REPORTERS – Épisodes 2.09 & 2.10
Beaucoup de fond, un peu moins de forme.
Par Sullivan Le Postec • 19 juin 2009
« Reporters » s’achève sur une note surprenante, très ambitieuse, mais qui ne parvient malheureusement pas à convaincre pleinement.

L’heure de comprendre et de conclure est arrivé. On aurait aimé que ce ne soit qu’un au-revoir, malheureusement, ce fut un adieu. Narrativement, c’est un adieu ambitieux.

Pour mémoire, le débriefing complet de ces deux épisodes par Olivier Kohn et Jean-Marc Brondolo est accessible ici.

Épisode 9

Écrit par Olivier Kohn ; réalisé par Jean-Marc Brondolo.
Florence pense que c’est Dewilder qui a fait stopper le versement des commissions, mais celui-ci lui confie, en off, que cette décision est venue du gouvernement français. Florence réalise que Thomas avait largement raison, au moment où celui-ci, lâché par tous à cause de son erreur, se retrouve plus seul que jamais. Elle décide d’interroger directement le Premier Ministre Barlier. Acculé, Barlier admet qu’il a décidé, à cause du retard de l’AS400, de suspendre le versement des commissions, décidées par le précédent gouvernement – et qui ne lui ont donc valu aucune rétro-commission. En réaction à l’attentat, Barlier a décidé l’arrêt définitif des versements. Janssen a annoncé la nouvelle aux intermédiaires Saoudiens. Il l’a payé de sa vie.
Le blog médias de Campana révèle la liaison entre Catherine et le président du CSA, qui la met dans une situation immensément compliquée à quelques jours de l’annonce de la décision du Conseil sur le prochain Président de TV2F. Catherine est forcée de mettre fin à sa relation...
Michel Cayatte est sur la piste de Thierry Augé, qui s’amuse de le provoquer. Augé l’enlève et projette de tuer une nouvelle fille sous les yeux de Cayatte, pour conclure le livre du journaliste. Mais la police, qui avait mis Cayatte sur écoute, débarque sur les lieux. Augé se suicide. Sa mort laisse à jamais la question de sa culpabilité dans le meurtre qui lui a valu dix ans de prison irrésolue. Était-il un meurtrier ou bien la prison en a-t-elle créé un ?
Meyer propose à Alexandre de tendre un piège à Salomon en lui faisant croire que des documents du Général Marchand leur ont permis de découvrir son identité. L’opération conduite par la cellule Grapa échoue. Mais Grapa remarque que la société de Buchler, fragilisée par le sabotage auquel a été forcé le scientifique, vient d’être rachetée par les américains, qui vont récupérer les calculs permettant de créer un avion super-léger pour le concurrent de l’avionneur européen. Et Bill Finley entre au conseil d’administration. Alexandre réalise que l’ami de son père, l’agent de la CIA Finley, a probablement tiré les ficelles et pourrait être Salomon. Mais Finley dément. Son amitié avec le père d’Alexandre n’a jamais été remise en cause. Le Général Marchand pensait que la lutte contre le communisme valait de s’allier avec les Etats-Unis. La rupture est intervenue après que de Gaulle ait lâché l’Algérie et décidé de quitter l’Otan. Le Général Marchand a trahit la France. Le Général était Salomon.

Épisode 10

Écrit par Sorj Chalandon ; réalisé par Jean-Marc Brondolo.
Alexandre Marchand a été manipulé. Bill Finley s’est servi de la mort naturelle de son père, qui trahissait la France, pour emmener Alexandre dans une direction qui l’a conduit à rendre public les problèmes d’Airsup et à y créer une crise grave qui doit permettre au concurrent Américain, US Airlines, de triompher. Et s’il répliquait avec ses armes ? S’il mentait à son tour ? En annonçant à la télévision que les Américains ont tué son père pour faire capoter le contrat entre Airsup et les Saoudiens et le récupérer au profit d’US Airlines, il retournerait à nouveau la situation. Mais Cazalès s’oppose fortement à cette stratégie et les services secrets français et américains s’associent pour la faire échouer. Pour la mettre en action, Florence et Alexandre la proposent directement à Barlier. Qui accepte. Dans un discours à vingt heures, le Premier Ministre met en avant le patriotisme économique. Au même moment, à Riyad, la France orchestre secrètement un attentat visant les intermédiaires qui ont provoqué l’explosion du bus et la mort de Janssen. Al-Hazri est tué, ainsi que 15 civils, victimes collatérales d’une guerre qui ne dit pas son nom.
Thomas sort un nouvel article, anonymement, dans Révélations, où il révèle la liaison entre Marie Clément et Barlier, tout en montrant les photos de l’actrice en pleine prise de cocaïne. Déjà sous le coup d’une visite de Barlier lui annonçant leur rupture définitive, Marie tente de se suicider. Furieux, Barler veut absolument la tête de l’auteur. Ses services arrivent à remonter jusque Thomas Schneider. Au moment même où le dossier du financement occulte du Parti de Barlier est enterré, Thomas est mis en examen...
Leroy perd son poste à la tête de TV2F. Son successeur veut rendre son poste à Catherine. Puisqu’Elsa a décidé de signer avec la chaîne privée concurrente, Catherine va devoir retravailler avec Alain Massart. Mais elle se voit accorder les vingt CDI de journalistes que la rédaction lui réclamait. Elle annonce la nouvelle à Nadia, celle qui a fait le forcing pour ces CDI, mais aussi celle qui a fait fuiter la relation entre Catherine et le Président du CSA... mais lui annonce en même temps qu’elle est virée !
Avec sa famille, Alexandre réalise qu’il est désormais, à l’image de son père, seul avec ses secrets. Florence a réalisé qu’en son cœur, elle est une journaliste, pas une rédactrice en chef. Elle décide de quitter la direction de 24 Heures. Les Saoudiens divisent leur contrat d’avions en deux : la moitié pour Airsup, l’autre moitié pour US Airlines...

