Vite Vu ...au Festival des 4 Ecrans • Episode 6
On a vu. On a aimé. Ou pas. On vous dit tout. En bref !
Par Sullivan Le Postec • 23 octobre 2007
« Ghosts », « l’Ecran d’Or » Britanique du festival, mais aussi « Vida de familia », téléfilm espagnol, et « Ravages », un unitaire d’Arte.

Une fiction pour mieux documenter

Il n’est pas très étonnant que le téléfilm anglais « Ghosts » [1] ait remporté « l’Écran d’Or » du festival, toutes catégories confondues. En effet, ils s’inscrit parfaitement dans la ligne éditoriale de la manifestation, qui interroge les manières de retranscrire le réel sur nos différents écrans.

Au commencement, le scénariste Jez Lewis, présent à la projection, avait en effet rejoint Bankside Films avec l’idée de travailler sur des documentaires. A l’arrivée, « Ghosts » sera son premier scénario de fiction.
En février 2004, 23 immigrants Chinois en situation irrégulière meurent au Royaume-Unis, à Morecambe Bay, surpris par la marée. « Ghosts » sur le mode de la fiction très documentée, raconte l’histoire de ces hommes et femmes, exploités par l’industrie agro-alimentaire du pays qui les paie une bouchée de pain qui ne leur permettra sans doute jamais de pouvoir atteindre leur but : rembourser les passeurs, faire des économies, rentrer au pays. Du projet documentaire au résultat de fiction, une réalité s’est imposée : l’impossibilité de réaliser un vrai documentaire de qualité sur le sujet. En effet, il aurait fallu recourir massivement à la caméra caché, apporter la majorité des informations par la seule voix-off, sans même parler de la difficulté (l’impossibilité ?) d’intégrer le milieu undercover pour cette enquête. Au fil de 16 mois d’enquête, l’équipe a donc accumulé des témoignages, des parcours de vie, qu’elle met en scène par le truchement de la fiction.
Mais, dans son souci documentaire, l’équipe de Bankside décida de faire interpréter les rôles par des acteurs non-professionnels ayant vécu les même histoires que les morts de Morecambe Bay, ou du moins des histoires similaires. Dans les faits, si un découpage précis fut rédigé, les dialogues furent tous improvisés par les acteurs sur le tournage. Néanmoins, la qualité de l’interprétation dans le film est très bonne.
Dernier croisement de la réalité et de la fiction, la dernière scène de « Ghosts » montre l’héroïne du film retournant en Chine où elle retrouve l’enfant qu’elle y avait laissé. Nulle trace de fiction dans cette séquence : nous assistons aux véritables retrouvailles de l’actrice principale avec sa famille, rendues possibles par l’existence de ce film.
Sur le fond, le propos est proprement édifiant quand à l’hypocrisie des autorités britanniques face à l’immigration illégale qui fait tourner son industrie agro-alimentaire grâce aux salaires très bas que les entrepreneurs sont autorisés à verser aux travailleurs étrangers. Sans doute grâce à l’implication forcément maximale des acteurs, mais aussi à un scénario qui parvient à laisser un peu de place au développement des personnages, « Ghosts » arrive cependant aussi à être émouvant.

Voir le site officiel du film.

Social mais pas trop

La téléfiction espagnole passe assez rarement la frontière (quoi que la série « Genesis » l’ait fait récemment, démontrant que la péninsule produisait mieux que l’assez navrant « Un Dos Tres »), il était donc intéressant de s’attarder sur le téléfilm « Vida de Familia » [2] programmé hors-compétition. On s’en souvient, en 2004 la gauche de Zapatero arrivait au pouvoir en Espagne, à la surprise de tous, en grande partie en conséquence des attentats de Madrid et de la tentative de la droite espagnole d’en cacher l’origine le temps que le scrutin soit joué. Zapatero s’est lancé alors dans l’application d’un programme ambitieux (puisque conçu sans réel espoir de gouverner...). Parmi les mesures mises en place, l’Espagne, toujours largement perçue comme un pays très Catholique – pour ne pas dire comme un pays largement réac’ – ouvrait le mariage au couple homosexuels, ainsi que la possibilité d’adopter.

