ENGRENAGES : Episode 2.01
Humanité retrouvée
Par Sullivan Le Postec • 10 mai 2008
Deux ans et demi après la première saison, « Engrenages » est de retour. Et ce premier épisode laisse espérer une saison de bien meilleure facture que la première.

Comme lors de la première saison, tout commence par un cadavre en sale état, non identifiable. Cette fois, il s’agit d’un homme brûlé dans le coffre d’une voiture. Une nouvelle enquête commence. Et, cette fois, tout laisse espérer qu’elle ne se résolve pas à coup de preuves opportunément oubliées un peu partout et de flash-backs improbables...

Le temps a passé depuis la première saison, et c’est aussi le cas pour les personnages. On repart donc sur des bases plus saines que le catastrophique dernier épisode de la première saison. D’ailleurs, les premières minutes de l’épisode apparaissent tellement comme une réponse à ce qui ne fonctionnait pas dans la première saison de la série qu’on a du mal à ne pas y voir une note d’intention volontaire. Par contre, si vous faites partie de ceux qui avaient vu dans la scène finale de la saison 1 l’introduction de la saison suivante plutôt qu’un épilogue sur le cycle perpétuel du crime et de la justice, il faudra vous y faire : l’enquête de cette saison n’a rien à voir.

Pierre Clément termine sa procédure de divorce, pendant laquelle il a été représenté par Joséphine Karlsson. La jeune femme a repris sa carrière à zéro, et cela ne lui plaît pas vraiment : les comparutions immédiates en tant que commise d’office ce n’est pas vraiment sa tasse de thé. Accessoirement, cela ne paye pas bien non plus. Et c’est seulement en exploitant la naïveté d’un client pour lui soutirer 2000€ de dessous de table qu’elle peut faire sortir les huissiers de chez elle. Alors elle s’effondre, une fois seule et comprend qu’elle devra faire un nouveau coup d’éclat pour se sortir de là.
Laure Berthaud mène l’enquête sur le corps brûlé dans la voiture, assistée de Fromentin, Gilou et du bleu Fred. Et il s’agit bien d’une vraie enquête, avec des pistes qu’on remonte, des suspects qu’on interroge avec plus ou moins d’habileté pour les faire parler. Les plaques d’immatriculation de la voiture volée mènent jusqu’à un garage. Le fils du patron résiste à la perquisition et gifle Berthaud. Elle répond en sortant une matraque télescopique et le fils Morales est interpellé après avoir été un peu ‘‘secoué’’. Le voyant arriver, Maître Karlsson flaire le bon coup et s’occupe de son cas : lors de sa comparution immédiate, l’avocate accuse Berthaud de mentir quant au fait qu’elle aurait été frappée. Et annonce déposer plainte contre elle pour violences volontaires.
Parallèlement, dans un Lycée chic de Paris, Adrien, élève de Terminale, fait essayer l’héroïne à une élève de seconde dans les toilettes de l’établissement. Mais l’expérience tourne mal et Marie s’effondre sous le coup d’une overdose. Adrien l’abandonne à son sort. Mais son trafic est bien connu au Lycée, et la police ne tarde pas à remonter jusqu’à lui. Très vite des pressions sont faites sur Pierre Clément pour qu’il ménage ce fils de bonne famille...

La première saison d’« Engrenages » dépeignait un univers gris foncé singulièrement dénué de doute et d’humanité. Les vingt première minutes de cette seconde saison en contiennent déjà plus que les 8 précédents épisodes réunis.
Les personnages de la saison 1 — qui y étaient vite apparus détestables parce que leurs moments de noirceur et d’égarement étaient les seuls qui les éloignaient de leur fadeur et de leur superficialité — prennent soudain corps de façon différente. Enrichis, enfin multidimensionnels, ils évoluent dans un univers toujours très sombre, mais qui a pourtant cessé d’être simpliste. L’avocate Joséphine Karlsson qui, alors même que son interprétation était de très bonne tenue, avait été la principale victime du précepte idiot de cette première saison (toujours plus noir, quitte à ne pas savoir pourquoi), est celle pour qui le nouveau départ est le plus marqué (ce que le scénario prend bien la peine de souligner). Finie la peinture de l’arriviste en forme de méchante de dessin-animé, Audrey Fleurot trouve enfin un espace pour exprimer les nuances de son jeu quand la série montre son personnage gagner — enfin — une motivation quand elle se trouve acculée à respecter le fonctionnement non-dit d’un monde qui voit réussir ceux qui savent détourner les règles à leur avantage.
La première conversation entre Joséphine et Pierre Clément, autour des questions de carrière et d’ambition, esquisse par ailleurs un propos dans lequel la série pourrait s’inscrire et qu’elle pourrait explorer en nuances.

