LE QUINZO — 2.11 : Change only we seem to believe in
Toutes les deux semaines, l’humeur de la rédac’ du Village.
Par Sullivan Le Postec & Dominique Montay • 7 mars 2011
Le Quinzo, saison 2, épisode 11. Dominique nous parle de l’Arlésienne de la fiction française : le showrunner. Y en aurait-il déjà en activité ? Quant à Sullivan, il répond au courier des lecteurs.

Dessine-moi un showrunner

Par Dominique Montay.

On en parle dans le dernier podcast. L’arlésienne de la télévision française. A chaque fois qu’on se dit : c’est bon, on y arrive ; généralement, non, on se plante. Soit les chaîne nous disent qu’ils en cherchent en France, mais que ça n’existe pas. Soit ils ne disent rien et on comprend que ça les arrange bien de ne pas en avoir sous la main. Quoi qu’il arrive, le sujet du showrunner traîne depuis des années en France sans qu’on arrive à en faire quoi que ce soit.

Diviser pour mieux régner. C’est une stratégie qui se défend, et qui est au cœur des préoccupations des dirigeants de chaînes. Fabrice de la Patellière nous le disait même sans s’en cacher dans l’interview exclusive qu’il nous a donné l’an dernier. Plutôt qu’une seule personne qui dirige tout, il préfère observer une trinité voir le jour, formée d’un producteur, un réalisateur et (parce qu’il ne peut pas vraiment faire autrement), un scénariste. Et du coup (mais ça il ne nous le dit pas, on spécule), il se retrouve dans une posture bien plus simple à gérer quand il s’agit de faire passer les idées de la chaîne.

Et si Canal+ ne montre pas de chemin différent que les autres, on l’a déjà dit ici, qui va le faire ? Qui va décider de franchir le pas ? Heureusement, nous constatons depuis quelques années l’apparition d’une génération spontanée de showrunner (il n’existe pas, en France, de formation pour ça, jusqu’à ce qu’on me prouve le contraire). Mais dans une définition bien française de la chose. Vu que le poste n’existe pas et n’est pas négociable, il faut trouver une parade.

La version anglo-saxonne du métier : un showrunner, s’il est avant tout le scénariste principal d’une série, il est aussi mêlé à toutes les étapes de la création d’un projet, du casting au montage. Mêlé. Ca ne veut pas dire qu’il fait tout, mais juste qu’il comprend toutes les étapes, et est capable de donner son avis. En France, la définition de ce terme qui n’existe pas, c’est : un type qui accepte de tout faire pour garder la main sur son projet. Ce n’est pas ici, un showrunner, mais un homme-orchestre.

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Un showrunner français en plein travail

Pour information, en France, les hommes (pour l’instant, il n’y a que des hommes) qui font ce travail s’appellent Hervé Hadmar qui écrit, réalise, monte, mixe, et les demi-frères Astier, qui en plus, jouent… Pour au final des séries courte en nombre d’épisodes, qui, en plus, pour le cas de « Pigalle, la nuit », sont livrées au compte-goutte : deux saison en 3 ans (à ce rythme-là, l’intrigue de la saison 6 montrera Nadir tenter de monter un spectacle de strip à la maison de repos du Blanc-Mesnil, un full-nude show avec des femmes qui ont connues la TSF). Commente réagiraient-ils si demain on leur annonçait que leur série serait soit reconduite tous les ans, soit augmentée en volume annuel ? Ils seraient obligé de céder la réalisation à quelqu’un d’autre. Mais qui ? Un homme de confiance ? [1] Heureusement, ça existe, mais on peut toujours être surpris. Comment cet homme de confiance vivrait l’omni-présence de l’auteur, sachant qu’en aucun cas c’est une prérogative contractuelle ?

L’autre cas à part, que Sullivan saura mieux vous développer que moi, c’est celui d’Olivier Szulzynger, récemment revennu à la Direction de « Plus Belle la Vie » mais il ne peut rentrer dans une case, car il gère une série quotidienne, dont le flux (et la réussite) empêche forcément un peu l’interférence de la chaîne.

Des cas existent, ici et là, où tout se passe dans la plus belle harmonie. La fameuse trinité. Mais pas sur Canal, pas de bol. « Un Village Français » avec son trio Krivine-Triboit-Daucé, qui semble mettre en place le seul modèle viable (intermédiaire) à l’heure actuelle en France. Mais il est né d’une envie de producteur, et venant d’une boîte plutôt installée, et qui peut se targuer d’avoir entre ses mains un succès à la fois critique et d’audience. Et pour cet exemple, combien de « Maison Close » et leur conception ultra-fragmentée qui aboutit à un échec artistique flagrant ?

