DOCTOR WHO — 1x01 : Rose (2005)
Un début qui ne laisse pas forcément présager tout ce qui va suivre...
Par Sullivan Le Postec • 20 mai 2012
Spécial « Nuit Doctor Who » sur France 4. En 2003, la BBC propose à Russell T Davies ce dont il rêvait depuis des années : relancer la série qui a bercé son enfance. Deux ans plus tard, en mars 2005 le premier épisode, « Rose », arrive à l’écran.

Mettre à niveau toute une génération née après 1989 qui n’a jamais vu « Doctor Who », ou presque, et montrer aux fans de la première heure que tout est comme avant (à part ce qui a changé en bien). Voilà la feuille de route de Russell T Davies qui doit aussi imposer un nouveau Docteur face au souvenir de Tom Baker, qui hante les esprits britanniques, et faire du Compagnon un personnage du XXIe siècle.

Rose

Écrit par Russell T Davies ; réalisé par Keith Boak.
Dans un magasin de vêtements de Londres, une jeune vendeuse prénommée Rose. Elle mène une vie tristement normale, qui l’ennuie terriblement. Mais un soir, les mannequins en plastique semblent prendre vie. Elle est sauvée par un homme mystérieux, le Docteur. Elle cherche à en apprendre sur plus et réalise qu’il est encore plus étrange que tout ce qu’elle avait imaginé. Mais les aliens en plastique l’épient pour tenter de mettre aussi la main sur le Docteur. Il va devoir à nouveau la sauver. A moins que ce ne soit l’inverse.

‘‘You cannot hurt me. I’m immortal !’’

La notion d’œuvre familiale s’est depuis longtemps détachée de sa signification originale. Aujourd’hui, une fiction familiale s’entend en effet généralement comme destinée uniquement aux enfants. Elle s’avère plus ou moins idiote, plus ou moins condescendante envers les jeunes qui la regardent (souvent plus que moins). D’une manière générale, les adultes partageront son visionnage avec eux essentiellement par devoir et sens du sacrifice, partagés entre ennui et absolue affliction. Il faut sans doute reconnaître que l’art d’associer la fantaisie d’un univers pouvant attirer le jeune public à l’intelligence et la réflexion susceptible d’attirer le public adulte, sans jamais s’aliéner ni l’un, ni l’autre, est l’un des plus difficile qui soit.
On saluera dès lors d’autant plus fort l’impeccable réussite de la nouvelle version de « Doctor Who », due au génial fanboy Russell T Davies.

En Grande-Bretagne, « Doctor Who » s’est depuis longtemps imposée comme une véritable institution. Il suffit sans doute, pour le démontrer, de mentionner que le premier épisode fut diffusé à l’automne 1963. Depuis, Eccleston est le neuvième acteur à endosser le rôle, après une nouvelle “régénération” du Docteur, qui lui permet de changer de visage. Mais ce nouveau Docteur arrive après 9 ans d’absence de « Who » des écrans. Presque 16 ans, même, puisque son retour de 1996 ne dura que le temps d’un téléfilm tourné à Vancouver, co-production entre le Network US Fox et la BBC, qui ne devint jamais une série suite à son échec à l’audimat américain.
Ce temps écoulé explique que cette nouvelle version, si elle s’inscrit bien dans la continuité globale (d’un gigantisme dément) des séries précédentes, soit aussi un véritable re-lancement qui tienne particulièrement compte de nouveaux spectateurs qui ne connaissent peut-être le Docteur que de réputation - voire pas du tout. Pas besoin de paniquer, donc, si c’est votre cas et que vous lisez ces lignes en vous demandant si vous devriez vous y mettre : cessez la lecture et foncez regarder la série.

Légère introduction

Le fait que « Doctor Who » soit repris sous la direction du scénariste Russell T Davies était une formidable nouvelle sur tous les plans.