De la même manière, ce premier épisode parvient nous mettre en empathie avec Laure Berthaud tandis qu’elle transgresse les règles — ce qui ne manque pas d’intérêt vu l’opposition qui se dessine entre les deux femmes. Plutôt que de s’amuser d’être toujours plus trash, le scénario interroge le paradoxe d’un système qui arme moins sa justice que les délinquants qu’elle pourchasse, sans négliger de pointer les abus de pouvoir et compromissions dont cette même justice est capable. En d’autres terme, la série n’est plus noire par simplisme, mais parce qu’elle s’attache à présenter un problème qu’elle suggère insoluble.
L’adjonction d’un personnage tel que Fred, le bleu un peu fragile aux airs d’adolescent perdu, parmi les enquêteurs contribue aussi grandement à l’humanisation de l’ensemble puisqu’il impose un point de vue extérieur — grosso mode celui de la plupart des téléspectateurs — à cet univers dur, et que son émotivité interroge en creux l’armure que les autres personnages ont du se construire pour résister à la violence et la dureté de leur métier. Il est l’une des sources de contraste et de conflit dont l’absence empêchait auparavant à la série de fonctionner.

L’autre gros défaut de la première saison était son incapacité à présenter une enquête policière qui soit crédible. Les enquêteurs passaient en effet alors leur temps à deviner la clef de l’énigme (‘‘Elle était très belle, c’est pour ça qu’on l’a défigurée’’), ou à trébucher sur des preuves négligemment oubliées sur leur chemin (le mémorable énorme agenda). Puisque cette saison est beaucoup plus axée sur l’aspect policier (avant sans doute de revenir vers le judiciaire dans la troisième saison de 12 épisodes déjà en écriture) corriger cette faille était de toute évidence une impérieuse nécessité. On rendra un jugement définitif à la fin de cette saison, mais à cet égard aussi, ce premier épisode est prometteur.

Les qualités qu’avaient la première saison (car elle en avait) sont non seulement maintenues mais amplifiées : le rythme est fluide et accrocheur, et cet épisode de démarrage parvient à ne jamais être poussif contrairement à celui de la première saison. Les dialogues suivent enfin le niveau général de l’écriture et évitent de faire mal aux oreilles. Comme promis, la réalisation maintient le cap stylistique de la première saison, tout en concourant à l’exploration des failles et de la part d’humanité des personnages. L’interprétation est globalement de qualité. Le méchant de l’histoire, le wannabe rappeur aux relents de psychopathe est assez terrifiant, sans doute à la lisière de la caricature, mais maintenu du bon coté par la justesse de jeu de son interprète. Enfin, le cliffhanger qui conclut l’épisode parvient à ne pas faire plaqué, mais à semblé être l’aboutissement d’une construction très bien pensée sans que les ficelles n’en soient apparente. Cet épisode entrecroise par ailleurs deux enquêtes dont on sent bien qu’elles n’en sont qu’une seule en définitive. Il reste à voir si la seconde saison développera en parallèle des intrigues indépendantes, comme c’était le cas de la première, où si elle se consacrera tout entier à son fil conducteur.

En un mot comme en cent : ce premier épisode de la seconde saison d’« Engrenages » semble enfin transformer l’essai qu’avait été la première, et peut se targuer de donner vraiment envie de voir la suite. On croise les doigts pour que le syndrome de la baudruche ne s’abatte pas à nouveau sur la série...