Salomon

La révélation de l’identité de Salomon, qui intervient à la fin de l’épisode 9, est à plein de niveaux très caractéristique de ces deux épisodes de conclusion de « Reporters ».

Sur le plan de l’intrigue c’est une surprise formidable. Elle rattrape d’ailleurs la révélation de l’implication des américains et de Bill Finley, amenée de façon un peu maladroite plus tôt dans l’épisode. Alexandre se retrouve en effet impliqué dans une course-poursuite avec un homme masqué. La scène invite donc à se demander qui est cet homme et en quoi le fait qu’il ait le visage caché est important. Du coup, on n’est pas vraiment pris dans l’action, et pire : on en arrive à deviner la réponse, par le simple fait qu’à ce stade, il n’y a plus énormément de suspect. C’est d’autant plus frustrant que cette séquence d’action se termine sans aucune révélation, tout ça pour que la solution soit donnée à peine une minute plus tard par le biais de dialogues. Cela aurait été tellement plus dramatique et impliquant que notre personnage principal découvre cette réponse lui-même en arrachant la cagoule, plutôt que de recourir à de l’exposition par des personnages tertiaires.
Mais découvrir qu’en fait, Salomon est le Général Marchand lui-même est totalement surprenant, retourne complètement notre vision de la saison, et constitue cependant une surprise cohérente, pour reprendre l’expression d’Olivier Kohn dans notre débrief de ces épisodes (à ne pas manquer, d’ailleurs, puisqu’il dévoile beaucoup d’éléments de backstory, sur les personnages du Général et de Meyer notamment, qui complètent ce qu’on apprend dans l’épisode). Comme à son habitude, et comme elle le fait très bien « Reporters » plonge dans notre histoire politique récente et fait de la fiction à partir de réalités méconnues, mais qui gagnent à être dévoilées.

Tout aussi intéressante et intellectuellement passionnante qu’elle soit, il faut cependant admettre que la séquence de la révélation ne fonctionne qu’à moitié. Au montage, le choix a été fait d’orchestrer une révélation finale façon roulement de tambour, qui n’était pas écrite, qui déséquilibre complètement la scène, la rend chaotique, et donne l’impression que Peter Bonke (Finley) joue faux.

Beaucoup de choses, dans ces deux épisodes, sont à cette image : le fond est passionnant, courageux, profondément original. La forme est chaotique, dans le mauvais sens du terme, pleine de transitions approximatives, et de détails qui perturbent le fonctionnement des scènes. Au delà de la révélation de l’implication des américains, dont j’ai parlé plus haut, on pourra citer l’implication d’Alexandre dans l’organisation physique du piège. A la fin d’une scène, Meyer réplique à Alexandre qu’il n’est pas question qu’il mène l’opération, et la manière dont c’est joué et mis en scène semble ne pas appeler de contestation : Alexandre n’a pas l’air de vouloir vraiment protester, et les deux derniers plans de la séquence sont sur des membres de Grapa. Scène suivante : Alexandre est au milieu de parking, il a imposé son point de vue. Ah bon ? Dans l’épisode 10, il faut subir les deux flics qui interrogent Albertini, dont le jeu est à coté de A à Z. Et il y a pas mal d’autres exemples.

Certains éléments scénaristiques contribuent sans doute à ce sentiment de progression chaotique. Il est sans doute dommage que Florence et Alexandre ne collaborent vraiment que dans le tout dernier épisode. Même si leurs intrigues se sont rejointes dans le fond, elles semblent du coup encore un peu trop disjointes dans les faits – un problème que n’avait pas du tout la première saison.
Par ailleurs, les éléments de l’intrigue TV2F semblent un peu mal placés dans ces deux épisodes, même si le travail sur le personnage de Catherine Alfonsi est très réussi, même si ses scènes sont de très bons moments. Reste que ces enjeux ne sont pas tout à fait à la hauteur des résolutions de l’intrigue Augé ou de l’intrigue Riyad/Airsup/Barlier. Rétrospectivement, j’aurais sans doute préféré que tout cela se résolve dans les épisodes 7 & 8, quitte à mettre ces personnages à un en arrière-plan dans le final.

