LE QUINZO — 3.16 : Une rubrique libre et non faussée
Toutes les deux semaines, l’humeur de la rédac’ du Village.
Par Sullivan Le Postec & Dominique Montay & Nicolas Robert • 30 avril 2012
Le Quinzo, saison 3, épisode 16. Sullivan s’interroge sur les concurrences du PAF ; Nicolas a découvert une série Suisse, « 10 » ; quant a Dominique, il constate que si les auteurs de « Fringe » sont des malins, Howard Overman beaucoup moins.

De quoi concurrence est-elle le nom ?

Par Sullivan Le Postec.

La dogmatisation complètement irraisonnée des préceptes de concurrence « libre et non faussée » a beau avoir conduit une bonne partie du monde occidental dans le mur, ils sévissent toujours comme si de rien n’était, et dans la même totale absence de réflexion.

Il y a deux semaines, on apprenait que l’Autorité de la concurrence avait décidé de l’ouverture d’une « enquête approfondie » sur le rachat des chaînes Direct 8 et Direct Star par le groupe Canal+. Elle estime que l’opération présente « des risques sérieux d’atteinte à la concurrence ».

Mais enfin, de quelle concurrence parle-t-on ?

Depuis près de 30 ans, il n’est jamais question dans la politique des médias française que de concurrence industrielle. Pour mieux arbitrer des combats entre corporation qui n’ont absolument strictement aucun intérêt pour ceux qui n’en sont pas actionnaires, ce qui constitue tout de même l’immense majorité, on mouline dans le vent, on crée des bulles et des chimères. Le diagnostic de ces dérives n’est plus difficile à faire. Pourtant, elles se répètent. Et une question, la seule question qui compte, reste irrémédiablement absente des débats : quel est l’intérêt des spectateurs ?

S’être posé cette évidente question aurait permis d’éviter bien des errements. Par exemple, quel était l’intérêt des spectateurs dans l’existence de deux réseaux concurrents de télévision par satellite, comme cela a été le cas à l’époque de CanalSatellite et TPS ? Aucun. Les vrais rapports de concurrence, ils sont entre les moyens d’accès à la télévision : le satellite versus le câble versus l’ADSL, par exemple. L’existence de deux réseaux satellite, et de leurs logiques de chaînes exclusives, s’est en vérité révélée préjudiciable au spectateur : il aurait fallu qu’il s’abonne deux fois pour ne pas être privé d’accès à certaines œuvres. Résultat prévisible de cette chimère, un réseau a vite finit par manger l’autre. Que de temps et d’investissements se seront envolés en fumés dans l’opération, qui auraient pu être investi de manière plus productive et intelligente !

En s’occupant de façon déraisonnable de ces concurrences industrielles, on a complètement délaissé le terrain de la concurrence importante, celle des antennes et des programmes. On a abouti ainsi à la constitution d’un paysage audiovisuel français organisé par les chaînes privées pour le rendre aussi peu concurrentiel que possible. C’est, entre autres du même type, l’exemple symptomatique des carrefours horaires, que je donnais dans ma tribune « Médias : volontarisme, ambition et pragmatisme doivent être le cœur d’une politique de gauche ».

Mais imaginons un instant le pire scénario possible, selon l’Autorité de la concurrence, se réalise. C’est-à-dire que Canal+, malgré ses engagements contraires, utilise sa position dominante dans le domaine de la télévision cryptée pour faire des deals groupés et préempter les droits en clair pour ses chaînes Direct 8 et Direct Star. Alors les acquisitions étrangères se retrouveraient programmées avant tout sur des chaînes périphériques, et les plus grosses chaînes devraient revenir à une création originale ambitieuse pour conserver leur leadership.
C’est-à-dire très exactement la situation, très saine, des pays qui nous entourent.

Aujourd’hui, la nécessité de la concurrence est brandie pour, en vérité, obtenir la préservation de privilèges indus. Les premiers lésés, évidemment, sont les téléspectateurs — et les créateurs.

