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Episode 1.05

Clair de Lune/Moonlighting

dimanche 26 mars 2006, par Jarod

Après trois mois d’interruption les vieux pots reviennent avec une série exceptionnelle à tout point de vue, un petit bijou de la télé, une production révolutionnaire.

Il fallait un sacré courage pour regarder Clair de Lune quand elle a été diffusée pour la première fois par M6. a l’époque la sixième chaîne était encore toute petite, commençait à peine à monter, et surtout n’avait pas suffisamment d’émetteurs pour couvrir l’ensemble du territoire, et dans certaines zones (dont la mienne) les programmes arrivaient quelque peu brouillés, et encore quand le temps le permettait, les jours de pluie il n’était pas question de regarder la chaîne qui virait à l’écran de neige. Si l’on ajoute que la qualité de copies des épisodes est loin d’être à la hauteur on se retrouve devant des images dignes de séries des années 60 n’ayant jamais vu l’ombre d’une restauration (et encore... il semble que ce sont les mêmes copies qui tournent encore en ce moment sur les chaînes françaises.) Passons. Malgré tout cela quand se faisaient entendre les premières notes du générique et que s’élevait la voix d’Al Jarreau, s’ouvraient 45 minutes de non-sens, de dialogues à la mitraillette, d’enquêtes farfelues, de parodie, de second degré, bref trois quarts d’heure de bonheur dans un univers télévisuel sombre en cette fin de décennie.

Clair de Lune est une série révolutionnaire. Je sais que c’est frapper fort d’entrée, mais même si elle n’a pas eu l’impact de Hill Street Blues sur la manière de produire les séries, l’aspect expérimental de Twin Peaks, elle a bousculé la narration télévisuelle d’une telle façon que, même si elle n’a pas de véritable héritière elle imprègne (un petit) nombre de séries 20 ans après sa diffusion.

En 1985 ; alors que le paysage télévisuel Us est en pleine reconstruction, ABC lance une des séries les plus originales depuis l’invention du genre : Monnlighting (Clair de Lune).
Les téléspectateurs pensent avoir affaire à une nouvelle série policière mettant en scène un duo de détectives que tout oppose. À première vue ils n’ont pas tort. Mais à première vue seulement. Car à y regarder de plus près Clair de Lune n’a de policières que les atours et nous savons très bien que l’habit de fait pas le moine.

Glenn Gordon Caron a l’idée de Clair de Lune alors qu’il travaille comme scénariste sur Reminston Steele. Il n’est pas satisfait de la dynamique du duo vedette de la série, trop classique, et surtout il trouve Pierce Brosnan trop lisse. Il voudrait d’un duo plus incisif, et d’un personnage masculin moins propre sur lui.
ABC lui laissant carte blanche pour développer une série il reprend cette idée de duo, mais décide de faire de Clair de Lune une série plus libre, plus originale, plus folle.
Il trouve en la personne de Bruce Willis, parfait inconnu, son David. Il arrive à l’imposer en choisissant Cybill Shepherd, ex-mannequin, égérie de Peter Bogdanovitch, et vedette à l’époque, pour interpréter Maddie Hayes.

Maddie Hayes, ancien mannequin, se réveille un matin fauchée comme les blés. L’homme d’affaires qui gérait sa fortune s’est enfui avec la caisse, la laissant totalement démunie. Elle n’a plus que ses beaux yeux pour pleurer. Il ne lui reste que sa maison, et quelques affaires qui tournent mal, dont l’agence de détectives City of.. gérée par David Adison, plus dilettante que détective.
À Contrecoeur Maddie se laisse convaincre par David de ne pas vendre l’agence, rebaptisée Blue Moon (Clair de Lune), et de la diriger avec lui.

Le pitch rappelle la situation de base des comédies romantiques des années 40 et 50 où deux personnages très différents sont forcés de se fréquenter avant de se tomber dans les bras (et plus...) La référence à ces screwball comedy se retrouve encore plus clairement dans les dialogues débités à la mitraillette, et il est impossible de ne pas penser au chef d’oeuvre du genre La Dame du Vendredi. Cette filiation est pleinement assumée par les scénaristes.
À ce titre Clair de Lune est un cas à part dans la production télévisuelle de l’époque. Les scénarii sont beaucoup plus épais que la moyenne. La faute aux longues scènes dialoguées. Là où d’autres séries évitent, un certain nombre de passages obligés comme les trajets en voitures, les attentes dans les ascenseurs, Clair de Lune s’en empare et en fait une de ses signatures. Chaque épisode possède sa scène de voiture au cours de laquelle David et Maddie confrontent leurs avis et leurs théories sur l’affaire en cours, quand ils ne discutent pas d’un tout autre sujet, en étant comme il se doit en complet désaccord.

