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Episode 1.03
Twin Peaks
dimanche 20 novembre 2005, par
La télévision nous donne en de rares occasion la possibilité de vivre des expériences uniques. La mémoire des téléspectateurs est encore hantée par les vues du village du prisonnier, et nul ne peut oublier son séjour dans la ville de Twin Peaks.
En ce temps la la 5 n’étaient plus entre les mains de Berlusconi, le groupe Lagardère, déçu de ne pas avoir pu acheter TF1, devint actionnaire majoritaire de la chaîne. Soucieux de changer l’image de son bébé cathodique marquée par la conception très particulière de la télévision du Cavaliere, après avoir changé l’habillage en faisant appel à Jean-Paul Goude (si ma mémoire ne me fait pas défaut) était allé chercher outre-atlantique “la” série du moment, celle qui ferait oublier K200 et Supercopter. Précédée d’une excellente presse Twin Peaks débarque donc le lunid 16 avril 1991 (soit un an jour pour jour après les USA) à 20h50. A l’époque programmer une série en prime time sur une chaîne hertzienne est révolutionnaire. Je suis donc le jour dit devant mon poste pour découvrir ce qui est annoncé comme le nouveau bijou de la télévision. je ne savais pas que je venais de m’engager dans l’expérience télévisuelle la plus forte de ma vie de téléspectateur (à égalité avec le Prisonnier).
Twin Peaks devient en l’espace des 90 minutes du pilote une drogue dure. Il y a d’abord l’effet enquête, le mystère autour de la mort de Laura Palmer. C’est bien entendu dans un premier temps ce qui me retiens devant mon poste (obligeant mes parents à enregistrer les épisodes chaque lundi alors que je suis coincé à l’internat) mais rapidement, sans me désintéresser de cette trame narrative vaguement policière c’est Twin Peaks la ville et ses habitants tous légèrement timbrés qui m’envoûte. Le terme est choisi avec rigueur.
Twin Peaks est une ville envoûtante, un monde à part, baignant à la fois dans le réalisme (la ville est une caricature de la ville moyenne américaine avec tout ce que cela comporte, high school, diner, bureau du sheriff, station essence, hotel local...) et le surréalisme (la liste des éléments serait trop longue). Autre élément renforçant cet envoûtement la musique de Badalamenti. Il n’aurait pas été possible de rester devant le poste juste pour l’enquête, cette aspect de représente qu’une petite part de la série et du temps d’antenne de chaque épisode. La vie des habitants passe souvent devant les investigations policières de Dale Cooper (même si ce sont ces investigations qui nous font entrer dans l’intimité des habitants de cette étrange ville).
Pour assouvir ce vice il m’a fallut une sacrée ténacité, force d’esprit et une volonté de fer, ainsi qu’un bon magnétoscope. Twin Peaks ne rencontrant pas le succés escompté par la 5 la série quitte le lundi soir pour s’installer de plus en plus tard le vendredi soir, s’enfonçant dans les profondeurs de la grille au fur et à mesure de l’avancée de la série. Twin Peaks se vengera puisque la 5 ne survivra pas longtemps à cette infamie.
Je n’aurais pas à regretter mes efforts, en dépit d’une baise d’intérêt et de qualité (minime) dans la seconde partie, après la résolution de l’énigme principale, Twin Peaks est l’une des série les plus marquantes de l’histoire de la télévision, et de mon histoire de téléspectateur.
En 1990 la télévision américaine n’est pas encore entrée dans le second âge d’or des séries. Les programmes qui occupent l’antenne sont plus orienté vers les reality show que vers les fictions de qualité. pour inverser la tendance et pour contrer la concurrence croissante des chaines du cable ABC décide de miser sur une série “d’auteur” et fait appel à David Lynch. Le cinéaste, apprécié autant par la critique que par le public, saisit l’occasion qui lui est offerte pour sortir du cadre du cinéma ses thèmes, ses idées, ses visions et leur donner une nouvelle ampleur sur le petit écran.
Avant même la diffusion du pilote Twin Peaks est la série à voir, l’événement télévisuel de l’année. Le 8 avril 1990 20 millions de téléspectateurs sont devant ABC et découvrent la ville aux 51201 âmes. Si l’audience faiblit par la suite, l’enquête sur la mort de Laura Palmer et la vie étrange des habitants de Twin Peaks captive les téléspectateurs. Twin Peaks est la série qu’il faut voir, le programme branché de l’époque, on la commente, tente de l’interpréter et on annule des rendez-vous pour ne pas la louper.
Comme tous les phénomènes de mode Twin Peaks cessera de passionner les foules rapidement. Le public se perd dans les méandres d’une enquête dont il semble bien que Lynch ne souhaite pas résoudre, reste circonspect face à l’imagerie surréaliste du cinéaste, et en a marre de se prendre la tête. ABC elle même ne croit plus en sa série phare et la programme le samedi à 22h à partir de la saison 2, case mortelle dans la grille des programmes US. La guerre du golfe 1° édition interrompt la diffusion pendant un mois. Lors de son retour fin mars à son horaire original du jeudi tout le monde s’est détourné de la série qui s’achève dans l’indifférence générale début juin.