Des journalistes, des politiques

Parmi les reproches qu’on a fait à la saison 2 de « Reporters », il y en est un qui est particulièrement infondé. C’est celui qui dit que la série aurait cessé de traiter du journalisme. Certes, l’intrigue principale avait recours à des éléments appartenant au genre de l’espionnage, et dans un épisode tel que l’épisode 2, on peut avoir le sentiment que la série serait la même si Alexandre n’était pas journaliste.
Néanmoins, la conclusion de la saison remet tout cela en cause. C’est à dire que l’on comprend que tout ce qu’on a vu est arrivé parce que Alexandre est journaliste. C’est sa profession qui le met au centre de cette intrigue, c’est sa profession qui fait que son père et Finley décident de le manipuler pour mener sur le terrain informationnel une bataille de leur guerre économique. Sa profession provoque une catastrophe économique (du point de vue européen) quand il révèle le retard de l’AS400.
Et, à la fin de la saison, Alexandre et Florence reprennent la main et décident, d’une façon ambiguë, de rendre les coups sur le terrain de la guerre informationnelle. Terrain glissant, et passionnant, celui dans lequel le journaliste sait qu’il ne peut pas se contenter de raconter, car raconter, c’est intervenir, c’est changer l’événement. Alors lui revient de choisir ce qu’il veut raconter, ce sur quoi il veut influer, comment, et avec quelle éthique. Autant dans l’épisode 9, par les force des choses, nos personnages subissent beaucoup, autant là ils redeviennent les instigateurs de l’intrigue, ce qui est très agréable.

La série se termine sur une scène mettant en avant le Premier Ministre Barlier. Elle illustre le glissement opéré cette saison, qui a aussi raconté certaines choses de son point de vue, démontrant que « Reporters » n’était pas simplement une série sur le journalisme, mais bien une série sur les rapports de pouvoir entre les journalistes et les politiques. Cette fin de saison donne à Barlier – et à Janssen – une autre dimension. La première saison se terminait sur une injonction de Thomas à Florence : il fallait absolument empêcher Barlier de devenir Président. Mais la deuxième a creusé le personnage, montrant l’ambiguïté de sa position, des décisions qu’il doit prendre entre des possibilités qui sont toutes mauvaises. Celui, qu’un temps, on avait pris pour un pourri, se révèle bien plus complexe et capable d’une véritable hauteur de vue dans son action, voire d’une certaine éthique.
Le moins que l’on puisse dire, c’est que la perspective d’une campagne présidentielle menée par ce personnage devenu particulièrement riche et intéressant, et suivie par nos reporters, était terriblement alléchante. L’arrêt de la série par Canal+ à l’issue de cette deuxième saison nous en frustre, et cela restera un très gros regret...


Malgré nos réserves sur certain aspect de forme de cette conclusion, la deuxième saison de « Reporters » reste une entreprise hautement ambitieuse et réussie, à mille lieux au-dessus de 95% de la production télévisée française. La série est encore plus politique, plus immergée dans les terribles rouages du monde que la saison précédente. La fiction est aussi un outil formidable pour parler de choses réelles, mais que les actualités ne peuvent que peu couvrir, parce que les vrais journalistes sont limités dans ce qu’ils peuvent dire : il leur faut des sources, il leur faut des preuves. L’affaire de Karachi l’a démontré. A ce titre, « Reporters » remplissait, quelque part, une mission d’utilité publique. Rien que pour cela, pour la rareté de cette qualité, elle aurait mérité de continuer.
Parallèlement, « Reporters » a aussi réellement réussi à s’ouvrir, en devenant encore plus addictive, plus spectaculaire. A ce titre, on l’a dit, les quinze premières minutes de la saison sont formidables. Il n’empêche que le public n’est pas vraiment venu. Canal+ pense que la série restait trop aride. Sans doute aussi que la détestation actuelle envers les journalistes a joué, de même que ce sujet a brouillé sa réception médiatique. Mais nous continuons de penser que le public de cette série existait, et que la chaîne n’est pas suffisamment allé le chercher, faute d’avoir parfaitement compris ce que « Reporters » était.
Reste que « Reporters » a imposé plusieurs de ses créatifs, Gilles Bannier et Olivier Kohn en premier lieu, comme des auteurs majeurs de la série française. On guette leurs travaux futurs avec gourmandise.

Dernière mise à jour
le 1er juin 2010 à 02h36