COUPLING - Saisons 1 à 4
« This is not, I repeat, not an american sitcom » Steve Taylor
Par Dominique Montay • 5 janvier 2010
La troisième sitcom dirigée par Moffat est la bonne, consacre son talent d’auteur comique et lui ouvre de nouvelles portes. Retour sur la comédie la plus sexuée du Royaume-Uni.

2000, Royaume-Uni. Talentueux scénariste légèrement sous-employé à la télévision de sa majesté, Steven Moffat n’était pas encore celui que Spielberg sera prêt à engager pour écrire sa trilogie de Tintin. Après avoir travaillé sur une série à la réponse critique mitigée, « Chalk », Moffat décide d’écrire sur sa relation naissante avec sa compagne, Sue Vertue, productrice. « Coupling », idée issue d’une soirée de beuverie, traite du couple, sous toutes ses formes, de sa théorisation à son analyse, avec un fond extrêmement cru et sexuel et une forme qui tranche et offre des narrations complexes.

Une comédie signée Moffat

« Coupling », en dehors d’un concept assez vendeur, est avant tout une œuvre majeure dans la carrière d’un scénariste doué. La saison 1 de « Coupling », Moffat l’a écrite dans son intégralité sans financement, sans casting, enfermé dans sa chambre avec comme seul lien extérieur sa femme Sue, qui annotait les scripts avant que Moffat ne les retravaille. Tous les scénarios sont nés de la plume de Moffat, ce qui a deux conséquences : elle est de grande qualité, et elle n’a duré que 4 saisons où elle aurait pu (dû, quand on voit le final) durer plus.

Steve Taylor est écrivain, maladroit, brun, aime les lesbiennes et Mariella Frostrup (une animatrice de la télé british). Susan Walker est petite, blonde, assez équilibrée et aime dire « apparemment » lorsqu’elle est contrariée. Patrick Mayland est un prédateur sexuel, de droite, bien membré et aime à penser que discuter avec une femme après le sexe n’a aucun sens, puisqu’il n’y a plus rien à attendre. Sally Harper est belle, esthéticienne, obsédée par son apparence et aime répéter qu’elle est persuadée que les fesses rebondies et minuscules de Susan ont leur vie propre. Jane Christie est bisexuelle (d’après elle), végétarienne (d’après elle), responsable du point route sur une radio locale (ça, c’est vrai) et aime parler de... Jane Christie. Jeff Murdoch est inadapté social, incapable de parler aux autres et aime les femmes. Olivier Morris est frisé, geek, semble être un cousin éloigné de Jeff et aimerait que le Doctor Who revienne à l’antenne (la série a lieu en 2000, avant le revival).

Du tout bon

L’interprétation est du niveau d’une sitcom classique, sans que ça soit péjoratif. Le surjeu (mais un surjeu britannique, donc tout reste subtil) est un peu présent, amplifié par le tournage en studio devant public. Les rires présents au visionnage ne sont donc pas des rires en boîtes, et ne sont pas trop invasifs, même si on s’en passerait assez. Le vrai génie de « Coupling », et ce n’est pas parce que nous aimons le « Doctor Who » au village qu’on le dit, mais c’est évidemment Steven Moffat. Une écriture d’une efficacité rare, ciselée, précise et créative à la fois. Dans l’épisode de la fin de la saison 2, par exemple, « The End of the Line », l’ouverture est une suite de saynètes montrant les points de vues de Susan et Steve sur leur vie de couple, Steve remarquant qu’à chaque fois qu’il va quelque part, Susan lui demande « Où vas-tu ? », Susan remarquant quant à elle qu’à chaque question qu’elle pose à Steve, ce dernier lui répond « à toi de voir ». L’épisode tourne autour de la possibilité de rupture entre les deux et se termine de façon magistrale, avec Susan qui se tient devant la porte de l’appartement avec Steve lui demandant « où vas-tu ? » et Susan de lui répondre « à toi de voir ». Alors oui, c’est un « truc de scénariste », alors oui c’est très écrit. Mais qu’est-ce que c’est brillant.

De l’art de la déconstruction

« Coupling » réalise une fois par saison un épisode déconstruit, ou avec une structure particulière. Devant la maîtrise générale du contenu de Moffat, il est surprenant d’apprendre que le premier de ces bijoux, « The Girl with Two Breasts » n’était pas conçu comme déconstruit. Cet épisode, remarquable, montre deux fois la même scène de deux façons différentes. Jeff rencontre une magnifique jeune femme, une israélienne qui ne comprend pas un mot d’anglais. Le bonheur pour Jeff qui pense enfin être à l’abri de son défaut majeur : dire n’importe quoi aux femmes, le plus souvent des choses déplacées ou terrifiantes, ou dire « breasts », un mot qu’il a visiblement du mal à retenir. La scène est donc montrée une première fois avec la jeune femme parlant Hébreu et Jeff parlant anglais. Puis on nous montre le point de vue de la jeune femme. C’est elle qui parle anglais, Jeff baragouinant un langage incompréhensif. Au-delà des évidents quiproquos que la situation génère, la scène est assez drôle dans sa première version et absolument hilarante dans la seconde, Jeff réussissant par inadvertance à trouver la traduction de « breasts » en hébreu, de le dire haut et fort et de le faire répéter à Steve, les deux étant totalement inconscients de la situation. Les autres épisodes dans cette veine particulière sont « Her best friend’s Bottom » (saison 2) et « Nine and a half minutes » (saison 4), qui jouent eux aussi sur le principe du point de vue différent d’une même scène, et enfin « Split » (saison 3), qui montre l’action en split-screen.