Toutes ces longues scènes dialogues, loin d’alourdir la série en fait tout son sel. La constante rivalité entre David et Maddie est le moteur de la série, et l’une des formes d’humour les plus savoureuses.
Bien sûr le charme de Clair de Lune repose beaucoup sur les affrontements permanents entre Maddie et David. La qualité des dialogues, le débit des acteurs, et le niveau de leur interprétation n’ont pas à rougir de la comparaison avec les classiques de la comédie dont ils s’inspirent. Mais la série ne repose pas que sur cette forme d’humour.
Clair de Lune est une série qui brasse les genres, les formes d’humour et bouscule les codes de la narration télévisuelle.
Clair de Lune s’attaque à une figure classique du cinéma et de la littérature : le détective privé. Popularisé au cinéma par Bogart dans le Foucon Maltais ou Le Grand Sommeil, le détective privé fait les beaux jours du petit écran avec Mannix, Cannon ou dans les années 80 Mike Hammer. Genre très codifié, comme tous les genres, la fiction à détective explose sous les coups de boutoir assenés par Clair de Lune. Ici pas de gros dur, de secrétaire sexy, ou d’affaires tordues (enfin, elles sont tordues, mais dans un autre sens). Le premier contact que l’on a avec David Addison nous le montre en train de jouer au basket dans son bureau comme un ado le ferait dans sa chambre plutôt que de faire ses devoirs. Pas vraiment un héritier du style Sam Spade. Addison n’est pas un héros sombre, brutal, secret. C’est un bon vivant, blagueur, dragueur. Le duo qu’il constitue avec Maddie Hayes rompt également avec l’image du solitaire vehiculé par tous ces prédécesseurs.
L’intelligence de clair de Lune tient aussi dans l’utilisation des thèmes des films noirs (morts violentes, ambiances sombres, méchant très méchant) pour les détourner jusqu’à la caricature. Les morts violentes deviennent cartoonesques, les méchant itou. Ce qui pourrait être ridicule si Clair de Lune était une série policière, mais encore une fois l’aspect policier n’est qu’un leurre. Un prétexte pour explorer les relations entre Maddie et David. Pour nous offrir des théories abracadabrantesques s’affrontant dans un ascenseur ou une voiture.
De la même façon dont elle détourne les codes du film noir et la figure du détective Clair de Lune s’amuse régulièrement à parodier aussi bien les classiques du cinéma (Douze Hommes en Colère, Luke la Main Froide...) du théâtre (La mégère apprivoisée) ou de la littérature (Le Crime de L’Orient Express).

Au delà de ces qualités humoristiques, la vraie signature de la série, sa grande originalité vient des libertés qu’elle prend avec la narration classique à la télévision. À plusieurs reprises David et Maddie font tomber le 4° mur en s’adressant directement au téléspectateur. Que ce soit en début d’épisode pour le présenter, s’excuser du manque d’épisodes inédits durant les semaines précédentes, ou pour répondre au courrier (factice) des spectateurs. Ou en plein coeur d’un épisode David et Maddie redevenant Bruce et Cybill pour s’interroger sur le contenu du scénario, entraîner le spectateur derrière le décor en expliquant que l’épisode est plus court et nous convier à écouter un chant de Noël interpréter par l’ensemble de l’équipe de la série.
Clair de Lune s’amuse avec la fiction et le téléspectateur pour créér un cocktail savoureux mêlant second degré, autodérision, références culturelles, clin d’oeil, sans jamais sombrer dans le cynisme, bien au contraire la série dégage une bonne humeur communicative, une sincérité, une qualité scénaristique permanente, en dépit d’un apparent manque de sérieux.

A ce jour aucune série n’a atteint le niveau de Clair de Lune, encore unique en son genre 20 ans après sa première diffusion. Signe d’une grande série le plaisir est le même quand on regarde les épisodes aujourd’hui en qualité DVD que quand on tentait de la suivre devant M6 balbutiante.


Autour de Clair de Lune :
Depuis quelques semaines un coffret DVd réunissant les deux premières saisons de la série est disponible/ Peu de bonus, mais les épisodes sont présentés dans une copie quasi parfaite, et surtout c’est l’occasion de découvrir tout le sel de la série avec les dialogues en VO.
Enjoy.

Messages

  • Je viens d’acheter le coffret DVD des deux premières saisons. C’est effectivement un régal. Cependant, j’ai bien ressenti les "longueurs" que Jarod a mises en évidence (ascenseurs, voiture), malgré le sel des dialogues entre David et Maddie. C’est hélas le signe que, malgré moi, le rythme effréné des séries actuelles m’intoxique... On ne voit plus guère de séries avec des plans fixes de plus de 3 secondes (j’exagère peut-être)...

    Malgré des dialogues menés tambour battant, "Clair de Lune" nous réapprend la patience... C’est sans doute ce dont nous manquons le plus !