PLATANE — Saison 1
Canal+ fait son retour à la comédie en série avec « Platane », d’Eric Judor
Par Sullivan Le Postec • 23 septembre 2011
Il y a dix ans, les séries Canal, c’était une ligne de sitcom dont « H » était le programme phare. Dès lundi, la chaîne cryptée revient à la comédie en renouant avec Eric Judor, homme-orchestre de la série « Platane ».

Il y a bien eu les deux saisons de « Nos enfants chéris, la série », mais cette déclinaison du film de Benoit Cohen n’a pas exactement marqué les mémoires. Alors « Platane » apparait comme le retour à la comédie de la fiction Canal, laquelle est avant tout associée l’atmosphère des séries noires à la « Engrenages ». Et si « H » reprenait à la lettre la formule des sitcoms américaines, « Platane », elle, s’inscrit dans la tradition des comédies modernes, à la Ricky Gervais, avec Eric Judor dans son propre rôle.

En réalité, pour le téléspectateur lambda, le retour de la série d’humour sur la chaîne s’est fait à la fin de la saison dernière via les 12 épisodes de la saison 2 de « Hard », développée dans l’Unité parallèle de R&D chapeauté par Bruno Gaccio, La Fabrique. C’est plutôt heureux, parce que « Platane » aurait fait un porte-étendard particulièrement bancal.
La série d’Eric Judor (il en est le coscénariste, coproducteur, coréalisateur et personnage principal de quasi tous les plans) est-elle ratée ? Oui, plutôt.

Ce qui ne veut pas forcément dire qu’elle est totalement inintéressante. C’est même tout le contraire : « Patane » est un ratage fascinant, à plusieurs niveaux de lecture, et dont j’irais jusqu’à dire qu’il mérite d’être vu. C’est certainement paradoxal, mais la série elle-même l’est beucoup.
Déjà parce que, série à vocation comique, sa principale réussite est son étude de caractère, forme de mise en abîme du personnage d’Eric Judor. Les défauts du “personnage Eric” à l’écran le conduisent à écrire, produire et réaliser un « Film d’auteur » qui tient de toute évidence, au vu des extraits qu’on découvre, du gros navet. « Platane » souffre grosso-modo des mêmes stigmates que « La Môme 2.0 », son alter-égo de fiction, l’outrance parodique en moins.

Un pitch et ses problèmes

Eric et Ramzy doivent faire leur retour sur Canal+ avec la nouvelle sitcom « HP », suite de « H ». Dans les faits, Eric Judor s’accapare le projet et les bonnes répliques, ne laissant qu’un strapontin à Ramzy. Complètement bourré à l’issue de la fête de début de tournage, l’acteur s’entête à prendre sa voiture. Il termine dans un platane et fait un an de coma. A son réveil, Ramzy est devenu la star de « HP ». Seul, blessé dans son orgueil, et ayant perdu tout humour, Eric décide de se lancer dans le film d’auteur. Il conçoit un projet dont il considère qu’il va forcément le mener droit à l’Oscar : « La Môme 2.0 Next Generation ».

Ce résumé, c’est celui que vous avez lu un peu partout pour pitcher la série. D’ailleurs, c’est celui que le directeur de la fiction de Canal+, Fabrice de la Patellière nous avait fait il y a presque 18 mois. Sauf qu’en pratique, ce résumé couvre les trois premiers épisodes, ce qui témoigne d’une difficulté récurrente en France, où les épisodes Pilotes parvenant à poser clairement des enjeux sont pour le moins rares. Le manque de rythme est de toute manière une caractéristique récurrente de la série. La moitié des épisodes compte 35 minutes, et on se dit qu’il n’était sans doute pas si difficile d’en couper cinq.
Plus largement, cela illustre la faiblesse dramaturgique assez étonnante de la série. « Platane » a perpétuellement le cul entre deux chaises — fait-elle dans l’humour absurde et non-sensique ou bien dans le portrait psychologique réaliste d’un homme attachant presque malgré lui, que ses lourds défauts conduisent à l’humiliation permanente ?