« 10 » : Quand la Suisse abat ses cartes…

Par Nicolas Robert.

Au Village, on évoque beaucoup des fictions venues d’Angleterre (la dernière dont on parle, c’est « Luther »), de l’Europe du Nord (« Borgen », « Akta Manniskor » / Real Humans ou « Forbrydelsen » / The Killing), d’Allemagne (« Médicopter », non c’est pas vrai)… Aujourd’hui, préparez vos valises à séries : je vous emmène en Suisse, pour parler thriller, huis clos et poker.

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Le poker et la fiction, c’est une longue histoire. Mais si on se souvient plus volontiers des Joueurs de John Dahl au ciné que de « Lucky » à la télé (sur la chaîne FX), le fait est qu’il n’est pas toujours facile de trouver une série capable de magnifier la tension cristallisée par n’importe quelle partie.

Avec « 10 », série proposée sur la Télévision Suisse Romande à la fin de l’année 2010, et que TV5 Monde rediffuse actuellement (les épisodes sont notamment dispos en catch up TV), on a peut-être la bonne formule.
Tout ça grâce à une dizaine de personnes dans un appartement moderne de Genève, un 31 décembre, pour une partie de poker clandestine.

L’histoire : un diplomate chinois, une grand-mère très déterminée, un mystérieux garçon en sweat à capuche, un jeune homme bègue, un mec rustre et vulgaire, deux jeunes femmes et un ombrageux barbu sont installés autour de la table pour jouer. Au côté d’un croupier prof de poker et de l’organisateur de la soirée, chacun est venu avec 60 000 francs suisses : le vainqueur de la soirée remportera la totalité de la mise.

Composée de 10 épisode et créée par Christian Marzal, Christian François et Jean-Laurent Chautems, 10 s’appuie sur ses caractéristiques propres pour poser un récit alerte, dont les enjeux deviennent vite de plus en plus complexes. Sur la forme d’abord, puisque les épisodes ne durent que 24 à 25 minutes : pas le temps de se perdre dans des intrigues trop périphériques. Sur le fond ensuite, puisque l’on se rend rapidement compte que tout ne porte pas seulement sur les cartes qui s’abattent sur la table.

Chaque personnage a en effet une raison bien précise d’être là : grâce à des flashback glissés ça et là dans le récit (avec des « woosh » mais pas de fumée noire ni d’ours polaire), tous prennent progressivement du relief alors que, parallèlement, une énigme se glisse dans l’histoire.

Malins, les scénaristes ont construit chaque épisode de façon à ce qu’il se termine sur un élément qui vient brouiller les cartes dans l’histoire. Coup de théâtre (coup de poker ?) ou info inattendue, l’effet est assuré : on est très vite intrigué et on se prend au jeu.

Embarqué dans cette histoire qui magnifie les couleurs froides (le travail d’Aldo Mugnier est superbe) et s’appuie sur des acteurs en bonne forme (au générique, on retrouve Jérôme Robart, vu dans « Reporters » et en ce moment au « Village Français », et Bruno Todeschini, que l’on a croisé le mois dernier dans « Antigone 34 » sur France 2), vous risquez de devenir vite accro. Moi, je vous avoue que c’est mon cas… donc j’espère que la conclusion sera à la hauteur.

La bande-annonce :

Pour en savoir plus, rendez-vous sur le site de TV5 Monde (et sur le blog My Télé is rich, grâce à qui j’ai fait cette chouette découverte).

Inspiration, Howard Overman, le Docteur et JJ Abrams (secouez fort)

Par Dominique Montay.

Parfois l’inspiration vient de souvenirs, de fragments de mémoire. Parfois, elle peut venir d’une autre œuvre que la sienne. On regarde quelque chose à la télé, au cinéma, on se focalise sur un point de détail et on se dit “tiens, j’aimerais bien développer cet aspect”.

