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1.01 - A la Recherche du Prince Charmant
A la recherche de la fiction française charmante
mercredi 18 mai 2005, par
Le Messie serait arrivé. C’est une fille, assez chiante, complètement égocentrique, vaguement gourde et incapable de régler ses problèmes de cœur. Ah oui, le Messie, de nos jours, c’est plus ce que c’était !
Aujourd’hui, Clara a décidé que c’était le printemps. Elle retourne donc l’appartement qu’elle partage avec son colocataire JP à la recherche de ses merveilleuses petites sandales. JP est en retard. Clara aussi, d’ailleurs, puisqu’ils travaillent dans le même journal. Mais Clara est rédactrice de la nouvelle rubrique star de l’hebdo, JP est comptable, ça fait une différence, on suppose. JP met néanmoins la main sur les sandales et le duo se met en chemin ensemble. Oups, il pleut des cordes. Clara savait bien qu’elle aurait du regarder par la fenêtre en se levant...
Arrivés au journal, Clara et JP ont tôt fait de remarquer le beau cul du nouveau photographe qui va travailler pour le magazine. Si Clara s’apprête à passer à l’attaque, JP, lui, va surtout rester dans son coin : personne ne sait qu’il est homo. En fait, tout le monde le pense en couple avec Clara...
Bertrand, le patron du journal, demande à JP de prendre sous son aile son fils Hervé qui va faire un stage. Celui-ci ambitionne de devenir DJ et Bertrand ambitionne de le ramener aux réalités de la vie, il n’a rien trouvé de mieux que JP pour ça. Alors qu’il imagine la corvée de se trimballer le fiston boutonneux qui figure en photo sur le bureau du patron, JP rencontre Hervé par hasard. Quelques années de plus que sur la photo de papa, plus un bouton, et même carrément sexy. Hervé aime Madonna, la techno, écoute radio FG, est piercé et pratique à fond la cool attitude façon cliché télé. Alors, pédé ou pas pédé ? Mais à quoi bon ? Même s’il l’était... Comment sortir du placard ?
Bien loin de ces questions existentielles, Clara découvre dépitée que le photographe semble ne même pas la remarquer... sauf pour la vanner ! Après quelques péripéties, il prend toutefois son numéro de téléphone et lui promet de la rappeler pour aller boire un verre ce soir là. Mais JP avait prévu d’emmener Clara à dîner chez ses parents. Elle se montre du coup vachement réticente à y aller, et suggère à JP qu’il serait peut-être temps de penser à faire son coming-out. ‘‘Mélange pas mon coming-out et tes histoires de cul’’, lui répond JP.
Ils se mettent d’accord pour aller au dîner, et s’éclipser dès que Clara aura eue des nouvelles de son photographe. Ils laissent donc la mère de JP en plan au moment du dessert, persuadée qu’elle l’a raté.
‘‘T’as une mère dépressive, toi ? La mienne se suicide pour une crème ratée, t’imagines si je lui dis que je suis pédé ?’’
Après sa soirée avec le photographe, Clara le raccompagne. Il est beau, drôle, spirituel, charmant, fait bien la conversation. ‘‘Si on pouvait être sûre et certaine qu’il ne fait pas ça pour vous sauter. Mais bon, l’avantage c’est que quand on en a autant envie que lui, la question devient nettement moins gênante’’. Sauf qu’après un chaste baiser, le nouvel homme idéal de Clara... lui dit bonsoir.
L’ambiguïté nourrissant l’ambiguïté, la relation de JP avec Hervé se fait de plus en plus...heu, ambiguë. Alors qu’il l’a à nouveau emmené dans une boite gay, JP lui fait finalement son coming-out : ‘‘je suis homo moi aussi’’. C’est à cet instant et nul autre que surgit la copine d’Hervé...
Clara est chez sa meilleure amie, Jeanne, casée avec David avec qui elle essaie de concevoir un bébé. Clara ne comprend pas l’attitude du photographe, et après ‘quelques’ verres, décide de se rendre chez lui. Elle le fait de ce pas, le tirant du lit à quatre heures du matin. Et quand il lui dit qu’il faudrait peut-être remettre la discussion qu’envisage Clara et aller se coucher, celle-ci le prend pour une invitation et se met aussitôt dans son lit. Mais le photographe se contente d’appeler un taxi.