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C’est dans cette nouvelle réalité que s’inscrit « Vida de familia », qui suit le couple formé par Marta et Vanesa. La première exprime à la seconde un désir d’enfant, que celle-ci n’est pas vraiment sûre de partager. Survenant au même moment qu’une séparation due à un déplacement professionnel, ce questionnement creuse une distance entre les deux jeunes femmes. Marta réalise qu’elle devra peut-être devenir mère seule.
Le film évoque très bien la manière dont la seule évocation du désir d’enfants bouleverse la vie de ces deux femmes et leur fait entamer une longue période de grossesse symbolique. L’intention de traiter de manière réaliste et humaine de ce type de thématique, et du parcours de ces deux personnages vers la maternité est malheureusement assez vite dénaturée par le contexte choisi, et cela n’est ressorti que de manière plus criante au sein de la programmation de ce festival. En effet, Vanesa est actrice et c’est sur un tournage qu’elle part. Nous sommes donc dans un univers un peu à part, artistico-bourgois, certainement éloigné de ce qu’est l’Espagne en général (ou peut-être pas, mais en tout cas « Vida de familia » ne permet pas de le faire savoir), où toutes sortes de problématiques sont éludées.

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Dans la mesure où le téléfilm se complaît par ailleurs dans une certaine superficialité, voire une imagerie glamour un peu creuse, l’ensemble apparaît bien frivole. Néanmoins, les acteurs, Cristina Brondo et Ricard Cales (dans le rôle de l’ami homo, Xavi) sont justes et charmants.

Violence au féminin

A l’issue de la projection de « Ravages » [3], son réalisateur Christophe Lamotte explique de l’envie originale à la base de ce téléfilm fut de traiter de la violence des filles. A la fois non-dit et sujet de fascination, celle-ci semble parfois représenter, au moins symboliquement, le symptôme ultime d’une société en grande difficulté.

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« Ravages » se situe au sein dans un centre où des mineures délinquantes achèvent leur peine de prison, dans l’objectif d’aider à leur réintégration sociale et professionnelle. Une poignée de jeunes filles y vivent d’un un cadre par définition artificiel et difficile, mais qui veut constituer un espoir. Suite à une erreur, deux soeurs qui ne portent pas le même nom se retrouvent au centre. L’une d’elle est ravie de cette coïncidence. L’autre voudrait partir, mais n’a pas d’autre choix que cette situation où le retour en prison. Dans ce lieu confiné, tout est en place pour la relation dysfonctionelle qui les a conduit vers la délinquance se rejoue...
Le sujet était difficile et aurait pu prêter à toutes les caricatures, mais « Ravages » ne cède jamais à ce travers. Le traitement tous comme les personnages sont particulièrement crédibles dans leurs attitudes, leur parlé, mais aussi leurs paradoxes. Christophe Lamotte gérant particulièrement bien le rythme de son récit, « Ravages » se révèle passionnant à suivre et ne manquera pas de susciter la réflexion de ses spectateurs...


Pour en savoir plus sur le Festival des 4 Ecrans, rendez-vous sur le site officiel.

Dernière mise à jour
le 23 octobre 2007 à 12h19

Notes

[1Bankside Films / Channel 4, Royaume-Uni.
Scénario : Jez Lewis & Nick Broomfield.
Réalisation : Nick Broomfield.

[2TV3 - Just Films.
Espagne, 2007, 92’.
Scénario : Miguel Peidro & Pedro Uris, d’après une idée de Llorenç Soler
Réalisation : Llorenç Soler.

[3Beaubourg audiovisuel – Arte, 2007.
Scénario et réalisation : Christophe Lamotte.