3 saisons de haut niveau, et une orpheline. Le personnage de Jeff, l’élément comique majeur de la série disparaît entre la saison 3 et 4, l’acteur Richard Coyle ayant décidé de s’arrêter et de retourner au théâtre. Bien que remplacé numériquement par le personnage d’Oliver Morris, son absence laisse un vide énorme qu’Oliver a bien du mal à remplir. D’abord car le personnage de Jeff était celui qui déclenchait le plus de rires, ensuite parce que son inadaptabilité au monde et sa maladresse en faisait le personnage le plus attachant de la série, et aussi parce qu’Oliver fonctionne dans le même moule. La greffe a du mal à prendre, et la série s’en ressent, même si elle reste globalement très drôle et toujours aussi bien construite.

Une fin sans final

Le final de la saison 4 laisse termine sur un cliffhanger qui ne sera jamais résolu, à cause d’une considération bien européenne. Au vieux continent, les séries, quand elles sont dirigées par un seul auteur, ce dernier se retrouve à en écrire tous les épisodes. C’est le cas pour « Coupling ». D’où la lassitude de Moffat, mais surtout sa fatigue générale, l’impression d’avoir tout donnée et de ne plus être capable de tenir ce rythme créatif. Un rythme qu’il maintiendra quand même sur l’unique saison de « Jekyll », mais qui lui fera aussi dire « plus jamais ça ». On remarque aussi que cette saison 4, plus folle, plus étonnante avec des apartés fantasmés, qui se transforment parfois en parodies, a plus tendance à tomber dans une relative facilité quand on compare à la grande ingéniosité des saisons précédentes. Cette ultime saison ne comporte d’ailleurs que 6 épisodes. La grande force de Moffat aura été de dire stop avant qu’il soit trop tard.

Après des débuts timides, la série a finit par gagner ses galons de série-culte, et après les raccourcis faits autour d’une pseudo-parenté de « Friends », on réalise qu’elle possède une identité propre bien plus riche. Le fait de parler de sexe, dans un groupe qui vit dans la confusion de ce qu’est le cercle des amis et celui des amants est à la fois savoureux et assez embarrassant. Les ex se croisent, deviennent amis, sortent avec les amis de ces ex… Une vision à la fois moderne du sexe, mais avec des attitudes parfois vieux jeu. Sally qui s’offusque que Patrick (qui a couché avec 75% de la population féminine de Londres) ait eu des rapports avec Jane alors qu’elle ne trouve rien à redire de sa relation avec Susan. Susan qui trouve surprenant que Steve possède un film pornographique titré « Lesbian spanking inferno »… L’autre point amusant est aussi de voir que même si les protagonistes en parlent sans arrêt, ils semblent ne pas plus comprendre les relations amoureuses. Il essaient juste de théoriser l’ensemble pour lui donner du sens, sans succès en général. La série est bercée par un thème commun très basique, la différence entre les hommes et les femmes, mis en avant par le couple central Steve / Susan, Steve se retrouvant souvent à monologuer sur ces différences, prenant à partie les gens autour de lui, tantôt pour justifier le fait de posséder un film pornographique avec des lesbiennes, tantôt pour demander dans un magasin à quoi sert de mettre des coussins sur un canapé, habitude typiquement féminine, ou bien pour demander lors d’un cours prénatal pourquoi les femmes voudraient accoucher sans anti-douleur alors que le bon sens prouve le contraire.

Drôle, sexuée, bien construite et écrite par un virtuose. Voilà ce qu’on peut dire de « Coupling », qui, si elle s’inscrit dans la mouvance des séries américaines des années 90 et de la libération sexuelle dans les comédies télés, reste une série très européenne. Preuve en a été faite avec l’adaptation U.S. de la série qui, placée pour devenir le successeur de « Friends », s’est rétamée au bout de 3 épisodes.

Perhaps, perhaps, perhaps

Aujourd’hui, pas de 5ème saison à l’horizon, Steven Moffat étant promis à réaliser son rêve d’écrire les histoires d’un vieil homme qui se balade avec un tournevis sonique. Pour les fans ou les frustrés, Steven a posté dans le forum de « Doctor Who », Outpost Gallifrey les destins des personnages, à placer au terme de la saison 4. Ces lignes, aujourdh’ui indisponibles sur le site d’origine, le sont sur le blog Between the Pavement and the Stars.

Post Scriptum

« Coupling »,
Créée par Steven Moffat
Produit par Sue Vertue.
Diffusion : PBS puis BBC

Avec : Jack Davenport (Steve Taylor), Richard Coyle (Jeff Murdoch), Ben Miles (Patrick Maitland), Sarah Alexander (Susan Walker), Kate Isitt (Sally Harper), Gina Bellman (Jane Christie), Richard Mylan (Oliver Morris)