Rentrés à l’appart’, Clara et JP sont aussi déprimés l’un que l’autre. En manque d’affection et de réconfort. Ils se caressent, s’embrassent, et font l’amour...
Quand elle est arrivée chez JP après une rupture qui l’avait mise dans un état désastreux, JP l’a prise sous son aile, lui a trouvé ce boulot de journaliste, a toujours su être là pour la réconforté. Mais Clara réalise avec Jeanne qu’elle à peu à peu fait de son meilleur ami homo son homme idéal, et qu’il y a plus sain comme relation...
Alors que JP était au départ censé le prendre sous son aile, c’est en fait Hervé qui aide JP à se sentir mieux dans sa peau et à évoluer un peu dans un milieu gay où il se sent trop mal à l’aise.
De son coté, Clara reçoit des excuses de son photographe trop déphasé pour envisager une nouvelle relation. Elle pose un baiser sur sa joue et s’éloigne. En rentrant chez elle, elle se prend les pieds dans le matériel du tout nouveau voisin du dessous, qui refait son appart’ avant d’emménager. Il s’appelle Gilles. Elle s’appelle Clara. Clara Sheller...
Critiquer Clara Sheller ici, sur la Ligue, n’est pas chose aisée. Dans notre vision de la série, nous sommes en effet plongés dans une constante dichotomie de contextes : Clara vs les séries françaises / Clara vs les séries anglo-saxonnes.
Le problème vient du fait que si la série surnage très, très largement au milieu des premières, apportant un ton frais et nouveau, elle fait pâle figure à coté des autres, principalement en raison de failles scénaristiques - le propos de la série a souvent plus d’ambition que de fond.
Reste, donc, à s’accorder sur nos attentes. A savoir si on a compris qu’on peut difficilement attendre d’une fiction française balbutiante qu’elle révolutionne son média à l’échelle internationale, mais que celle-ci doit dans un premier temps passer par une phase de formation - tant de ses auteurs que du public, d’ailleurs - qui se matérialise sous la forme de divertissements plaisants.
Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si quelques jours après Clara Sheller arrivait sur l’antenne de France 2 la mini-série Nom de code : DP : celle-ci fait suite à presque 10 ans de PJ et autres fictions policières honnêtes mais pas bouleversantes, Clara défriche un terrain vierge.
La nationalité de Clara Sheller a un autre avantage. Jusqu’ici, pour voir une bonne histoire bien écrite de la vie de tous les jours d’un groupe de personnage, il fallait se contenter de séries US et de leurs personnages bigots, qui se ‘‘huggent’’, disent ‘‘Oh, my God !’’ toutes les deux phrases, etc. Si Clara est un peu moins bien écrite que ses modèles, elle bénéficie de l’identification - ou au moins une certaine compréhension, les persos de la série n’étant clairement pas écris pour qu’on s’identifie à eux au sens d’adhérer entièrement à leur comportement - plus automatique permise par la proximité comportementale et contextuelle qu’on a avec les personnages.
De toute évidence, une série de type soap, sans véritable concept fort (une nana et son meilleur ami homo dans un appart’, c’est à la fois bateau et riche de possibilités à exploiter) repose d’abord et avant tout sur ses personnages. Là encore, on pourra choisir de voir le verre à moitié vide ou à moitié plein.
Par chance, Clara elle-même est le meilleur personnage de la série. Attachante et insupportable, intelligente et gourde, trop spontanée et pourtant trop cérébrale, le portrait de ses contradictions est brossé avec pertinence et réalisme. Il est nettement appréciable qu’on ait eu la volonté de mettre au centre d’une série un personnage aussi bourré de défauts francs, qui se démarque du coup nettement des héros citoyens ‘plus lisse, t’es invisible’ qui pullulent par chez nous. Mélanie Doutey est assez formidable dans ce rôle casse-gueule, et au final le personnage atteint parfaitement son objectif. C’est à dire qu’on a envie de suivre ses aventures tout en la baffant à l’occasion.
Quoiqu’un peu moins caractérisé, le personnage de JP fonctionne lui aussi assez bien. Plus attachant mais pas forcément moins égocentrique, il semble ne vouloir affronter tous ses problèmes qu’à reculons, et pourtant s’étonne de ne pas avancer. Diefenthal livre une prestation honnête.
