NEW WAVE • ARTE, LA FICTION TELE COMME AU CINEMA
80’s spleen attitude
Par Sullivan Le Postec • 17 novembre 2008
Pour Arte, Gaël Morel, toujours un peu dans l’ombre du Téchiné qui l’a révélé, tourne son sixième long, « New Wave ». L’histoire de deux adolescences que presque tout oppose, mais réunies par leur goût pour la musique.

« New Wave », une histoire d’adolescence, d’affirmation de son identité, de relation mère-fils, et aussi le portrait d’une époque toute proche, et pourtant si distante. C’était avant internet et le portable. Surtout, c’est avant la positive attitude et l’institution de la jouissance et du bonheur comme injonction permanente. Soit, peut-être, une époque où être heureux avait encore un sens...

The Rise and Fall

Eric s’apprête à commencer la troisième, l’année du brevet. Une année qui commence mal, chez le dentiste où on lui pose un appareil qui consacre son appartenance au clan des ‘‘pas cools’’. Mais, le jour de la rentrée, Eric, ado prolo d’apparence sage, un peu honteux de sa famille campagnarde, rencontre Romain, au look punk jusqu’au-boutiste. Une amitié profonde s’installe entre les deux garçons, autour de la musique New Wave, dont Romain fait découvrir le spleen à Eric. La famille de Romain parait d’abord follement attirante à Eric, avant que ne s’installe progressivement entre lui, Romain et la mère de celui-ci, une sorte de triangle d’ordre amoureux, incestueux et malsain. Cette mère, en silence, supporte très mal de voir son fils grandir et affirmer peu à peu son indépendance. Cette lente dérive conduit au drame qui, pour Eric, sera une épreuve intensément constructrice...

Impossible distance

Il y a sans doute plusieurs façons d’exercer ‘‘l’art’’ de la critique, mais la mienne repose pour l’essentiel sur l’analyse et une forme de distanciation. Reste qu’il y a des occasions où s’impose l’obligation de déposer les armes, de simplement renoncer. Impossible de mettre une quelconque distance entre moi et « New Wave ». Impossible d’analyser, d’avoir un regard très affuté. Et pourtant, il me semble tout aussi inconcevable de renoncer à écrire quelques lignes, à laisser une trace.

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La fiction a une puissance évocatrice d’une force phénoménale. Bien maniée, elle peut vous faire entrer en empathie avec des histoires, des personnages qui vont sont totalement étrangers. Alors, lorsqu’elle évoque quelque chose de vous, ou de très proche de vous, sa puissance devient une expérience intense, un chamboulement profond. « New Wave » m’a très littéralement bouleversé. Il y a quelque chose là-dedans qui ne peut pas s’analyser.

Reste que Gaël Morel semble parfaitement conscient de cette force évocatrice. « Tout film qui traite de cette période de la vie (l’adolescence, NDLR) est aussi autobiographique pour la personne qui le regarde, car elle se retrouve automatiquement confrontée à sa propre adolescence. À cette période où le monde se réduit aux dimensions de notre chambre, où l’on s’illusionne sur soi-même et les autres. Le film traite de la honte, celle de ses parents, celle de son frère, celle de ne pas être à la hauteur, de ne pas être l’autre. Pour moi c’est quelque chose qui définit l’adolescence. C’est une période de grande détresse, mais dont on peut faire un feu de joie, ce que la société d’aujourd’hui refuse. » (extrait du dossier de presse.)
Très autobiographique, le film est de façon très apparente une évocation de la propre adolescence de son auteur. C’est peut-être pour cela que son portrait de la ruralité sonne si juste quand, presque partout ailleurs, elle est si lacunaire et condescendante. Gaël Morel parle d’une démarche quasi-fétichiste, d’une replongée dans des notes et des souvenirs. Le réalisateur a tourné dans le collège où il a lui-même étudié.

Autobiographique, le film l’est, même si Morel a vécu ce drame avec beaucoup plus de distance que son personnage principal, qui assiste à tout aux premières loges, jusqu’à l’improbable — c’est-à-dire le rebondissement qui survient aux deux tiers du métrage. Ce qui ramène aux habitudes de Gaël Morel en ce qui concerne la structure de ses scénarios, souvent originale jusqu’à être parfois bancale. La petite part de spectateur conscient qui subsistait encore en moi à ce stade a relevé l’improbable brutalité de ce retournement. En clair, on ne parvient pas vraiment à y croire. Et d’un autre coté, n’aurait-il pas été chimérique de tenter l’explication de ce qui est, par essence, inexplicable ? Gaël Morel précise un peu sa démarche à Télérama : à ses yeux, la crédibilité du personnage reposait toute entière sur les épaules de l’actrice larger than life qu’il a choisie pour le rôle, Béatrice Dale. « Avec sa seule présence, je savais que l’on croirait tout de suite à son personnage. Que je pouvais me passer de ces explications psychologisantes dont abuse le cinéma français. »
Quelques soient son charisme et sa présence dérangeante, et ils sont certains, c’était sans doute beaucoup lui demander. « New Wave » aurait probablement gagné à creuser le caractère malsain de cette forme déplacée d’amour maternel, à mettre un peu plus en scène ce glissement vers la folie, afin qu’il semble moins plaqué.

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Reste que la dernière demi-heure du film, qui fait suite à ce tournant, décuple encore la puissance émotionnelle dont il faisait preuve jusque là. Dans le rôle d’Eric, Valentin Ducommun est formidable quand il incarne l’évolution progressive, à la fois visible et subtile, que connaît son personnage. Et sa relation à sa mère (Solenn Jarniou), pleine de violence, d’incompréhension, mais aussi d’amour vrai, est magnifiquement écrite et jouée.

Pour conclure ce passage en revue sommaire, il faut aussi mentionner la part très importante que joue la BO dans la constitution de cette atmosphère puissamment évocatrice. Le budget ne permettait pas d’acheter des morceaux réellement issus de l’époque. Ceux du groupe Dirty Fields font toutefois que cela ne manque jamais...

A noter : « New Wave » a fait l’objet d’une novélisation par Ariel Kenig d’après le scénario de Gaël Morel, chez Flamarion. Toutefois, l’auteur s’est librement inspiré du scénario pour construire son propre récit. Ma partie préférée du film ne figure ainsi pas dans cette transposition littéraire.

Post Scriptum

« New Wave »
Arte, GTV.
Septembre 2008.
Ecrit et réalisé par Gaël Morel.
Avec Valentin Ducommun (Eric), Victor Chambon (Romain) et Béatrice Dalle (Anna).