DOCTOR WHO — The Edge of Destruction (1964)
La troisième aventure de la série est un huis-clos qui explore les relations entre les personnages.
Par Sullivan Le Postec • 20 mai 2012
Spécial « Nuit Doctor Who » sur France 4. Nous sommes en février 1964. « Doctor Who » a commencé depuis un peu plus de deux mois. Après deux aventures, les auteurs s’attachent à explorer leur groupe discordant de personnages.

La première aventure du Docteur, « An Unearthly Child », dont la critique est publiée ici, voyait le Docteur embarquer de force les personnages de Ian et Barbara, deux enseignants qui se posaient des questions sur une de leurs élèves, l’étrange Susan, petite-fille du Docteur. Ils se retrouvaient en 100 000 avant JC, confrontés en trois épisodes à des hommes préhistoriques. Suivait ensuite un serial en sept parties, écrit par le légendaire auteur Terry Nation, qui introduisait déjà l’ennemi le plus célèbre de la série, les Daleks. Après ces dix semaines, le choix des producteurs fut d’offrir une pause via « The Edge of Destruction » et « The Brink of Disaster », un huis-clos en deux parties entièrement situé à bord du Tardis qui mal-fonctionne.

The Edge of Destruction

Écrit par David Whitaker ; réalisé par Richard Martin (épisode 1) et Frank Cox (épisode 2).
Première partie : The Edge of Destruction. Un incident se produit à bord du Tardis. Ses quatre occupants sont secoués et s’écroulent inconscient. Lorsqu’ils commencent l’un après l’autre à se réveiller, ils sont confus et inquiets, leur mémoire leur jouant des tours. La paranoïa s’empare d’eux. Susan se sent menacée, quand le Docteur accuse Ian et Barbara d’avoir saboté son vaisseau. La porte du Tardis est restée ouverte, quelqu’un ou quelque chose s’est-il introduit ?
Seconde partie : The Brink of Disaster. Alors que le Docteur s’est approché de la console, Ian tente de l’étrangler. Dès que le Docteur l’écarte, il s’évanouit. Le Docteur, toujours persuadé que Ian et Barbara complotent contre lui, est prêt à les abandonner dehors, peu importe l’endroit où ils se trouvent. Mais il réalise qu’ils ne sont pas en cause. Rassemblant des indices, Barbara comprend peu à peu que le Tardis lui-même cherche à les avertir d’un problème avant qu’il ne cause leur destruction. Le Docteur et Ian découvrent bientôt la partie endommagée de la console et le vaisseau reprend un fonctionnement normal. Le Docteur s’excuse auprès de Barbara et Ian et leur relation part d’un nouveau pied.

Relations

Cette aventure qui se concentre toute entière sur les relations entre les personnages est née de différentes contraintes. D’abord, la commande initiale de la BBC pour « Doctor Who » était de 13 épisodes. Les trois premières histoires ayant occupé 11 épisodes, il n’en restait plus que deux pour compléter la commande au moment de l’écriture des scripts, l’équipe ne sachant pas si la BBC prolongerait la série (dont les audiences ont vite décollé, de 5,9 millions de téléspectateur en moyenne pour la première aventure, l’audience a atteint, et s’est stabilisée, autour de 10 millions dès les deux derniers épisodes du deuxième serial, « The Daleks »). Mais il fallait aussi faire avec les contraintes de budget (2500 Livres de l’époque par épisode, mais la production d’un épisode Pilote non diffusé avait causé des coûts supplémentaire au démarrage) : cette troisième histoire est donc devenue un bottle episode n’impliquant que les quatre acteurs principaux dans le décor permanent du Tardis. On constate au passage que ces bottle episode, inconnus en France, sont une conséquence directe de la production de véritables séries, et de la culture sérielle qui va avec.

Un huis-clos centré sur les personnages réguliers pouvait facilement s’envisager. En effet, les interactions entre les personnages étaient très différentes de celles que l’on connaît aujourd’hui et offrait de la matière à l’exploration.
En effet, Ian et Barbara ne sont pas des compagnons de voyage volontaires du Docteur. Ils ont été enlevés par lui, de peur qu’ils ne parlent après avoir découvert l’existence du Tardis. Le Docteur, parfois inquiétant, est aussi manipulateur. Dans « The Daleks », il invente un prétexte pour forcer tout le monde à explorer une ville qui pique sa curiosité, ce que Ian et Barbara finissent par découvrir.
Par ailleurs, le Docteur de l’époque était encore un mystère total, de même que Susan. On ne savait pas d’où ils venaient, pourquoi ils avaient coupé les ponts avec leur civilisation, ce qu’ils voulaient. Et il faut encore ajouter que le Docteur n’avait aucun contrôle sur la destination du Tardis.

