STEVEN MOFFAT — Scénariste avec un grand S
Tennant et Davies sont partis, mais séchez vos larmes ! Steven Moffat arrive !
Par Dominique Montay • 4 juin 2012
Petite introduction à Steven Moffat, pour ceux qui ne le connaîtraient pas, et jeu des comparaison avec son prédecesseur à la tête de « Doctor Who », Russell T Davies.

Tout ceux qui s’intéressent au docteur le savent aujourd’hui, l’homme qui a sorti de la poussière un monument de la télévision anglaise a décidé de se retirer en plein gloire, pas forcemment parce qu’il a déjà tout dit, mais sûrement parce qu’il a eu peur de se répéter. Russell T Davies a laissé sa place, emportant avec lui comme un Attila la totalité du casting. Pas forcemment un cadeau empoisonné pour son successeur, Steven Moffat, tant David Tennant appartenait à Davies. Moffat arrive avec devant lui une page blanche à remplir, et ça doit le remplir d’excitation et de joie.

I got the Job !

Le job de sa vie. Celui qu’il a mis 30 ans à obtenir. Depuis qu’il a 9 ans il en rêve. Il a écrit des nouvelles mettant en scène le septième doctor, Sylvester McCoy, éditées dans les recueils Decalog 3 : Consequences, publié chez Virgin Books. Il a produit une parodie avec Rowan Atkinson (« Mr Bean ») « The Curse of the fatal death ». Et depuis la relance de la série, il en est un des scénariste récurrents. Même dans ses séries précédentes, « Coupling » en particulier, les références aux docteurs sont nombreuses. Une obsession.

30 ans donc, à faire le prof, à débarquer à la télévision dans le sillage de son père et travailler entre autres sur « Press Gang », série pour ados, « Coupling », une sitcom et « Jekyll », une minisérie fantastique. De ces séries, Moffat écrira tous les épisodes, se sentant vidé et épuisé après chaque expérience. D’où cette réflexion alors que la BBC lui propose une saison 2 de « Jekyll ». « Pourquoi pas, mais il est hors de question que j’écrive tout ». Sûrement un motif pour la chaîne de ne pas poursuivre, mais là-dessous une envie plus forte. Moffat se voit intégrer une équipe de scénariste, pour la diriger ou pas. Un mode de fonctionnement qui existe sur « Doctor Who ». Lorsque « Jekyll » sort, Moffat travaille déjà depuis trois ans en régulier dans la série de Davies, lui offrant quelques uns de ses épisodes les plus réussis (nous y reviendront en fin d’article).

Jekyll, la répétition

Lors de « Jekyll », les rumeurs les plus folles courent. « Jekyll » serait un entraînement pour Moffat, qui veut la place de Davies et imposer James Nesbitt, le héros de « Jekyll » en nouveau docteur. Juste des spéculations qui ne se vérifient que sur un point : oui, Moffat sera le successeur de Davies, c’est le souhait des deux hommes. Deux hommes très différents dans leur manière d’aborder l’écriture.

Russell T Davies, le prédécesseur

Davies a de nombreux mérites. Un, il a redonné vie à un héros de la télé devenu has-been. Deux, il a un véritable sens des arcs narratifs. La maîtrise dont il a fait preuve dans la saison 3 en prenant le temps d’installer tous les éléments de son final au fil de les 10 épisodes précédents force le respect. Ou encore cette façon d’insérer un regard souvent sarcastique sur la confusion culturelle, en montrant par exemple des extraterrestres saluer la fin du monde en diffusant de la musique classique où se mélange Mozart et Britney Spears. On peut le saluer aussi sur les choix de casting ou de staff. En ça, tout est parfait. Par contre, autant Davies semble être doué pour gérer les grandes lignes, autant les petites ont plus de mal à abriter autant de maîtrise et de créativité.

Les tics de Davies sont nombreux et celui qui est le plus agaçant, c’est d’avoir une fâcheuse tendance à choisir la facilité. En fin de saison 3, la façon dont le Docteur est ramené « à la vie » est un peu téléphonée. En fin de saison 4, le coup du second docteur est un peu gros, tout comme le cliffhanger qui annonce l’éventuelle régénération du docteur (alors que tout le monde sait que Tennant finit la saison). Mais quand on regarde la masse d’épisodes de Davies, sorti des épisodes mythologiques, nombreux sont les épisodes mineurs. Si « Smith et Jones » et « Partners in Crime » sont des ouvertures de saisons très réussies, « Rose » et « New earth » sont extrêmement faibles. Pour des « Midnight » ou des « Turn Left » jubilatoires, combien de « Gridlock », de « Voyage of the damned », de « The Long Game » soporifiques et sans intérêt.

Moffat, talent pur

Moffat, lui, s’affirme comme un virtuose du scénario, de la phrase, sans forcemment cèder à la répétition et aux gimmicks. Moffat aime les « trucs » de scénarios. « Coupling », série comique, sitcom qui pourrait être analysée à la va-vite comme étant une resucée de Friends met en avant des petites prouesses scénaristiques. « Jekyll » en regorge, tout comme ses épisodes de « Who ». Idée géniale du dyptique « The Empty child / The Doctor Dances », Le docteur, Rose et Captain Jack écoutent un enregistrement de l’enfant qui les terrorisent. « Where’s my mummy ? ». Lancinant, continu. Jusuqu’à ce le docteur se rendre compte que le son continue sans la bande et que le gamin est avec eux. Idée géniale de « The Girl in the fireplace », faire intervenir le docteur dans la vie d’une femme pour lui toutes les 10 minutes, pour elle toutes les décennies. Idée geniale de « Blink », ces statues qui bougent quand on ne les regarde pas. Idée géniale de « Silence in the Library / Forest of the Dead », ces combinaisons spaciales qui, via leur système de radiotransmission, continue d’émettre quelques instants après la mort, offrant une voix à l’âme.

Mais comparer Davies et Moffat est très compliqué. Mettre en opposition le multi-tâcheur gardien du temple au talentueux free-lance, c’est manquer de respect et de discernement. Rien ne dit que Moffat sera capable de gérer une équipe de scénariste aussi bien que Davies, d’imbriquer des éléments qui ne lui appartiennent pas avec sa vue d’ensemble. Jusqu’ici, on l’a dit, Moffat a toujours tout écrit seul dans ses séries. Pourra-t-il déléguer, faire confiance ? Son amour irrationnel pour le docteur lui coûtera-t-il sa faculté de jugement ? Son talent supérieur à Davies en fait-il un meilleur showrunner que ce dernier ou va-t-il se heurter à son seuil de compétence ? Autant de questions qu’on est en droit de se poser. Moffat a commencé par assurer que non, « Who » ne deviendra pas une série horrifique, et ce même si tous ses épisodes partagent ce point commun.

Moffat le voulait, il l’a eu. Le docteur est sien, il l’a choisi, le façonne à son goût et a déjà posé les bases de ses capacités et de son avenir dans « Silence in the Library / Forest of the Dead ». Son rêve est réalisé, à lui de le concrétiser.