ÇA TOURNE ! – La politique vue par « Les Hommes de l’Ombre »
Six épisodes qui seront diffusés sur France 2 dès le 25 janvier, en pleine campagne électorale...
Par Sullivan Le Postec • 6 septembre 2011
France Télévisions est de retour sur le terrain de la série politique. Les producteurs Emmanuel Daucé et Charline de Lépine, l’auteur Dan Franck et le réalisateur Frédéric Tellier sont à la barre créative de ce feuilleton en six épisodes.

France 2 aime bien les coups électoraux. Il y a cinq ans tout juste, au tout début de la campagne électorale de la Présidentielle 2007, elle diffusait « L’Etat de Grâce », tentative complètement ratée de comédie politique autour de la première femme Présidente de la République. Elle remet ça cinq ans plus tard, mais avec une approche qu’on pressent bien plus intelligente. Nous étions cet été sur le tournage des « Les Hommes de L’Ombre », dont la diffusion aura lieu sur trois semaines, à partir du mercredi 25 janvier. Soit juste avant le début de la campagne officielle...

Imprévus

Cela ne devait pas tout à fait se passer comme ça. Les techniciens viennent de passer un moment à installer une grue au premier étage de la Mairie du 7e Arrondissement de Paris. La scène que le réalisateur Frédéric Tellier [1] s’apprête à tourner est située dans le scénario au sein du Sénat. La production de la série — pour laquelle se sont associés Tétra Media Studio de Jean-François Boyer et Emmanuel Daucé avec Macondo de Charline de Lépine — espérait pouvoir y tourner, mais cela n’a finalement pas été possible. Frédéric Tellier s’est donc rabattu sur la Mairie du 7e, où d’autres scènes sont tournées, mais a demandé cette grue pour pouvoir donner de l’ampleur à la séquence. A l’écran, il sera désormais indiqué que cette rencontre entre deux hommes politiques se déoule au siège d’un Parti.
Ce type d’appareillage n’est pas extrêmement courant à la télévision française, encore moins demandé à la dernière minute, mais la productrice Charline de Lépine nous explique que c’est le type de choses auxquelles il vaut veiller pour l’intégrité de ce projet.

« Les Hommes de l’Ombre » raconte, en six épisodes, les coulisses d’une campagne Présidentielle très particulière (mais ne le sont-elles pas toutes ?). Elle entend combler le manque de séries politiques à la télévision française. Il faut dire qu’aucune des tentatives n’a recueilli de véritable succès d’audience. Tant « L’Etat de Grâce » que « Rastignac ou les ambitieux », quelques années avant sur la même chaîne, ou même « Reporters » sur Canal+, ont recueilli des audiences en-dessous des attentes.

Empathie

‘‘Le Président actuel a ouvert une brèche « showbiz », médiatique, qui fait qu’aujourd’hui on peut faire aboutir ce genre de sujets,’’ avance l’acteur Bruno Wolkowitch. D’ailleurs, si « Les Hommes de l’Ombre » traite d’un sujet politique, c’est bien celui des digues de la vie privée des personnalités politiques qui ont sauté ces dernières années.

Pour le producteur Emmanuel Daucé (« Un Village Français »), l’enjeu pour imposer une série politique en France, c’est l’empathie : ‘‘on peut s’identifier aux hommes de l’ombre plus facilement qu’aux candidats à la Présidence de la République, qui sont des personnalités exceptionnelles. Les politiques sont centraux, mais les personnages « point de vue » ce sont ceux des coulisses : les conseillers, gardes du corps…’’
La série de France 2 prend donc, sans l’avoir cherché — ses créatifs l’ont découverte alors que l’écriture était terminée — le contre-pied de la série Danoise « Borgen », diffusée en février 2012 sur Arte, qui fait au contraire tout pour humaniser sa chef de gouvernement, dépeinte en mère de famille “normale”, et la rapprocher des téléspectateurs.

La partie politique de la série a été développé avec Régis Lefebvre, qui fut lui-même un spin-doctor de droite et a apporté sa connaissance de ces milieux. Dan Franck a également bénéficié de l’aide de Pierre Mazeaud, ancien président du Conseil Constitutionnel, justement sur les questions de droit constitutionnel.
Tout commence par un attentat. Le Président en exercice est entre la vie et la mort, incapable d’exercer le pouvoir. La Constitution impose d’organiser de nouvelles élections sous 35 jours. L’intensité de la campagne est donc décuplée. ‘‘L’idée est de s’inspirer de la société française,’’ indique Emmanuel Daucé, ‘‘mais en boostant le degré d’adrénaline et de dramaturgie. On veut tendre un miroir face à la réalité, pas se situer dans un registre documentaire, ni dans la fiction à clef. « Les Hommes de l’Ombre », c’est un feuilleton, un thriller’’. Pour Charline de Lépine, ‘‘l’attentat c’est la vraie bonne idée de ce projet, parce qu’il nous place immédiatement dans la fiction. Et à partir du moment où on est dans la fiction on a une vraie liberté de parole’’.
Le combat mis en scène dans la série est fratricide : un peu à l’image de la campagne de 1995, et de son duel Chirac / Balladur, la gauche apparaît hors-course. Les deux candidats principaux sont issus du même parti de droite. Le premier décide de donner à sa campagne une coloration très droitière. C’est ce qui pousse la Ministre Anne Visage, interprétée par Nathalie Baye, à se lancer dans la bataille, épaulée par son spin-doctor, Simon Kapita, le personnage principal des « Hommes de l’Ombre » incarné par Bruno Wolkowitch. Le duel fratricide entre les deux conseillers des candidats est au cœur de la série.