« The Edge of Destruction » permet de dépasser la méfiance initiale entre les quatre personnages et de constituer un ensemble plus uni.

Malgré cela, il faut bien reconnaître que les deux épisodes souffrent de certaines longueurs, notamment par l’absence d’une réelle menace plus importante qu’un bouton coincé — et j’ai bien cru que l’explication de ce qu’était un bouton coincé n’en finirait jamais !

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Le Tardis

Cet épisode introduit l’idée que le vaisseau du Docteur dispose d’une certaine forme d’intelligence, un concept qui a été encore plus mis en avant depuis le retour de la série en 2005, via des épisodes comme « Boomtown » ou « The Parting of the Ways », de la première saison, et bien sûr « The Doctor’s Wife » de Neil Gaiman, diffusé dans le cadre de cette Nuit Doctor Who.

Mais ce qui est le plus frappant, c’est à quel point le Docteur paraît méconnaître son vaisseau. Ce n’est que plus tard qu’on apprendra que le Docteur a volé son Tardis — quoi que le Tardis lui-même soit plutôt d’avis qu’il a volé le Docteur — ce qui peut expliquer qu’il en maîtrise mal le fonctionnement : il a appris à le piloter largement sur le tas, c’est pourquoi aujourd’hui encore River Song est capable de lui donner des leçons.

Prolongée au-delà de sa commande initiale de 13 épisodes suite à ses très bons résultats d’audience, « Doctor Who » proposa immédiatement après « The Edge of Destruction » le serial historique en six parties « Marco Polo ». Celle-ci est la première histoire perdue, dont il ne subsiste aujourd’hui plus la moindre minute filmée. En effet, jusqu’en 1977, la BBC économisait sur le prix des bandes d’enregistrement en effaçant celles de programmes dont les droits de diffusion avaient expiré pour les réutiliser. Seuls sont parvenus jusqu’à nous la bande sonore de « Marco Polo » et quelques ‘‘Telesnaps’’, sorte de captures d’écran rudimentaires de l’époque.
Plus d’une centaine d’épisodes ont ainsi été perdus. Un fait important à rappeler qui replace dans son contexte l’importance culturelle d’un événement tel que la Nuit Doctor Who, qui contribue à conserver la mémoire souvent défaillante de la télévision.


Certes, « The Edge of Destruction » aurait gagné à faire une dizaine de minutes de moins. Il constitue toutefois un huis-clos pas inintéressant qui sait mettre en valeur les personnages que la série était en train d’installer. Il montre aussi, cruellement, que la Grande Bretagne du début des années 60 avait davantage de culture sérielle que la France de 2010...

A la porte
L’ouverture et la fermeture de la double porte du Tardis posait régulièrement des problèmes techniques à l’équipe de la série. C’est une des raisons pour lesquelles le premier épisode a du être tourné deux fois. Lors de la scène où elles ne cessent de s’ouvrir et se refermer devant Ian, on constate effectivement que leur fonctionnement est assez approximatif.

Titres alternatifs
L’habitude d’avoir des titres globaux pour désigner un serial entier n’a été prise que plus tard. Celui-ci comme nombre d’autres de la série est désigné selon les usages par plusieurs titres différents. A la fin des années 70, la BBC a pris l’habitude de désigner la plupart de ces premiers serial par le titre de leur premier épisode, et à utiliser ce titre pour ses produits dérivés (adaptations en romans, sorties VHS puis DVD).
A l’époque, le scénariste David Whitaker utilisait pour sa part le titre « Inside the Spaceship ». Quant à « Beyond the Sun », même s’il n’a pas grand-chose à voir avec l’épisode, il est apparu sur certains documents de vente de la série à l’étranger de la BBC au début des années 70. C’était en fait un titre de travail pour « The Daleks ».

Dernière mise à jour
le 19 mai 2012 à 06h04