LE RAINBOW WARRIOR • FICTION FRANCAISE ET POLITIQUE
Fiction de Crise
Par Sullivan Le Postec • 17 mars 2007
1985. Le Rainbow Warrior est coulé par l’explosion de deux bombes. Ce n’est pas la fin mais le début d’une histoire, une intrigue où ce qui est habituellement caché éclate soudain peu à peu au grand jour.

Auckland en Nouvelle Zélande, 1985, deux agents français, Dominique Prieur et Alain Mafart, prennent une chambre d’hôtel avec vue sur la baie pour assister à l’amarrage du Rainbow Warrior, le bateau de Greenpeace en lutte contre les essais nucléaires français à Mururoa. Quelques heures plus tard, ils participeront à l’opération visant à faire couler le navire avec deux bombes. Mais l’opération se passe mal : un photographe n’a pas évacué le Rainbow Warrior après la première explosion. Il meurt noyé. Les deux agents sont arrêtés par les autorités nouvelle-zélandaises. Une toute autre histoire vient de commencer : elle est politique, médiatique, et diplomatique...

On aurait sans doute pu s’attendre à ce que le film laisse une place beaucoup plus importante à l’opération à proprement parler, ici expédiée en 15 minutes. Dans les faits « Le Rainbow Warrior » s’éloigne alors très vite du thriller d’espionnage pour tenter le thriller politique. Et c’est réussi.
Dans un premier temps, on aura apprécié un refus certain et bienvenu de se laisser aller à la représentation habituelle glamour et sexy du métier d’agent secret. La vision ici proposée est terre à terre, réaliste.

Edwy Plenel a participé à l’écriture du film. La rédaction du Monde, et plus particulièrement un journaliste et sa supérieure, représentent donc le point de vue des médias dans le film. On remarquera qu’on a veillé à ne pas trop donner le beau rôle à ce personnage ; ce qui aurait pu confiner à l’exercice d’auto-célébration est donc évité. Ainsi, c’est pas convaincu par son potentiel que le journaliste accepte de la suivre, et un running-gag qui fonctionne très bein le voit se faire constamment entraîner à une sorte de concours d’orthographe avec sa rédactrice.
Ce petit détail participe de ce qui fait la réussite de « Rainbow Warrior ». En effet, là où de nombreuses adaptations de faits réels croulent sous le poids de la réalité, ne réussissant que rarement à faire fonctionner la fiction, ce téléfilm parvient à brosser de véritables personnages, dotés d’une personnalité.

A ce égard, on aura notamment remarqué les passes d’armes entre les employés des différents Ministères, qui se renvoient la balle de la responsabilité. Mais, en petit comité, on découvre des hommes déçus. Venus travailler là avec l’arrivée de la gauche en 1981, et les espoirs qu’elle portait, ils se trouvent maintenant en première loge pour assister au spectacle cruel du renoncement aux idéaux.

Les conflits politiques ne sont pas contournés par la fiction, et sont même bien mis en scène. Les militaires, dont beaucoup n’ont toujours pas digéré la nomination un temps de quelques ministres communistes au gouvernement, se sont lancés d’autant plus facilement à l’assaut du Rainbow Warrior qu’ils assimilent les militants Verts aux Rouges. Mais le terrible échec de cet opération est-il seulement le résultat d’incompétences ? L’ampleur des ratés pousse presque à croire en une volonté délibérée de déstabiliser le pouvoir en place pour s’assurer de sa défaite aux Législatives un an plus tard.

Concernant l’investigation journalistique, la construction de l’enquête qui dévoile peu à peu au grand jour l’opération et son organisation, pendant qu’on assiste aux tentatives d’allumage de contre-feux et de leurres par le gouvernement, est parfaitement maîtrisé. Le téléspectateur qui n’aurait qu’une connaissance vague de l’opération aura même sa part de suspense avec la découverte finale de l’existence d’une seconde équipe qui, elle, a physiquement posé les bombes sur le bateau. Reste peut-être à savoir si la fiction est suffisamment forte pour réussir à intéresser celui qui connaîtrait déjà bien les rouages de l’affaire.

Les personnages de Dominique Prieur et d’Alain Mafart ne sont finalement qu’assez peu présents dans le film qui a été tourné. Il serait dès lors intéressant de pouvoir comparer avec la version de TF1, toute centrée selon les communications presse, sur Dominique Prieur et sa vie familiale, à laquelle elle tenait beaucoup (la version Canal l’établit), et qui se voit bouleversée par ces onze mois d’emprisonnement.
Il est certain que si plaisir il y a au visionnage de ce film-là, il est sans aucun doute très différent du succès du « Rainbow Warrior » de Canal + à décrire les coulisses d’une affaire politico-médiatique.

Post Scriptum

« Le Rainbow Warrior » est disponible en DVD (de même que la version TF1 de l’affaire).

Dernière mise à jour
le 3 mars 2009 à 00h54