A force de ne pas choisir, « Platane » construit un univers incohérent, dénué de logique interne, et auquel il devient donc impossible d’adhérer. L’humour absurde n’est pas assez présent pour caractériser clairement la série, et tombe quasi-systématiquement à plat. Mais il est bien trop présent pour ne pas rendre compliquée la prise au sérieux du parcours et des émotions du personnage principal. Dans le premier épisode, Eric se réveille après un an de Coma avec un énorme bandage autour de la tête. N’a-t-il pas eu assez de douze mois pour cicatriser ? En fait, tout cela ne sert qu’à introduire un gag final lamentable dont la seule grâce est de totalement disparaitre dès l’épisode suivant, quand bien même cette disparition se fait là-aussi en dépit de toute logique.

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Une histoire ?

‘‘Après les sketchs de H, je voulais vraiment raconter une histoire. Une série, c’est jouissif pour un auteur, car c’est l’histoire d’un personnage plutôt qu’un personnage dans l’histoire. C’est très agréable de pouvoir le mettre dans tout un tas de situations et de le faire évoluer au cours de la saison,’’ explique Eric Judor.
Sauf que « Platane » démontre de bout en bout qu’il ne maîtrise pas les codes de la dramaturgie et qu’il est absolument incapable de concevoir une histoire et de la raconter, de poser des enjeux clairs, de se tenir à un ton. Les 3/4 des obstacles rencontrés par le protagoniste relèvent de la coïncidence malheureuse (et très, très, très improbable). Le ratage intégral de la résolution, dans un dernier épisode affligeant, démontre justement que le personnage n’a évolué en rien, et qu’il a juste été au centre d’une longue série de sketches poussifs. Il faut aussi souligner la transparence totale de tous les autres personnages — c’est bien simple, Eric Judor est seul, autour de lui il n’y a que des faire-valoir qui lui permettent de ne pas parler tout le temps tout seul, et des guests qui s’adonnent au numéro pénible de la célébrité trop pleine d’auto-dérision.

Donc « Platane » ne raconte pas véritablement une histoire. Elle porte le potentiel d’une étude de caractère qui donne tout son intérêt au projet, mais qui aboutit à une impasse en forme de retour à la case départ. Reste ce qui est peut-être la question principale : la série est-elle drôle ? Cela pourrait suffire à la racheter...
Dans le domaine, la subjectivité l’emporte et les réponses varieront selon chacun. « Platane » est fondé sur l’humour de malaise. Le principe de base de la série est de plonger continuellement Eric Judor dans les situations les plus humiliantes, et de faire durer. Ça n’a clairement jamais été mon genre d’humour préféré — je déteste rire des personnages, je veux rire avec eux. Mais exactement dix ans après la création de « The Office », ses multiples déclinaisons, remakes et copies, j’avancerai quand même que le procédé est usé et qu’il n’a certainement plus rien de transgressif (sauf à imaginer un français qui n’aurait vu aucune comédie étrangère).
J’ai été beaucoup plus convaincu par les extraits imaginés ou réels de « La Môme 2.0 Next Generation » qui parsèment les épisodes. Là pour le coup, l’absurde et le manque de logique à un sens. Sauf quand on essaie de nous faire avaler qu’une pléiade de guests prend le projet au sérieux, ou pire que le film se révèle au final un véritable chef d’œuvre !

Décidément, quel que soit le bout par lequel on essaie de la prendre, « Platane » n’arrive pas à tenir debout...

Post Scriptum

« Platane »
12x30’ – Une production 4 Mecs en Baskets pour Canal+.
Ecrit par Eric Judor, François Reczulski, Hafid F-Benamar.
Réalisé par Eric Judor et Denis Imbert.
Produit par Eric Judor et Jean Cottin.
A partir du lundi 5 septembre 2011. 3 épisodes à la suite.