LUTHER — Saison 1
Avant l’arrivée de la saison 2 cette semaine, retour sur la saison 1.
Par Dominique Montay • 11 juin 2011
Chez Neil Cross, Colombo est noir, mesure 2 mètres, a un physique de troisième ligne de rugby, est largué par sa femme, mais surtout, a peur de devenir comme les monstres qu’il pourchasse.

John Luther est un brillant inspecteur de police. Supérieurement intelligent, cultivé et intuitif, tout pourrait être rose dans sa vie, mais c’est tout le contraire. Séparé de sa femme, en sursis dans son boulot après avoir été soupçonné de ne pas avoir porté assistance à un suspect (Henry Madsen), depuis dans le coma, John Luther a de plus en plus de mal à gérer la pression et commet des actes de violences répétés. Couvert par sa supérieure qui voit en lui un tel atout qu’elle lui passe presque tout, aidé par son ami et collègue Ian Reed, et secondé par un jeune bleu qui l’a érigé en modèle, Luther continue d’exercer. Mais jusqu’à quand, et dans quelles conditions ?

« Luther » est une série qui emprunte à beaucoup de ses prédécesseur tout en réussissant à garder une identité propre. Dans la forme, on pense à « Colombo ». Pas pour le look du héros, loin de là, mais plus dans le procédé narratif qui ne laisse aucun doute sur l’identité du tueur que Luther pourchasse. Le but après coup n’est pas de savoir qui a fait, mais comment l’arrêter. On pense aussi à « Homicide » ou encore « The Wire », pour la dimension humaine des policiers. Ce ne sont pas ici des simples instruments de la justice, mais des êtres à part entière, avec une vie personnelle (forcément polluée par leur métier) et des soucis très humains. Pour sortir des séries, le « Sixième sens » de Michael Mann est une autre référence, surtout dans la psychologie du personnage principal, rongé par ses démons à force d’essayer de les comprendre.

Un flic au bord de la crise de nerfs

John Luther n’est pas un flic aux méthodes très orthodoxes. Il aime souvent franchir la ligne, pour obtenir des résultats. Rien à voir avec Vic Mackey, mais lorsque les procédures le freinent, il n’hésite pas à passer outre. Luther est un intellectuel, un cérébral. Un homme capable de lire les gens comme personne, débusquer les menteurs et, de fait, qui ment avec une facilité déconcertante. La contrepartie, c’est qu’à force d’essayer de décortiquer les pensées des déviants, Luther s’implique personnellement dans toutes ses affaires. Chaque mort le touche, chaque suspect devient un ennemi à abattre, un Némésis. Toujours dans l’intensité et dans l’urgence, il en perd ses repère dans sa vie personnelle.

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Luther et son ex-femme Zoé
Des rencontres qui se terminent invariablement en psychodrame

Sa femme, Zoé (Indira Varma), l’a quittée pendant qu’il était « mis au repos » par ses supérieurs après l’incident Henry Madsen. Une situation que n’accepte pas du tout Luther, qui veut la récupérer, alors qu’il ne fait rien dans ce sens. Lors d’une mise au point dans sa maison, il fracasse une porte, il frappe son nouveau petit ami Mark North (interprété par le fugace Docteur dans le film « Doctor Who » de 1996, Paul McGann)… Luther souffre le martyr et l’exprime par des accès de violence répétés, qui restent cependant réservés à des objets, hormis le pauvre Mark North… l’état de Luther inquiète sa supérieure, mais elle décide de passer outre.

Henry Madsen est dans le coma. Personne hormis Luther, Madsen et, par truchement, Ian Reed, ne sait que Luther a bel et bien refusé de porter assistance à Madsen, qu’il avait reconnu coupable de meurtres atroces. Cet événement est fondateur dans le personnage. Ca révèle en lui une ambivalence totale. D’un côté le flic respectueux des codes, qui souhaite mettre face à la justice les meurtriers qu’il pourchasse, et l’homme qui n’en peux plus de tant de violence et qui prend des raccourcis pour satisfaire son besoin de justice. Cette situation de bourreau dans laquelle il se met déclenche une autre révélation : Luther est aussi dangereux que ceux qu’il traque. Il l’est devenu ou l’était déjà avant, peu importe, il en prend conscience et a du mal à gérer les choses. On le voit d’ailleurs, dès le second épisode, adopter une attitude suicidaire…

