PLUS BELLE LA VIE - Prime 1
Episodes 598, 599 & 600
Par Sullivan Le Postec • 8 janvier 2007
France 3 - Telfrance. 26 décembre 2006
Direction d’écriture : Olivier Szulzynger
Réalisation : Philippe Carrese

Evoqué pour la première fois il y a près d’un an et demi, un événement « Plus belle la vie » en prime-time a finalement été diffusé le 26 décembre 2006. Le temps pour l’équipe de la série de résoudre l’équation impossible : concevoir un événement qui puisse s’intégrer au feuilleton quotidien sans s’aliéner pour autant les télespectateurs d’un soir. Et trouver le temps d’intégrer trois épisodes supplémentaires au planning, quand la série n’a jamais cessé de livrer cinq épisodes par semaine depuis deux ans et demi.

Pour ce faire, les scénaristes décidèrent de se concentrer sur deux arches narratives « B », deux intrigues feuilletonnantes secondaires (voir l’article sur la façon dont est conçue la série) introduites dans les deux semaines précédant le prime. Le temps de la soirée, les enjeux de ces deux histoires sont brusquement gonflés afin de leur laisser prendre tout la place. L’épisode habituel de 20h20, précédant les 3 programmés à 20h50, voyant sa formule légèrement modifiée pour servir de rampe de lancement à la soirée spéciale. En effet, dans cet épisode, l’histoire principale du moment, qui occupe d’habitude le plus gros du temps d’un épisode, sa première scène et son cliffhanger final, se voit réduite au rang de story C, n’occupant que quelques minutes avec un petit rebondissement, avant de reprendre son cours normal demain. Pour ne pas trop déstabiliser les télespectateurs réguliers, cette intrigue est brièvement évoquée dans le troisième épisode du prime, dans une scène incompréhensible pour qui ne suit pas la série au quotidien et probablement très dispensable.
De fait, à l’exception du fait qu’ils ne fassent pas intervenir la story A du moment, les épisodes du prime-time ne font pratiquement aucune concession par rapport à la formule habituelle de la série. Et c’est sans aucun doute le gros point noir de la soirée.

Des contraintes pratiques ont forcément poussé à garder le plus possible intacte le cadre de la série : « Plus Belle la Vie » est exportée, et il est assez compliqué de livrer aux chaînes étrangères, par exemple, deux épisodes de 52 mn au milieu de centaines d’une demi-heure. L’événement de programmation que France 3 a tenu à organiser compte-tenu du succès de la série (qu’elle a signée jusqu’en 2008) n’étant pas forcément, lui, exportable. Il n’empêche qu’il n’aurait pas été difficile de mettre en place au minimum deux montages parrallèles, un international et un spécial France 3. La soirée se serait ainsi mieux enchaînée. Et il est toujours désagréable de voir un récapitulatif d’une minute d’un épisode qui s’est terminé trois minutes plus tôt : on a la franche impression d’être pris pour des idiots.
Dans le même ordre d’idée, le prime est filmé en vidéo comme le reste de la série, ce à quoi on n’est plus vraiment habitué après 21 heures. A la décharge de France 3, il s’agissait probablement moins de faire des économies sur la soirée que de s’adapter aux contraintes de temps : ces trois épisodes supplémentaires ont du être tournés très vite, en parrallèle du tounage des épisodes quotidiens. De fait, le budget était très clairement supérieur à la moyenne : une majorité des scènes étaient filmées en extérieurs, dont plusieurs originaux et vastes par rapport à la poignée montrée au quotidien. Le budget figuration a aussi été gonflé, ce qui aura évité à la cellule du GIGN d’apparaitre aussi ridicule que les forces de mise en quarantaine du quartier lors de l’épidémie de Marburg.

Mais au fond, quelle était l’histoire de ce prime ? Comme d’habitude dans la série, les épisodes étaient partagés entre trois histoires, A, B et C, la troisième étant une respiration comique. L’histoire principale met en vedette Malik et Mélanie, ce qui n’était pas forcément une très bonne nouvelle. Heureusement, Mélanie passe le plus clair de cette heure et demi un baillon sur la bouche, ce qui est à peu près aussi jouissif que lorsque la même chose arrive à Kim Bauer dans « 24 » - et, bizarrement, Malik en devient tout de suite beaucoup plus intéressant...

