

Une équipe et des monstres

En Angleterre, le mois de janvier a été marqué par le retour de deux séries qui confrontent une équipe de choc à des invasions de monstres pas toujours faciles à éliminer. Sur ITV, « Primeval » [3] faisait son retour, quand « Torchwood » [4] revenait sur BBC2. Dans les deux cas, les premières saisons n’ont pas entièrement convaincu, même si elles avaient quelques points forts. Ce qui est intéressant c’est que les failles des deux séries sont en quelque sorte le reflet l’une de l’autre dans un miroir. En clair, on se dit parfois que le meilleur moyen de faire de « Primeval » et « Torchwood » de bonnes séries, ce serait de les hybrider.

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Torchwood

« Torchwood » a un énorme problème de personnages, qui constituent un ensemble globalement antipathique et inconsistant. A coté de cela, elle a installé une atmosphère intéressante et propose au moins à l’occasion des intrigues intrinsèquement dignes d’un certain intérêt (pas facile à maintenir en l’absence totale d’empathie avec les personnages, c’est certain). « Primeval », de son coté, est une fiction qui cible un public familial et veut notamment rassembler un public jeune. Elle commet l’erreur que « Doctor Who », tournée vers la même cible, évite avec tant d’élégance : s’adresser régulièrement au jeune public comme à des débiles fermeront les yeux sur toutes les incohérences. A coté de cela, ce qui est paradoxal, « Primeval » développe pourtant une mythologie d’un certain potentiel. Et le casting de l’équipe, pourtant réuni sans grande hauteur de vue (‘‘Et si on engageait la nana de « S Club 7 » pour la montrer en sous-vêtements ?’’) compose un groupe attachant et où la solidarité et l’amitié arrive à ressortir derrière les coups de gueule du moment.
Les saisons 2 de ces deux séries montrent-elles des progrès ? Après 3 épisodes de chaque, c’est plutôt oui. Pour « Torchwood », l’amélioration est assez marquée. Jack Harkness a enfin l’air d’être le même personnage que celui qui apparaît dans « Doctor Who », et certains autres personnages de la série commencent même à devenir sympathiques — Ianto, Gwenn et Tosh. Quand à Owen, il est au moins devenu tolérable. De plus, les scénaristes essaient visiblement de montrer des signes qu’une véritable équipe existe, et que quelque chose retient ces gens ensemble au-delà de leur travail. Il restera à faire un point plus détaillé à l’issue de la diffusion des 13 épisodes.

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Primeval

« Primeval » n’a pas forcément beaucoup progressé sur ses défauts. On y va toujours affronter des monstres sanguinaires en short et chemisette, avec une arme et trois munitions pour quatre, et une histoire sur deux se révèle inconséquente. Mais d’un autre coté, la série améliore aussi ses qualités. Elle se montre capable de mettre en scène une backstory ambitieuse et, plutôt que de résoudre son cliffhanger en 22 secondes, s’en sert pour modifier profondément la dynamique du show. Parallèlement, les forces en présence se multiplient et on est de plus en plus intrigué par les tenants et aboutissants de l’intrigue. Et les personnages sont toujours aussi engageants et sympathiques, alors même que la série s’est permise des changements assez marqués entre eux, et de faire apparaître une ligne de fracture entre certains d’entre eux. Le dernier épisode de la première saison avait agréablement surpris. On espère que cette saison se terminera sur une note du même ordre.


N’hésitez pas à venir sur le forum, notamment pour y commenter les saisons 2 de « Primeval » et « Torchwood ».

Dernière mise à jour
le 2 février 2008 à 23h22

Notes

[1France 2 / 13 Production.
Ecrit et réalisé par Emmanuel Finkiel.
Avec : Michèle Laroque, Wladimir Yordanoff

[2ITV.
Kudos et Red Films Productions.
Moving Wallpapers
Créé par : Tony Jordan.
Avec : Ben Miller.
Echo Beach
Produit par : Jonathan Pope.
Avec : Jason Donovan, Martine McCutcheon, Ed Speleers.

[3Primeval
ITV – Impossible Pictures.
Créée par Tim Haines et Adrian Hodges.
Avec : Douglas Henshall, James Murray, Andrew-Lee Potts, Hannah Spearritt, Lucy Brown, Ben Miller.

[4Torchwood
BBC – BBC2
Créé par : Russel T Davies.
Avec : John Barrowman, Eve Myles, Burn Gorman, Naoko Mori, Gareth David-Lloyd.