AUDIENCES – Pourquoi Doctor Who va mieux que bien
Halte au n’importe quoi !
Par Sullivan Le Postec • 10 avril 2010
Les audiences de la saison 5 de « Doctor Who » sont excellentes. Vous avez peut-être lu le contraire. D’où l’intérêt de faire une mise au point.

Les audiences, en général, c’est un des domaines de la télévision à propos duquel on lit le plus d’aberrations. Il faut dire que c’est souvent subtil et complexe, et que ces deux qualificatifs peuvent rarement être attribués au traitement de l’info média sur Internet.

C’est ce qui vaut à un site comme Ozap, qu’on a connu plus pointu, de faire une brève sur l’audience du premier épisode de la nouvelle saison, titrée « Audience UK, le nouveau Doctor Who à la peine » et qui commence par poser la question ’’le Docteur aurait-il du plomb dans l’aile ?’’. Or, il n’en est vraiment rien. Explications dans un article avec beaucoup de chiffres, mais qui va mettre les fans du Docteur de bonne humeur. Sauf quand ils repenseront au fait que l’info d’Ozap ne sera jamais corrigée et que cette analyse absurde restera en ligne pour l’éternité.

L’audience au Royaume-Uni, comment ça marche ?

Il y a quelques différences entre le système des audiences en Grande-Bretagne et en France (à l’avantage des britanniques d’ailleurs). Au lendemain de la diffusion d’un programme, des audiences préliminaires sont publiées (overnight ratings). Elles sont calculées sur un panel plus restreint et par tranches de cinq minutes. Huit à dix jours environ après, est dévoilée le calcul définitif de l’audience, reposant donc sur un panel élargi et une appréciation plus fine. Par ailleurs, ce calcul prend également en compte les téléspectateurs qui ont enregistré le programme au moment de sa diffusion, et qui l’ont regardé dans les sept jours. Sur certains programmes, les résultats diffèrent assez peu. Ce n’est pas le cas sur « Doctor Who ».
En revanche, ces audiences ne tiennent pas compte des visionnages sur Internet.

Par ailleurs, il faut connaître les modes de diffusion de « Doctor Who ». La complémentarité entre les différentes chaînes de la BBC est bien plus grande qu’en France. BBC3, un peu le France 4 local même s’il propose bien plus de production originale, rediffuse deux fois l’épisode passé le samedi soir sur BBC1 : une fois le dimanche en fin d’après-midi, et une seconde fois le vendredi soir suivant. Comme la plupart des gens ne sont pas du genre obsessionnels-compulsifs, ils savent qu’il est inutile de se précipiter chez eux le samedi en fin d’après-midi, ils pourront rattraper cela à coup sûr. Les études ont montré que 90 à 95% des téléspectateurs de ces rediffusions sur BBC3 n’ont pas vu de diffusion précédentes (ce sont bien es nouveaux téléspectateurs, donc). L’effet vase communiquant (audience plus faible le samedi sur BBC1 égal audience plus élevée des rediffusions sur BBC3) a déjà été maintes fois observé.
En outre, les chaînes de la BBC ne sont pas encore diffusées intégralement en HD. Il existe un Canal spécifique, la bien-nommée BBC HD, qui diffuse (pas forcément en simultané, même si c’est le cas dans la plupart des cas) les programmes disponibles en haute-définition. « Doctor Who » n’est tournée en HD que depuis les épisodes spéciaux de 2009, c’est donc la première saison régulière que les anglais peuvent aussi regarder sur ce canal.

La BBC n’a pas de pub à vendre, l’important c’est l’impact de son programme, ce en quoi il bénéficie à l’image de la BBC – et la manière dont son succès populaire pourra rendre possible l’édition de produits dérivés, ces produits qui font que même en l’absence de pub, « Doctor Who » est très rentable. Que les gens regardent le nouvel épisode sur BBC 1, 3 ou HD, c’est donc évidemment bonnet blanc et blanc bonnet.

Tout cela pour dire que baser un argumentaire sur l’overnight rating de la diffusion du samedi soir, c’est un peu léger. Encore plus s’il s’agit de dire qu’un programme est à la peine pour une baisse de 400 000 téléspectateurs par rapport à la dernière saison régulière datant de deux ans, sans tenir compte du chiffre de BBC HD. Vous ne me croyez pas ? lisez la suite de l’article !

Alors, « Doctor Who » ça marche ?