Arche A

Depuis quelques semaines, l’avocat Malik Nassri a accepté de défendre Claire Amblin à la demande de son frère, Gauthier. La « tueuse au visage d’ange », comme l’a surnommée la presse locale, est emprisonnée depuis plusieurs mois en préventive pour le meurtre d’un homme qu’elle fréquentait à l’époque. En parvenant à découvrir un alibi que l’enquête rapide de la police n’a pas cherchée à trouver, Malik a réussi à faire libérer Claire. Elle sort de prison ce mardi. Léo, inspecteur de la police a averti Malik : il pense que Claire est une manipulatrice et qu’elle est coupable.
A peine quelques heures après la sortie de prison de Claire, Mélanie, la compagne de Malik, est enlevée alors qu’elle devait rencontrer la jeune femme. Malik reçoit un lien internet lui montrant Mélanie ligotée dans une chambre froide, le ravisseur exigeant un rançon de 50 000 €. Malik prévient immédiatement Léo et son co-équipier Nicolas, qui eux-même mettent le GIGN sur le coup. Léo en est un ex-membre, il a du quitter le groupe d’intervention un peu moins de dix ans plus tôt à cause de son alcoolisme dénoncé par celui qui est aujourd’hui le chef des opérations.
Mais le ravisseur annule la remise de rançon prévue, ayant appris que Malik a prévennu les forces de l’ordre. A partir de là, l’avocat se débrouille seul, tandis que Léo et Nicolas mènent une enquête parrallèle. Gauthier contacte Malik en lui indiquant qu’il peut le mener jusqu’à sa soeur. Il lui révèle qu’elle est coupable du crime dont on l’accuse mais qu’elle-même l’ignore : elle souffre de troubles de la personnalité et ne peut pas s’en souvenir lorsqu’elle est dans son état normal. Les troubles remontent à leur enfance, quand elle à tué leur père en le poussant par la fenêtre alors qu’il battait Gauthier.
Pendant ce temps, Léo et Nicolas fouillent l’appartement de Gauthier, et y trouvent un répertoire téléphonique et des dizaines de dessins représentant une maison, obsessionellement dessinée encore et encore. Or, Claire vient à peine de sortir de prison où elle a passé six mois...
De fait, c’est bien Gauthier le coupable. C’est lui qui souffre des troubles mentaux qu’il attribuait à sa soeur, et qui a tué leur père qui la battait, elle. Il éprouve un amour pathologique pour elle, et une haine poussée des hommes, de tous les hommes, et surtout de tout ceux qui tenteraient d’approcher sa soeur, comme il croit que Malik souhaite le faire. Il le laisse à une mort certaine avec Mélanie dans la chambre froide, ayant récupéré l’argent de la rançon pour s’enfuir avec sa soeur. Mais celle-ci, en essayant de ne pas se faire voir de son frère, intervient pour les sauver. Malik et Mélanie s’enfuient de la chambre froide, poursuivis par Gauthier. Pour les sauver, Claire pousse son frère du balcon de l’hôtel dans lequel ils ont vécu leur triste enfance. Il meurt sur le coup, au moment où Léo et Nicolas arrivent sur les lieux.

Arche B

Quelques jours plus tôt, une jeune fille qui mendiait aux abords du parc Borelly et à qui il avait refusé de donner de l’argent avait jetté un sort à Jean-Baptiste, déjà persuadé à la base qu’il lui arrivait forcément malheur tous les ans à Noël. Samia, sur les conseils de sa mère, était intervenue pour le désenvouter, mais l’opération n’avait réussi qu’à reporter le sort sur Blanche Marci, la mère de Johanna.
Depuis 5 jours, Blanche enchaîne les catastrophes, et Johanna n’en peut plus. Surtout que Blanche refuse de subir un désenvoutement. Pour venir en aide à Johanna, Jean-Baptiste propose de retrouver la mendiante. Celle-ci s’avère être une adolescente de 15 ans, Lili, qui a fugué de chez elle, pace qu’elle est elle-même persuadé d’apporter la malchance à son entourage, et se croit responsable de l’expulsion de son père, survenue le Noël précédant. Un père dont elle est sans nouvelles depuis. Elle s’est enfuie de la caravane où elle vit avec sa mère pour éviter que la même chose n’arrive à celle-ci.
Jean-Baptiste, Johanna et Juliette ne peuvent prévenir la police puisque Lili est elle-même sans papiers et risque l’expulsion. L’intervention de Damien, prêtre en Afrique venu passer les fêtes de Noël auprès de son fils à Marseille, Permet de retrouver la trace du père de Lili, emprisonné à son arrivée en NIgéria « pour l’exemple » et maintenant à nouveau lire. La chance semble avoir tourné...

Arche C (absente du troisième épisode)

Revenue de son Noël en Bretagne, Charlotte est d’une humeur massacrante. Le tout nouveau bonheur marital de sa soeur n’a fait qu’accentuer son propre désert sentimental. Pour couronner le tout, une tuile profesionnelle vient s’ajouter au tableau. Un fournisseur s’est trompé dans sa livraison de 200 pantalons en toile. Du coup, le client de sa boutique les refuse. Des petits malheurs remis en perspective quand un homme vient la démarcher pour récupérer ce qu’elle aurait à donner au dispensaire en Afrique que l’homme gère. En quelques minutes, il lui permet de relativiser ses problèmes. Elle se remonte le moral en lui offrant les 200 pantalons. Pour la remercier, il l’invite à dîner. En fait, Charlotte est sous le charme. Ignorant complètement, puisquelle ne l’a jamais rencontré, que l’homme est Damien, l’ex de sa meilleure amie Luna et le père de son fils. Et prêtre. Une découverte qui changera assez radicalement la perspective avec laquelle elle voyait ce dîner. Mais qui souligne encore davantage son actuelle solitude.