Lynch investi totalement le média qui lui est offert. Le format de la série lui permet de jouer du/avec le temps. Avantage par rapport au cinéma (comme je l’ai souligné par ailleurs) la série permet de développer une histoire sur le long terme. L’enquête de Cooper n’a pas besoin de se dérouler en deux heures mais peut durer aussi longtemps que le souhaitent les auteurs (comme le l’ai dis Lynch aurait sans doute fait durer l’enquête plus longtemps si ABC ne l’avait pas pousser à y mettre un terme). Lé série permet grâce à ce temps extensible de fouiller les personnages, de détailler leurs histoires, de pénétrer au plus profond de leur vie, de leur intimité, de leurs noirs secrets.
Lynch joue avec le temps, Twin Peaks est une série lente, presque contemplative. Le rythme est loin de la frénésie de certaines productions. Les scènes s’étirent, les mouvements sont réduits, le temps qui s’écoule devient palpable. Pour renforcer ce sentiment du temps qui s’écoule le découpage entre les épisodes va à l’encontre de ce qui se fait habituellement. Il ne s’écoule pas une semaine entre chaque épisode. Le épisodes se suivent au même rythme que les jours. Ainsi la première partie de la série, l’enquête sur la mort de Laura Palmer qui représente 17 épisodes se déroule entre le vendredi 24 février et le samedi 11 mars 1989 soit 16 jours. Les dates correspondants au calendrier réel. en suivant cette évolution temporelle Cooper et Cie auraient fêté Noël aux environs du 300° épisode en 2001.
Cette utilisation du temps n’est pas juste un gadget (comme dans 24) mais sert la narration (comme dans Murder One) et surtout permet d’ancrer Twin Peaks dans une réalité à la fois temporelle et physique qui renforce l’effet de décalage produit par l’introduction des éléments surréalistes. Tout à l’air tellement normal, tellement quotidien, tellement banal à Twin Peaks que l’arrivée de Dale Cooper, pourtant agent du FBI, et ses méthodes d’investigation alternative provoque un premier choc dans la communauté, déjà bien ébranlée par la décès de la belle et en apparence si tranquille Laura Palmer. Lynch va alors prendre un malin plaisir à aller fouiller sous l’apparente tranquillité des choses. Comme dans un bon polar il va nous faire découvrir des secret plus ou moins noir mais surtout nous entraîner dans un monde souterrain, parallèle.
Twin Peaks la ville est double, tout comme les sommets jumeaux qui lui donne son nom, personne n’est blanc ou noir, chaque personnage subira un changement majeur pendant la série, les brutes épaisses deviennent impotentes et dépendantes, les industriels avides se font défenseur de la nature, les morts ne le sont pas vraiment, les gentils peuvent devenir les bad guys. Twin Peaks est fascinant par cette constante dualité au sein des personnages, rien n’est figé, tout peut évoluer de la façon la plus inattendue. Comme dans un bon soap.
Sous les pics surplombant la ville se cache un autre monde, encore plus fascinant. Cooper, agent du FBI influencé par le Tibet et la philosophie orientale est notre passeur vers ce sous-monde. A la fois irréel, Cooper y accède au travers de ses rêves, et il semble le seul à y entrer, et réel, les manifestations des “habitants” de cet univers laissent des traces dans le monde “normal”. Ce monde caché est lui même double, divisé entre la loge blanche, siège du bien, et loge noire, siège du mal. Mais tout serait trop simple si ce découpage manichéen fonctionnait vraiment. Le lieu “physique” des loges n’est pas blanc ou noir mais rouge, les “habitants” ne sont pas clairement définis comme bon ou mauvais.
Jouant avec les figures mythologiques classiques, introduisant ses propres fixations, mêlant le réel, l’irréel, les genres, Lynch et ses scénaristes créent avec Twin Peaks une oeuvre foisonnante, offrant mille interprétations (d’autant plus facilement qu’elle n’apporte jamais de réponse claire t définitives aux mystères qu’elle présente) permettant de la revoir et de la revoir encore chaque fois avec un autre regard.
Autour de Twin Peaks :
Il existe de nombreux ouvrages consacré à David Lynch qui se penchent plus ou moins en détails sur Twin Peaks. Il y a peu Guy Astic a livré une très complète analyse de la série dans Twin Peaks : Les laboratoires de David Lynch.
La première saison de la série est disponible en DVD zone 1. En France nous n’avons accès qu’au film Fire Walk With Me et attendons toujours une hypothétique sortie DVD de l’intégrale de la série.
Enfin je vous suggére de visiter le site Bienvenue à Twin Peaks
LTE || La Ligue des Téléspectateurs Extraordinaires





Messages
1. > Twin Peaks, 21 novembre 2005, 11:39, par Innuendo
J’ai beau être un grand admirateur de David Lynch, il faudrait quand même voir à ne pas oublier le rôle fondamental du co-créateur et co-producteur de la série, à savoir Mark Frost.