DOCTOR WHO - SP.03 : The Waters of Mars
"I’m the Time Lord Victorious !"
Par Sullivan Le Postec • 20 novembre 2009
Ouch ! Cet épisode est le parfait contraire du précédent. Mais pose le même problème : qu’en dire ?

’Your song must soon end’’. ’’He will knock four times’’. Tendu et seul, le Docteur avance vers une fin qu’il sait proche et qu’il pressent inéluctable. Et c’est justement pour cela qu’il commet l’erreur fatale qui va la précipiter.

The Waters of Mars

Écrit par Russel T Davies et Phil Ford. Réalisé par Graeme Harper.
Le Docteur arrive sur Mars et y découvre une base. Il comprend bientôt qu’il s’agit là de la toute première colonie humaine sur Mars, menée par le Capitaine Adelaide Brooke. Et cette nouvelle est pour lui un choc. Car il sait que tous ces colons vont mourir. La destruction de la Base Bowie de Mars est un point fixe dans le temps, un événement clef qui va conduire l’humanité dans l’espace en nourrissant la passion de la petite fille d’Adelaide. Partagé entre son instinct et une passivité qu’il sait nécessaire, le Docteur assiste à la contamination des colons par une force aquatique. Il sait qu’il doit s’éloigner. Il le fait bientôt. Mais ne peut s’empêcher de s’interroger. Et s’il n’était pas, comme il se présente lui-même depuis des années, juste le dernier survivant des Time Lords. S’il était plutôt le Time Lord Victorieux. Alors les lois du temps ne s’appliqueraient plus à lui. Parce qu’alors, ce serait à lui d’écrire la loi...

Red Pas Christmas

Au commencement, quand Russel T Davies a décidé qu’il serait bien, au moment de la transmission de pouvoir entre lui et son successeur, qu’il y ait une année de pause pour redonner faim au public et permettre à « Doctor Who » de se régénérer, le concept était vu comme une année complète de pause. Le plan originel prévoyait le tournage de trois épisodes spéciaux. L’un diffusé à Noël 2009, les deux autres, formant une seule histoire, début 2010. Il y aurait donc eu une année entière sans « Doctor Who » entre Noël 2008 et Noël 2009. Dans cette ligne de temps alternative, « The Waters of Mars » se serait intitulé « Red Christmas » et aurait été diffusé le 25 décembre prochain.
Remerciez les quelques scandales ayant secoué la BBC en 2008, ils ont incité la Direction de la chaîne à décider qu’une telle option était impossible. Et à demander l’impossible en retour : caser un épisode de plus dans le planning de David Tennant, quitte à ce que cela implique un tour de force (tourner un épisode en janvier-février pour le diffuser à Pâques), et remplir autant que possible cette année (c’est ainsi, aussi, que sont nés l’apparition de Tennant dans le spin-off « The Sarah Jane Adventures » ainsi que l’épisode animé « Dreamland »). De cette première vie, cet épisode garde sa scène finale sous une neige de fête. Mais l’idée qu’un tel mixe de noirceur absolue et de quasi-horreur ait été prévu pour une diffusion le jour de Noël fait prendre conscience à quel point l’équipe, pour son départ, a choisit de faire exploser les règles de la série. Tout comme le Docteur fait sauter celles du Whoniverse.

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On en aurait bien pris pour 30 saisons plutôt que 3