Et pas qu’un peu !

Un point sur les circonstances. Quand elle est revenue à l’antenne en 2005, « Doctor Who » l’a fait dans la case du samedi à 19h. Case conservée durant les trois premières saisons, durant lesquelles le succès n’a fait que croitre. A partir de la saison 4, la BBC a commencé à montrer des velléités d’avancer la diffusion du programme d’une demi-heure, pour pouvoir caser un programme de plus dans son samedi soir post-« Doctor Who », pour lequel la série est une puissante locomotive.
Parce que cela pouvait diminuer l’audience de la diffusion originale sur BBC 1, ce qui peut effectivement, on le sait maintenant, induire des analyses ridicules de journalistes simplistes, Russell T Davies protesta et la BBC accepta en milieu de diffusion de la saison de faire revenir la diffusion à 18h45/19h.

Mais cette année, la BBC est revenue à la charge pour booster son programme de casting « Over the Rainbow ». Le premier épisode de la saison 5 a donc été celui diffusé le plus tôt dans l’histoire de la nouvelle série : 18h20.
Malgré cela, l’overnight rating, en cumulant les deux diffusions en simultané sur BBC1 et BBC HD était de 8 millions de téléspectateurs (7,7 millions sur BBC1, 0,3 millions sur BBC HD). L’overnight rating de l’épisode de lancement de la saison 4, « Partners in Crime », était de 8,4 millions. Évidemment, en Grande-Bretagne comme ici, les chaînes numériques sont montées en puissance en deux ans. La différence est donc minime. Et cette différence n’est basée que sur l’audience provisoire, pas sur l’audience consolidée, plus juste. Cela ne tient pas compte non plus des diffusions complémentaires sur BBC3.

On a comparé ces 8 millions de l’audience préliminaire de « The Eleventh Hour » au score réalisé par le premier épisode de David Tennant, « The Christmas Invasion » : 9,4 millions. Or celui-ci était un spécial de Noël, diffusé un 25 décembre jour de haute audience en Grande-Bretagne. Depuis, l’audience préliminaire de ces spéciaux de Noël, devenu une vraie tradition, culmine au dessus de 10 millions (12,2 millions en 2007 ; 11,7 millions en 2008 ; 10 millions en 2009 – ces chiffres sont bien à chaque fois l’overnight, pas l’audience consolidée, encore plus élevée).

Entre-temps, l’audience définitive de « The Eleventh Hour » est tombée. 10,08 millions de téléspectateurs. Plus de 2 millions supérieur à l’audience préliminaire, ce chiffre confirme que l’heure est entrée en compte et que le programme a été massivement enregistré, et regardé dans la semaine. Lors de la saison 4, en 2008, la moyenne du gain entre l’audience préliminaire et l’audience consolidée étant de 650 000. Le gain de « The End of Time, part 2 » avait été de 1,5 millions, ce qui avait déjà semblé totalement exceptionnel. L’importance du nombre de gens enregistrant l’épisode pour le voir plus tard suggère une volonté de se réserver la diffusion à un moment d’attention optimal de son choix, ce qui implique que non seulement « Doctor Who » est beaucoup regardée, mais en outre que les britanniques veulent la regarder dans de bonnes conditions.

Conséquence de ce chiffre d’audience final de 10,08 millions, « The Eleventh Hour » a été le troisième programme le plus regardé de la semaine en Grande-Bretagne, seulement battu par deux épisodes de « Coronation Street », un des soaps anglais et véritable institution au succès dément. Seuls 12 épisodes parmi les 757 produits ont intégré le top 5 des programmes de la semaine (« Journey’s End », le final de la saison 4, a réussi à atteindre la place de numéro 1). « The Eleventh Hour », en chiffre brut, est la 8e meilleure audience de la série depuis son retour en 2005.

Ce chiffre de 10,08 millions ne doit pas faire oublier l’audience des deux rediffusions sur BBC3 : 0,74 millions le dimanche et 0,44 millions le vendredi (ce dernier chiffre n’est pas encore consolidé). Ça veut dire que 11,3 millions de téléspectateurs britanniques ont vu « The Eleventh Hour ». C’est le meilleur début de saison, mis à part « Rose » (le premier épisode de la nouvelle série).