Je découvre, bien en retard, depuis un an maintenant, la série « Fringe ». Lors de sa très imparfaite saison 1, au terme de l’épisode 4 diffusé en septembre 2008, un personnage nommé The Observer converse avec la co-star de la série, Peter Bishop, interprété par Joshua Jackson. Peter pose des questions à l’observateur, qui les répète... puis il est synchrone. Enfin, il les dit avant Peter.

C’est marrant, ça me dit quelque chose...

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« Doctor Who »
« Midnight »

Hé, les gars, vous auriez pas vu « Midnight », dans la saison 4 de « Doctor Who », diffusée 3 mois avant ? Alors, c’est certain, le script de l’épisode qui empreinte la même dynamique que « Midnight » a été écrit avant la diffusion en septembre. Mais la diffusion de l’épisode de « Doctor Who » ayant eu lieu en juin... de là à penser que les auteurs de « Fringe », en pleine période d’écriture du début de la saison se sont dit qu’ils allaient intégrer ça...

C’est un fait anodin, ça ne risque pas de soulever de cohue, et surtout, il n’est pas du tout étonnant de voir deux séries de science fiction contemporaine l’une de l’autre partager des éléments narratifs, ou juste des détails. Si on va par là, le principe même des Observateur fait presque penser à des Time Lords impassibles, condamnés à observer la ligne du temps en n’intervenant que rarement.

Et même la fin de la saison 3 (Attention, les gens, SPOILER), qui nous montre un Peter qui disparaît sans laisser de trace dans la mémoire de ses amis et de sa famille, nous ramène à l’épisode de la saison 5 de « Doctor Who », « Cold Blood », quand Rory disparaît dans une faille et de la mémoire d’Amy.

Ça fait beaucoup de coïncidence, quand même. Après, loin de moi l’envie de taxer les auteurs de « Fringe » de plagiat. Au plus fort de ma volonté d’interagir avec eux, je me contenterais juste de leur dire félicitations. Et oui, ils ont bon goût. Ils regardent « Doctor Who » !

D’autres auteurs, hélas, aiment à s’inspirer d’eux même et recycler leurs anciennes idées. Dans un papier à venir, vous pourrez constater que j’ai vu et, par moments, apprécié « Dirk Gently » du décidément déroutant (et surtout rageant) Howard Overman. Je vais encore SPOILER, attention.

On a tous été, sur ce site, atterrés par sa « boucle temporelle de l’amuuur » dans la fin de la saison 3 de « Misfits ». Pour résumer, même si ça n’a aucun sens, alors qu’Alisha vient de mourir, Simon décide de partir dans le passé, non pas pour la sauver, mais pour la croiser un an plus tôt, la séduire et se la faire... et mourir. Leur histoire d’amour s’en retrouve bloquée pour l’éternité. C’est beau... euh, non... en fait c’est très con. Mais ça ne vient pas de nulle part.

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« Misfits »
Simon et Alisha dans la saison 2 quand la série était encore sublime et que leur amuuur n’avait déjà pas beaucoup de sens (Oh le malin !).

Cette génialissime idée, Howard Overman de « Misfits » l’a piquée à Howard Overman de « Dirk Gently ». Dans l’épisode pilote diffusé en décembre 2010, la propriétaire d’un chat disparu raconte qu’elle a eu un premier chat, venu chez elle assez vieux et décédé, puis un second tout jeune, sosie de son premier chat, aujourd’hui, donc, disparu. Gently lui explique que c’est le même chat, non pas disparu, mais revenu dans le passé avec une machine à remonter le temps dans la seule maison qu’il connaissait, la sienne. Komcémeugnon.

Ce qui fonctionnait assez habilement chez Gently, Overman se l’est recyclé dans « Misfits », avec la réussite (ironie) qu’on connaît. Et autant j’avais envie de féliciter les auteurs de « Fringe » pour avoir puisé leur inspiration dans une série que j’aime, autant j’ai surtout envie de demander à Howard Overman s’il ne se fout pas un peu de notre gueule.