Vu de novembre, la légèreté de « Planet of the Dead », qui virait souvent à l’inconséquence, fait presque plus sens. Vu le niveau de ténèbres dans lesquelles Russel T Davies s’apprêtait à plonger le Docteur, on comprend rétrospectivement mieux son envie d’un épisode qui soit du pur fun sur la base d’un scénario ticket de métro. « The Waters of Mars » est à l’autre bout du spectre. L’épisode contient une histoire beaucoup plus riche, même si pas fondamentalement originale, de ’’base under siege’’, ce à quoi il ajoute une histoire émotionnelle d’une grande complexité et d’une grande densité, qui implique un travail de précision sur l’écriture de la dynamique entre les deux têtes d’affiche de cet épisode, Adelaide Brooke / Lindsay Duncan et le Docteur / David Tennant. Il faut en effet écrire la tension qui provient du fait que, pour le Docteur, Adelaide est une figure historique comme Shakespeare ou Agatha Christie – sauf que nous, téléspectateurs, ne la connaissons pas. Et il y a l’absence de Compagnon qui permettrait d’expliquer le scénario, d’exposer facilement l’importance du sort d’Adelaide et du sort auquel elle est destinée. Pour permettre que ces faits soient dits, Davies et Ford utilisent de quelques trucs (comme les apparitions de nécrologies de sites d’info, dont j’ai trouvé qu’elles remplissaient bien leur fonction de dramatisation), et doivent installer un lent rapprochement, une lente suspicion/compréhension de la part d’Adelaide qui mène tout droit à la confession de la très grande scène du sas.
Portés par cette écriture au cordeau, et bien soutenus par la distribution internationale réunie, Duncan est exceptionnelle, quand Tennant est tout simplement ahurissant. Et il l’est tout autant alors qu’il doit être une force d’attraction magnétique mais passive, tandis qu’il regarde les colons se démener contre une fin inéluctable qu’à la fin, quand le Docteur pète littéralement les plombs. Forcément, « The Waters of Mars » fait naître une frustration : on ne peut pas avoir envie, après d’en arriver au départ de David Tennant. Reste qu’il est aussi vraiment agréable de se dire qu’il va pouvoir quitter le rôle sur une note créative aussi haute. (On espère quand même que NBC ne va pas gâcher son immmmmense talent dans un procedural générique.)

Part 1

Comme le spécial de Noël, cet épisode de 60 minutes est structuré en deux parties d’une demi-heure. La première est la plus classique, présentant la menace et la montrant passer à l’action. Plusieurs éléments contribuent toute fois à la rendre déjà mémorable.
D’abord, il y a la très inhabituelle et out-of-character passivité du Docteur — que l’on n’avait jamais réellement vu qu’une fois jusqu’ici, de manière beaucoup moins appuyée, dans « The Fires of Pompeï », l’excellent épisode de la saison 4 qui se basait déjà sur ce concept de point fixe dans le temps.
Il y a aussi le personnage peu ordinaire d’Adelaide Brooke, qui montre une évolution intéressante de la série. En effet, au départ, personnage de Rose Tyler, 19 ans, a été spécifiquement conçu par Davies pour amener les petites filles à regarder la série (alors que la première incarnation de « Doctor Who » était essentiellement un phénomène masculin, surtout les dix dernières années). L’adhésion qui s’est développé chez tous et toutes pour le personnage du Docteur a permis à la série de ne plus forcément avoir besoin d’un personnage féminin qui soit un vecteur d’identification immédiate pour les jeunes filles. Cette préoccupation était encore présente au moment du développement de la saison 4 quand Davies mûrissait l’idée d’une partenaire plus âgée pour le Docteur, qui s’était finalement avéré être le retour de Donna. Là, cette règle est explosée. Non seulement Adelaide a 60 ans, mais c’est une femme à l’apparence extérieure assez dure, peu encline à laisser voir ses émotions. Même si cette heure suffit pourtant à montrer qu’elle en a, pourtant, et à la rendre diablement attachante.
Et puis il y a l’aspect horrifique des monstres. C’est la première fois que « Doctor Who » s’aventure à la limite du gore. D’ailleurs l’équipe de la série a porté une attention toute particulière à cet élément. Davies a notamment veillé, au tournage à atténuer cet aspect. C’est pour cela que la troisième infectée ne porte pas les lentilles de contact : à la vue des rushes, Davies a préféré les retirer, ce qui lui laisse un visage plus humain (il était trop tard pour retirer les lentilles des deux premiers infectés ou retourner leurs scènes déjà en boite). On sait d’ailleurs que, sur le coup, Tennant a un peu râlé contre cette prudence. C’est sans aucun doute la même démarche qui a conduit la production a dévoiler il y a longtemps une photo en gros plan du monstre, histoire d’habituer à son visage et d’atténuer le choc de sa première apparition...