‘‘Tous ces gens de pouvoir sont des gens seuls, en permanence à la dérive,’’ avance Frédéric Tellier quand on lui demande en quoi il s’est reconnu dans ce projet. ‘‘Au-delà de la politique, des trahisons, de la dramaturgie, c’est un terrain d’étude magnifique de la nature humaine’’.

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Tractations

La grue est montée, la caméra est installée. Le réalisateur Frédéric Tellier a vidé le plateau de ses techniciens et répète dans une certaine intimité avec ses deux acteurs. ‘‘C’est ma méthode de travail. J’aime trouver la couleur de la séquence avant avec les acteurs. Quand ça c’est solide, 80% du travail est fait.’’ Les comédiens ne tarissent pas d’éloge sur leur metteur en scène : ‘‘un grand directeur d’acteur !’’ selon Bruno Wolkowitch.
Un soutien d’Anne Visage cherche à obtenir un ralliement. La tractation porte sur le nombre et la qualité des Ministères qui viendront le récompenser en cas de victoire. La scène sera tournée en plan séquence, la caméra s’approchant progressivement des deux acteurs avant de s’envoler au-dessus de leur tête. Les comédiens doivent donc dérouler le texte de toute la scène, et le mouvement de caméra se caler en fonction de leur débit. Les prises s’enchaînent, une paire fonctionne à une petite anicroche près, rien qui ne pourrait pas être rattrapé en post-synchro. Mais l’un des comédiens demande au réalisateur une dernière prise. C’est la septième, et celle-ci se révèle finalement parfaite.

Le nom de Bruno Wolkowitch évoque immédiatement la série « PJ ». C’est peu de dire que le comédien a vécu le rôle comme une prison. Alors le caractère bouclé des « Hommes de l’Ombre », il y tient. ‘‘Si c’était une série, je ne sais pas si je serais là. En l’occurrence, il s’agit d’un feuilleton en six épisodes’’. Mais une suite serait-elle envisageable ? Après tout, les producteurs ont laissé entendre qu’en cas de succès, ils envisageaient une trilogie — la conquête du pouvoir, sa pratique et la chute. ‘‘Si la qualité doit baisser au fur et à mesure, ce qui est le propre des séries à quelques rares exceptions près, je n’en ferais pas partie. Après, s’il s’agit de tourner trois fois six épisodes en cinq ans, et à condition que ce soit avec Dan, et avec Frédéric, alors c’est autre chose... Mais pour l’heure, je ne suis engagé à rien au-delà de ces épisodes-là.’’
L’acteur est très clair sur les raisons qui l’ont poussé à accepter ce rôle : ‘‘C’est un des scénarios les mieux écrits que j’ai lu depuis des années et des années. 400 ou 500 pages et pas un mot à changer. Simon Kapita est passionnant parce qu’il est complexe. Les gens ne vont pas, je pense, savoir exactement qui il est. Il est extrêmement fort dans son travail, vulnérable dans sa vie privée, et encore plus fragile dans sa vie intérieure. Il n’est pas manichéen, d’ailleurs aucun personnage ne l’est. Et ça à la télé, c’est rarissime’’.

Sur ce type de sujet, la fiction joue vite au chat et à la souris avec la réalité, qui peut parfois la rattraper, ce qui est notamment apparu aux créatifs des « Hommes de l’Ombre » à l’occasion de l’affaire de la Porsche. ‘‘C’est parfois même un peu agaçant,’’ confie un peu amusée Charline de Lépine. ‘‘On s’est parfois mis une forme d’autocensure en se disant « on ne peut pas aller plus loin que ça, ce ne serait pas crédible ». La franchement, la vraie vie nous a rattrapés’’.
‘‘C’est peut-être aussi parce qu’avec un sujet politique, va une certaine forme de responsabilité,’’ avance Frédéric Tellier. La productrice acquiesce : ‘‘il y a une responsabilité qu’on s’était fixé dès le départ, on ne voulait pas rentrer dans quelque chose qui aurait consisté à dire « tous pourris ». Ce n’était pas notre but. La politique est notre matériau, notre source de dramaturgie, il n’était pas question de la diaboliser’’.

Ne manquez pas notre web-doc, pour tout découvrir sur Les Hommes de l’Ombre. Le premier volet est déjà en ligne :
LUMIÈRE SUR LES HOMMES DE L’OMBRE — Épisode 1.

Post Scriptum

« Les Hommes de l’Ombre »
6x52’
Une production Tétra Media Studio / Macondo pour France Télévisions.
Scénario : Dan Franck avec la collaboration de Régis Lefebvre.
Réalisation : Frédéric Tellier.
Produit par Carline de Lépine, Emmanuel Daucé et Jean-François Boyer.
Avec Nathalie Baye, Bruno Wolkowitch, Grégory Fitoussi, Yves Pignot, Clémentine Poidatz.

Dès le 25 janvier à 20h35 sur France 2.

Dernière mise à jour
le 25 janvier 2012 à 23h39

Notes

[1Le dernier téléfilm du réalisateur Frédéric Tellier, le formidable « Les Robins des Pauvres », doit être diffusé prochainement sur France 3. Notre interview carrière avec le réalisateur est toujours en ligne.