Surtout, ces deux personnalités fonctionnent bien ensemble, sur un mode de relation auquel on arrive à croire, même si quelques libertés nécessaires sont prises avec le réalisme pour renforcer le caractère de JP, afin qu’il ne subisse pas trop Clara. L’homo qui couche ou presque-couche avec sa fille à pédé attitrée, c’est le plus gros cliché du monde - c’est bien simple on y a eu droit dans chaque téléfilm Français sur le sujet : Juste une Question d’Amour, A Cause d’un garçon, Un Amour à Taire. Mais c’était là l’une des fois où j’ai trouvé l’ensemble mieux traité et le moins énervant. La séquence est aussi rachetée à mes yeux par le fait qu’elle, au moins, va servir à quelque chose...
Pour le reste des personnages... c’est la que l’on voit poindre le problème. Une bonne demi-douzaine d’autres personnages gravitent autour du duo, qui ne sont guère plus que de vagues caricatures sur pattes. On aimerait pouvoir croire en un développement ultérieur, mais sur six épisodes... En l’état, ils ne fonctionnent que si les acteurs arrivent à tirer leur épingle du jeu. Ainsi Hélène Vincent transcende la figure de la mère dépressive par une composition savoureuse, Valérie Donzelli et Bruno Salomone contribuent à l’invisibilité de leurs deux personnages et, entre les deux, le personnage d’Hervé cliché pas très fin de métrosexuel ‘djeunz attitude’ est sauvé in extremis par un interprète qui semble inexplicablement y croire, même quand il doit s’enthousiasmer pour un pur mix de soupe en boite...
Tiens, puisqu’on parle des scènes de boite, celles-ci sont pitoyablement ratées et illustrent un certain défaut dans la représentation de tout ce qui nécessite un certain niveau de connaissance / familiarité. On sait que les bureaux de production US sont souvent bardés de conseillés et de chargés de recherche, mais, quand même, un effort serait parfois le bienvenu, surtout compte-tenu du fait que nos délais sont très largement supérieurs aux leurs.
A cela et quelques autres exceptions prêts, la série bénéficie d’une réalisation soignée et là encore largement plus réussie que la moyenne française. On aurait, cependant, presque envie de le passer sous silence pour protester contre la bêtise crasse de môssieur le réalisateur de « film » (voir le forum).
En terme d’écriture, le principal problème dans la forme est un rythme inégal. L’épisode s’embarrasse un peu trop souvent de séquences inégales et l’ensemble est par trop déstructuré. Les deux principales références de Clara Sheller sont Ally McBeal et Sex & the City. La première avait les procès, l’autre les papiers de son héroïne ; Clara Sheller manque d’un tel liant qui fluidifierait la narration et, en les rendant plus identifiables, pourrait permettre d’alléger le traitement des thèmes.
L’alternative serait une écriture parfaite de bout en bout, à la Queer as Folk U.K. (j’ignore si c’est une référence de l’auteur, en tout cas la nature de mini-série bouclée appuie le rapprochement) et force est de reconnaître qu’on y est pas vraiment. Celle-ci est en fait assez paradoxale et très inégale.
Une minute, on a une scène formidable qui se joue avec intelligence des clichés en les rendant signifiants. Exemple, la séquence de la machine à laver. JP a insisté pour que Clara essaye de s’impliquer un peu dans les travaux ménagers à l’appart. Toute fière, elle lui a annonce qu’elle a fait une machine. Làs ! Une chaussette rouge a coloré en rose tous les sous-vêtements de JP. Clara a interdiction de s’approcher de la machine. De cette manière, en faisant usage d’une situation familière (c’est toujours la bonne face des clichés) on caractérise les deux personnages en retournant sa configuration classique (c’est la fille qui ne sait pas faire une machine), on caractérise le couple (toujours se plaindre, ne surtout jamais rien changer), et on caractérise JP (ses slips en rose pédé, l’horreur ultime !).
La minute d’après le plus vieux cliché du monde pourra vous être asséné lourdement, sans recul, sans rien signifier, sans rien caractériser. Et, une fois sur deux, en plus, sans être drôle (allez, par exemple, les ‘efforts’ de David et Jeanne pour avoir un bébé).
Alors... Bouteille à moitié vide ou à moitié pleine ?
Soyons simples et profitons d’un très honnête divertissement, toujours frais, souvent drôle, parfois intelligent. On a vu de très bonnes séries démarrer sur un bien pire premier épisode. L’avantage des autres c’est qu’elles en avaient généralement plus que 6, cela dit... (7/10)
LTE || La Ligue des Téléspectateurs Extraordinaires