Donc des solutions existent pour contourner le problème du showrunner. Devenir homme-orchestre, tomber dans la bonne boîte de prod avec le bon projet, faire une quotidienne… Autant dire des cas isolés qui ne peuvent pas vraiment faire école. Mais on espère, nous, au Village, qu’un jour les dirigeants de chaînes décideront de faire la bascule, d’arrêter de penser qu’on peut capitaliser éternellement sur les succès du passé, ou rester en boucle sur les mêmes principes.

Surtout quand ils sont mauvais.

On en parle quand ?

Par Sullivan Le Postec.

Il y a quelques semaines, Boucot me posait via Twitter (followez Le Village !) une question dont la réponse mérite d’être développée ici. Nous venions de publier la critique de la saison 2 de « Misfits », par Dominique, et Boucot se demandait pourquoi nous en parlions (et en dévoilions la teneur) alors même que la première saison venait tout juste d’être diffusée en France sur une chaîne du réseau Orange, et que cette nouvelle saison ne pointerait pas le bout de son nez en France avant pas loin d’un an.

La question de savoir de quoi parler, et quand, est une problématique au cœur du travail de ceux qui essayent de parler de séries en France. Elle l’est encore plus au Village.

Si vous traitez des séries américaines, la question se pose, et elle est d’ailleurs au centre de la quasi-disparition d’une presse haut de gamme traitant des séries, alors qu’il existe une grosse demi-douzaine de titres consacrés au cinéma ([mode copinage] dont un nouveau qui s’appelle Cinema Teaser et qu’on vous conseille [/mode copinage]). Mais elle peut se trancher en fonction du public que vous visez dans vos écrits. Un public généraliste de quotidien ou d’hebdo télé ? Globalement, ils attendent le bon vouloir de TF1 ou de M6. Les passionnés de série ? En très grande majorité, ils suivent leurs séries au fil de la diffusion américaine, via internet. C’est la conséquence à la fois de la très grande disponibilité des épisodes et de la structure relativement simple de la diffusion américaine, qui fait qu’il est facile de s’y retrouver : les nouvelles saisons commencent en septembre-octobre, et les 22 à 25 nouveaux épisodes sont égrainés entre cette période et la mi-mai.

Maintenant si vous traitez, comme Le Village, de fictions étrangères mais européennes, vous rajoutez à tout cela un nouveau degré de complexité. Les saisons sont courtes, elles sont dispersées tout au long de l’année, et plus difficiles à trouver, aussi bien en ligne que via les offres légales (soyons honnête : une diffusion sur une chaîne Orange ou pas de diffusion du tout, c’est grosso modo la même chose).

Ils y a bien une poignée de fans des territoires sériels alternatifs qui vont souvent coller de près à la diffusion originale. Et il y a quelques rares grande marques du côté des séries anglaises, dont « Doctor Who » est l’exemple le plus évident – la différence assez spectaculaire des statistiques des lecture des critiques de la série entre la diffusion originale anglaise et la diffusion française, à l’avantage massif de la première, en dit sûrement long sur les audiences décevantes de la saison en cours sur France 4.
Or ces exceptions, ces séries seront souvent vues de façon très individuelle : en gros chacun intègre celles qu’il a envie de voir à son planning, quand il a le temps.
Pas besoin d’aller très loin pour en trouver la démonstration : la rédaction du Village fait très bien l’affaire. J’ai vu « Misfits » saison 1 juste avant la diffusion de la deuxième, Emilie a vu « Sherlock » cet hiver, et Dominique a découvert « Luther » quelques mois après son passage sur la BBC.

Dès lors, la réponse devient relativement claire : il n’y a aucun bon moment pour parler de ces séries. Du coup, on en écrit dessus et on publie... quand on les regarde ! C’est à peu près aussi simple que cela.

Cela traduit aussi une volonté éditoriale du site : celle d’écrire des articles qui ne sont pas uniquement destinés à être lus dans les deux semaines de leur publication, mais au contraire à produire du stock, de l’archive qui peut garder de l’intérêt au fil du temps. Cependant, si Google charrie pas mal de visiteurs vers ces archives, si nous les remettons en avant sur la home à l’occasion d’un événement ou d’une diffusion française, force est de reconnaître qu’actuellement, les retrouver dans les entrailles du site n’est pas chose aisée.

Mais ça, on y travaille !

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Les archives du Village sont (un peu !) plus facilement accessibles que ça