D’abord parce que nous savions que Davies était un fan du Docteur, comme le prouvaient les constantes allusions à la série dans « Queer as Folk », la série qui lui permis de se faire — ô combien brillamment — un nom (et nous parlons bien sûr ici de la version originale anglaise, pas de la très pâle copie américaine). Mais surtout parce que Davies est un maître en ce qui concerne la caractérisation et l’écriture des personnages. Exactement ce dont une série de science-fiction parodique a besoin pour s’ancrer dans une certaine réalité, ce qui permet à son téléspectateur de se préoccuper réellement des hebdomadaires invasions de monstres et de robots démoniaques.
C’est cette habileté de Davies à incarner des êtres véritablement Humains - même quand ils sont extraterrestres - qui confère à ce nouveau « Doctor Who » la capacité de captiver les adultes autant que le jeune public.

Toutefois, cette réalité mettra quelques épisodes à être démontrée. Les tous premiers de la série sont en effet décevants, de ce point de vue comme de plusieurs autres.

« Rose », ce premier épisode, s’attache pourtant avec beaucoup d’application à introduire le nouveau compagnon du Docteur. Rose, donc, jeune fille de 19 ans vendeuse dans une boutique Londonienne, dont on nous dépeint avec un savoir-faire certain la vie par trop commune, et donc potentiellement désespérante. Mais le personnage peine à marquer réellement. Ce n’est pas la faute de l’actrice. Billie Piper est plutôt épatante, charmante et pleine de charisme. Elle se révèlera à la hauteur des exigences de la série tout au long de la saison. Le responsable est bien le scénario, qui se refuse trop à prendre le risque d’être sérieux, bâclant son histoire anodine d’envahisseurs aliens en plastique. Tout est traité avec des doses souvent massives de dérision, qui finissent par ôter au résultat final toute sensation de réalité. Dans l’ensemble, on a l’impression d’être devant des personnages de dessin-animé — expression devenue commune qui révèle en elle-même combien la mauvaise fiction pour enfants a pris le pas sur la bonne — qui vont dans la direction voulue par le scénariste-marionnettiste juste “parce que”.
Ainsi de la scène finale où Rose décide de rejoindre le TARDIS du Docteur et de partir à l’aventure : la réalisation et le montage cherchent désespérément à y donner de l’emphase et un certain souffle, aveu du cruel échec du scénario.

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C’est d’autant plus flagrant qu’un peu plus tard dans la saison, l’excellent épisode « Father’s Day » (1x08) donnera rétro-activement une excellente et touchante raison cachée à Rose pour suivre le Docteur. En revisionnant « Rose », il apparaît clairement que cette idée vint par la suite et qu’elle n’était dans l’esprit de personne au moment où la scène finale du pilote fut écrite puis tournée.

Ce sentiment global de “non-réalité” est renforcé par des incongruités visuelles majeures : alors que le téléspectateur identifie très facilement les aliens de plastique personnifiant un personnage humain de part un maquillage grossier, Rose, le Docteur et les autres semblent tous atteints d’une myopie sévère et impromptue. Impossible, dès lors, de croire une seconde à ce qui se passe à l’écran. Une erreur que la série ne refera plus jamais, ce qui vaut la peine d’être signalé.

Au rayon des réclamations de fans grincheux, on notera une fixette débordante de mauvaise foi sur le format de la série. En effet, dans toutes les versions précédentes, chaque histoire était composée de 4 épisodes de 25 minutes. Dès lors, certains reprocheront systématiquement aux histoires sur un épisode de 45 minutes d’avoir un rythme précipité...

Sur le point de sa mise en images, la qualité globale de la série est assez bonne, loin du kitsch intégral passé. Cela dit, elle n’est pas avare non plus en effets ratés, aussi bien physiques que numériques, mais ceux-ci finissent par faire partie intégrante de son univers visuel. Cela dit, sur un certain nombre d’épisodes, il y a une très large marge de progression dans la réalisation ou les décors, même si on a l’impression que les choses s’améliorent constamment au fil des épisodes. C’est notamment régulièrement le cas du montage — plusieurs épisodes de la première saison contiennent des faux raccords de débutant assez incongrus.


Une introduction pas tout à fait à la hauteur de la série qui va suivre. Toutes les bases sont là, mais pour l’instant la somme vaut moins que toutes les parties. Il faut dire que la Grande-Bretagne n’avait rien produit d’aussi ambitieux et compliqué depuis longtemps, à l’époque. Après une semaine de tournage, la série avait déjà trois semaines de retard sur le planning ! Eccleston reste un Docteur charismatique qu’on a très envie de suivre, et son alchimie avec Billie Piper est évident.