Les habitués l’auront constaté, la soirée était dans la droite ligne de la série.
Une histoire A intense et chargée en rebondissements, mais qui court à tout moment le risque de sombrer dans le ridicule. Ce que, après s’être plutôt bien tenue le long des deux premiers épisodes, elle fait assez cruellement au début du troisième, quand surgit Gauthier travelotté pour ressembler à sa soeur. Puisqu’il apparaît à contre-jour, on se demande un instant pourquoi il a pris la peine d’aller jusqu’à se maquiller. Avant de comprendre que le personnage est censé aimer se travestir ainsi, rejettant le masculin - ce qui explique ainsi la photo de flash de radar sur laquelle Claire « apparaissait » le soir du meurtre, et qui l’incrimiait fortement.
Il aurait de toute façon fallu une direction d’acteur hors-pair et un comédien parfait, ce que Simon Taglioni, aussi charmant qu’il soit (et il l’est), est assez loin d’être, pour que ça passe. Mais le physique athlétique de Taglioni achève d’ancrer le moment dans le Z : on voit mal un homme rejetant sa masculinité passer des heures à la salle de sport, ou à la piscine, se façonner biceps et pectoraux. Zéro pointé aux responsables du casting ! L’intrigue principale, jusque là rythmée et assez intéressante s’effondre alors totalement.
En parrallèle, l’histoire B ancre la série dans le réel, malgré une tonalité presque fantastique et la volonté de proposer un conte de Noël et donc un happy-end résolu. En effet, l’accent est fortement mis sur l’humanité des personnages. Cette histoire de famille africaine sans papiers et mal-logée s’avérant très à l’image de l’ancrage social quotidien de la série et de la plupart de ses arches B.
Enfin, la story C propose une respiration toujours agréable et participe à cette façon de brosser la psychologie des personnages par petites touches décalées et subtiles qui font tout le sel de « Plus belle la vie ».

Malgré un « emballage » défaillant dans son refus absolu de changer d’un millimète le montage habituel d’un épisode, cette soirée « Plus belle la vie » se sera montrée très représentative des qualités et défauts quotidiens de la série.
Au rang des plus, une écriture à la mécanique parfaitement bien réglée, qui permet au rythme de ne jamais faiblir et au temps de s’écouler rapidement. Une histoire A toujours menée tambour battant, au risque d’aller dans le mur. Des histoires B et C sociales et humaines qui font se refléter dans la fiction la réalité de ses spectateurs. Une réalisation dont la qualité global est au maximum de ce qu’il est possible de faire sur un rythme quotidien (et donc un peu en-deça de la qualité visuelle habituelle d’un prime, même français).
Au rang des moins, une façon de parfois confrondre vitesse et précipitation, et d’entrainer l’honnête série B que devraient être les histoires principales vers le Z. Ce qui est facilité par certaines invraissemblances patentes (où le chaudonnier Gauthier a-t-il appris à mettre en place une difusion vidéo sur internet qui puisse déjouer les spécialistes informatiques du GIGN ? Comment Malik, avocat de Claire, peut-il tout ignorer de son enfance et en particulier des circonstances de la mort de son père ?). Et puis un montage parfois fait à la truelle, quelques unes des transitions entre scènes de la soirée comptant parmi les plus ratées.

En tout état de cause, en réunissant 5,6 millions de télespectateurs pour 22% de part de marché (avec presque 10 points de mieux que l’habitude la chaîne se plaçait ainsi en seconde position des audiences de la soirée) cette soirée spéciale fut incontestablement un succès pour France 3. Mais regardés de près, les chiffres ont aussi ceci d’amusant qu’ils sont à contre-courant des clichés. On assimile souvent « Plus belle la vie » - et les soaps en général d’ailleurs - à des émissions de vieux. Pourtant, les pdm par tranche d’âge sont éloquentes :
Le prime a réunit "seulement" 21% des femmes de moins de cinquante ans, 26,3% des Senors, mais surtout 30,6% des 15-24 ans. C’est d’ailleurs aussi parce qu’elle attire sur France 3 des jeunes qui d’habitude ne regardent pas la chaîne que la série est un tel succès.

On n’est pas sûr que la formule usuelle de « Plus belle la vie » méritait un prime, qui souligne forcément davantage les défauts que les qualités par sa durée et son exposition. Mais on continue de préférer sans aucun doute la série à ses alternatives à 20 heures. Et même à Julie ou Navarro.
Tout en continuant de poser une question : qui va se saisir de ce que défriche le soap de France 3 au quotidien pour proposer de la fiction haut de gamme sociale et politique qui se fasse l’image débattue du quotidien de ceux qui la regarde ? Et surtout, quand ?

Post Scriptum

La série quotidienne de France 3 est éditée en DVD sous la forme de coffrets (deux sortis à ce jour) ainsi que d’une collection disponible en kiosques.