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Emotional break-down

La seconde partie de l’épisode est toute entière portée sur l’émotion, et les rebondissements de l’intrigue à proprement parlé n’y sont plus qu’un arrière plan (c’est donc l’inverse de la structure de « The Next Doctor »). La séquence effectuant la bascule est celle où le Docteur explique le concept de point fixe dans le temps à Adelaide, et où on découvre ce qui l’a motivée, elle, à explorer l’espace : une ’’rencontre’’ absolument magnifique avec un Dalek ayant eu lieu pendant les événements du season finale de la saison 4, en 2008. Cette séquence, celle du Docteur prenant la décision de quitter la base sont très légères en dialogues et reposent aussi sur un score de Murray Gold en très grande forme, à la fois éclectique et cohérent.
Alors qu’on atteint la fin de son run, l’empathie entre le public et le Docteur est une donnée acquise. Le script de Davies et Ford en abuse de manière extrêmement courageuse et inspirée en poussant le Docteur dans ses derniers retranchements, provoquant du même coup un délicieux malaise du coté du spectateur, confronté à un personnage auquel il s’identifie et qu’il aime profondément... et qui se conduit très mal ! La série a déjà joué à quelques reprises avec les parallèles divins appliqués au personnage du Docteur. Cette idée atteint ici sa phase ultime quand, in fine, le Docteur se met à se prendre pour Dieu et à s’accorder tous les droits sur le reste de l’Univers. A cet instant, qu’est-ce qui le sépare encore du Maître ?
Entièrement portée par l’émotion, l’empathie, le phénomène de l’identification, cette seconde partie d’épisode est l’incarnation même de ce que le genre série télé peut faire. C’est difficile à analyser, même simplement à verbaliser. Nous sommes dans le ressenti pur. Difficile de ne pas ressortir de ce visionnage quasi-lessivé. Surtout que le moyen de ramener le Docteur – et le téléspectateur – à la réalité passe par rien de moins que le suicide du second personnage principal de cet épisode.

Notes

> La rue qui sert de décors à la scène finale est très jolie, mais malheureusement assez rétro. Elle laisse penser au spectateur que le Docteur a conduit les trois survivants dans le passé, ce qui aurait à la fois permis de leur sauver la vie et de ne pas altérer le futur en laissant tout le monde croire en leur mort en 2059. Une solution évidente au conflit moral de cet épisode, dont on peut accepter que le Docteur, tout à son délire égotique, ait décidé de la négliger. Mais qu’il aurait quand même mieux valu ne pas suggérer.
> Comme toujours sur les épisodes spéciaux, les qualités de production sont absolument spectaculaire. Pour un budget de télévision, la reconstitution de Mars est exceptionnelle. Dans ce contexte, dommage qu’il faille faire avec un montage parfois très maladroit, notamment dans la première scène où les monstres propulsent un jet d’eau et dans celle du suicide d’Adelaide.
> « The Waters of Mars » montre quelques séquences de contaminations spectaculaires. Pourtant, la plus efficace est sûrement celle de Roman, touché par une simple goutte.
> Sans recourir à un cliffhanger au sens propre du terme, dans la lignée des ’’what ?!’’ habituels de fin de saison, la conclusion de cet épisode est frustrante à souhaite et donne diablement envie d’être déjà le 25 décembre.
> Si, comme moi, vous avez désespérément besoin d’une mise en appétit, rappelez-vous que ce vendredi 20 novembre, à l’occasion de Children in Need (sorte de Téléthon local au profit des enfants défavorisés), la BBC diffusera un extrait de « The End of Time Part 1 » entre 20h et 20h30 heure de Londres.
> Bon, ben j’ai trouvé des trucs à dire finalement. :-)

Post Scriptum

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Note mentale : reconstituer un stock de mouchoir avant la fin du mois prochain.