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Luther au bord du vide

Alice et John

« Luther » réemploi le schéma de l’assassin qui fraternise avec le flic. Dès le premier épisode, Luther essaie de faire enfermer Alice (la fantastique Ruth Wilson), qui vient de tuer sers parents en commettant le crime parfait. Ce jeu de chat et la souris devient progressivement une étrange et pourtant si logique amitié. Tous deux sont intelligents. Tous deux sont des sociopathes, à différents niveaux de conscience. Et si l’un représente la loi et l’autre ce qu’elle punit, les rôles auraient pu être inversés sans que la dynamique ne change. Cette relation qui naît sous nos yeux, qui trouvent une base commune, le respect, est le fil rouge de la série ainsi que son chœur et son âme. Lorsque Alice sent qu’un danger pointe sur Luther, elle vient à son aide, qu’il le souhaite ou non, lorsque Luther est dos au mur, il vient la chercher. Et la réticence avec laquelle Luther accueille cette amitié au début n’est que l’expression de la peur qu’il a de lui-même, et du risque qu’il a de prendre le même chemin qu’elle.

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Alice
Belle mais très dangereuse

Plus qu’une série de flic, c’est une série sur la solitude. La réalisation appuie dans ce sens, les cadres étant souvent composés en laissant beaucoup d’air autour du personnage. Au-delà de l’effet stylistique qui pose la série, il y a volonté d’isoler le personnage filmé et d’exprimer ainsi ce sentiment de solitude profonde. Les flics sont seuls, les assassins sont seuls… John Luther est persuadé (ou s’auto-persuade) au début de la série que l’amour existe, alors qu’Alice tente de lui prouver le contraire. Si les rôles s’inversent en fin de saison, le problème reste le même : l’envie de croire que l’amour existe dans un monde qu’ils ne perçoivent que dans ses zones les plus sombres, pour combattre la solitude de leurs êtres.

Bilan

Passées ces thématiques et parti-pris, que reste-t-il ? Une série assez facile d’accès malgré tout (merci les 50 ans de fictions policières qui ont balisées le terrain). Si on avance en terrain connu, tout est très maîtrisé, et malgré le côté un peu psycho-intello de l’ensemble, tout est extrêmement accessible et surtout très rythmé. Pas de temps mort, pas de pause. Chaque épisode met réellement en danger les personnages, directement comme indirectement, aidé en cela par la façon de s’impliquer de Luther dans chaque affaire, tant il donne l’impression de jouer sa vie à tous moments. Le tout sans artifice, avec beaucoup de sobriété et un casting absolument parfait, avec à sa tête un Idris Elba qui bouffe l’écran, qui souffre, qui se bat, qui pleure… une performance de haut niveau qui donne une dimension immense à son personnage et tire l’ensemble vers le haut.

Qu’on aime ou pas les séries policières, « Luther » est immanquable, car si elle ne réinvente pas un genre, elle raconte une histoire avec une grande efficacité et une humanité de tous les instants. J’aimerais vous dire que vous pourrez la voir sur une chaîne française prochainement, mais aucun acheteur ne s’est (semble-t-il) déclaré. Il aurait fallu qu’elle s’appelle « CSI : Londres », peut-être…


Et une apparition de plus pour John Munch (le [insérez adjectif dithyrambique] Richard Belzer) ! Même s’il n’apparaît pas, le personnage né dans la série US « Homicide » et qui, depuis, sévit dans « Law and Order : SVU » est cité deux fois dans un épisode de « Luther », lorsque John Luther demande à un collègue de voir avec le “détective Munch, qui travaille à la brigade des crimes violents à New York”… Une apparition qui ne comptera pas dans le record qu’il tient, celui du personnage de série étant apparu dans le plus grand nombre de séries différentes.

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Post Scriptum

« Luther »
Saison 1 : 6x60’ - 2010.
Une production BBC.
Créé et écrit par Neil Cross. Réalisé par Brian Kirk, Sam Miller et Stefan Schwartz.
Produit par Katie Swinden.
Avec : Idris Elba, Ruth Wilson & Steven Mackintosh, Indira Varma, Paul McGann, Saskia Reeves, Warren Brown.

La saison 2 arrive le 14 juin 2011 sur BBC 1.