Et tout cela ne tient aucun compte des téléchargements sur le iPlayer, le service de catch-up gratuit du site de la BBC. 1 million de visionnages à ce jour, alors que la moyenne est habituellement la moitié de cela (précisément 0,51 millions pour la saison 4, et 0,69 pour les Spéciaux en 2009).
Cette année, la BBC a décidé que tous les épisodes de la saison resteront disponibles gratuitement jusque la fin de sa diffusion début juillet.

Mais au deuxième épisode, ça a baissé, non ?

Pour chipoter, la réponse véritable est : ’’on n’en sait rien’’ !
En effet, pour le deuxième épisode diffusé samedi, nous ne disposons pour l’instant que des audiences préliminaires de samedi soir sur BBC1 et HD, et de la rediffusion de BBC3 dimanche. Ces chiffres ont été respectivement de 6,7 millions pour la diffusion BBC1/BBC HD et de 0,75 millions pour BBC3 dimanche.
Mais ce chiffre de samedi permet tout de même à « Doctor Who » d’être le programme le plus regardé de la journée. Et ce samedi était un jour de printemps exceptionnellement agréable en Angleterre. Par le passé, on a déjà vu que cela affectait l’audience préliminaire du samedi soir. C’est forcément d’autant plus le cas que l’épisode passe à 18h30 plutôt qu’à 19h.
La baisse est donc beaucoup moins significative qu’on pourrait le croire. L’audience consolidée risque de le démontrer. Et « The Eleventh Hour » a réalisé une audience exceptionnelle, presque à la hauteur d’un Spécial de Noël, il n’est donc pas un très bon point de comparaison.

Un cas d’école est l’épisode de la saison 4 « Silence in the Library », programmé face à la finale de « Britain’s Got Talent » sur ITV. La plus mauvaise audience de la série depuis son retour de 2005 : 5,4 millions pour l’audience préliminaire, 6,27 million pour l’audience consolidée. Mais la rediffusion du dimanche sur BBC 3 totalisa cette semaine-là 1,35 millions ; et celle du vendredi 600 000 de plus. A quoi on peut ajouter 550 000 visionnages sur l’iPlayer. Dans sa pire semaine, « Doctor Who » fut donc vu par quelque chose comme 8 millions et demi de britanniques.
Toute la nouvelle série se situe en fait dans une fourchette de 8 à 10 millions de téléspectateurs, avec des pics exceptionnels à 12 pour les spéciaux de Noël. A l’intérieur de cette fourchette, la série grappille constamment de l’audience. La moyenne de téléspectateurs hebdomadaires, c’est à dire l’addition des audiences des diffusions sur BBC1 et BBC3 lors de la semaine de permière diffusion, donne les résultats suivants :

  • Saison 1 : 8,62 millions de moyenne,
  • Saison 2 : 8,77 millions de moyenne,
  • Saison 3 : 8,87 millions de moyenne,
  • Saison 4 : 9,88 millions de moyenne.
  • Pour les Spéciaux de 2009, par définition programmation événementielle particulièrement bien exposée et promue, la moyenne d’audience, qui est donc beaucoup moins significative, a été de 12,21 millions.

face à ces niveaux carrément exceptionnels, la logique voudrait qu’on constate une régression de l’audience, un minimum d’usure du programme qui a cinq ans. Pour l’instant, elle n’est absolument pas arrivée. Et les chiffres de la saison 5 laissent entendre que cette année échappera peut-être encore à la moindre baisse !

Il reste une donnée importante, quand on parle d’audience, que je n’ai pas encore évoqué : la part de marché. C’est à dire, parmi le nombre de gens qui regardent la télévision à un moment donné, le pourcentage de ceux qui regardent un programme donné. L’épisode 5.02 « The Beast Below » a totalisé 34% de part de marché. « The Eleventh Hour », 38%. A l’heure où le téléspectateur moyen capte dix ou quinze chaînes, plus d’un tiers d’entre eux regardaient BBC 1 et « Doctor Who ».
A l’ère des chaînes numériques, ces résultats sont exceptionnels. D’autant que le marché britannique est bien plus concurrentiel que le marché français, où TF1 reste dans une position largement dominante, même si sa part de marché moyenne s’est désormais ancrée dans les 27-28%.

Alors les audiences sont bonnes ?

Mieux que ça : « Doctor Who » ne s’est jamais aussi bien porté. Et ça méritait d’être dit.

Post Scriptum

Informations issues de The Doctor Who News Page et de Gallifrey Base.

Dernière mise à jour
le 13 avril 2010 à 22h49