DOCTOR WHO – 5.10 : Vincent and the Doctor (Vincent et le Docteur)
« I can hear the colours ! Listen to them. » - Vincent
Par Sullivan Le Postec • 6 juin 2010
Un épisode qui démontre une fois de plus à quel point « Doctor Who » est une série qui peut couvrir une gamme incroyable de sujets et d’émotions.

Je ne m’attendais pas à ça. Richard Curtis a été la surprise parmi la liste des scénaristes de la saison. Que venait donc faire l’auteur ou co-auteur de « Quatre mariage et un enterrement », « Bridget Jones » 1 & 2, « Bean », « Coup de foudre à Notting Hill » et « Love Actually », qu’il a aussi réalisé, dans le monde de « Doctor Who » ?
Écrire une petite merveille, voilà quoi.

Vincent and the Doctor

Scénario : Richard Curtis ; réalisation : Jonny Campbell.
Pour la consoler d’une blessure dont elle ne se souvient même pas, le Docteur emmène Amy au Musée d’Orsay, à Paris, admirer les œuvres de Vincent Van Gogh, qu’elle adore. Mais le Docteur remarque, derrière la vitre de « L’église d’Auvers-sur-Oise, vue du chevet », peinte en juin 1890, l’ombre de ce qui semble être l’un des monstres qu’il combat régulièrement. Le Docteur et Amy partent donc en Provence à la rencontre du grand peintre, quelques mois à peine avant son suicide, et combattent moins l’ombre menaçante aperçue dans le tableau qu’un autre monstre : les troubles psychiques de Vincent Van Gogh, sa dépression dévorante. Un de ces monstres qu’on ne peut vaincre...

L’aveugle

Il y a, dans cet épisode de « Doctor Who », tout ce qui fait habituellement la série, et notamment un monstre. Ce Krafayis a toutefois la particularité d’être invisible, et de tuer donc des villageois d’Auvers-sur-Oise sans qu’ils ne puissent soupçonner sa présence. D’aucuns commencent, du coup, à blâmer ce qu’il y a de plus étrange dans ce coin tranquille : Vincent Van Gogh, artiste fauché qui n’a jamais vendu qu’une seule toile, et encore : à la sœur d’un ami. Le Krafayis fournit à l’épisode quelques moments de frayeurs, deux jolies scènes d’action, et aussi quelques passage comiques. Mais quand son histoire se termine un quart d’heure avant la fin de l’épisode, il est clairement exposé pour ce qu’il est : l’histoire B – quoi que la métaphore idéale serait de dire la toile de fond – le canevas qui permet de raconter la véritable histoire.

D’ailleurs, ce Krafayis n’est pas un monstre, et dans sa mort il apparaît tel qu’il est vraiment : une créature esseulée, abandonnée en territoire inconnu, apeurée. Surtout, une créature aveugle, c’est à dire qu’elle est privée des beautés de l’univers, de ses couleurs, de ses merveilles.

Les borgnes

Le Docteur et Amy, dans cet épisode, sont deux personnages dont la vision est imparfaite, incomplète. A leurs yeux, certaines merveilles restent cachées. Le Docteur, par sa science et ses gadgets improbables – mais fragiles – peut deviner ces trésors cachés, les apercevoir furtivement et inconfortablement, quand Amy doit entièrement s’en remettre au regard d’un autre pour espérer les découvrir.
Bien sûr, il y a chez Amy un point aveugle, que seul le regard de Van Gogh peut discerner. Ce drame dont, en apparence, elle n’a rien gardé : la mort de Rory. Amy est joyeuse, heureuse, et flirte en toute légèreté avec Vincent, persuadée de ne pas être le genre de fille qui se marie, ignorant tout de la larme qui, inopinément, roule sur sa joue...

L’épisode m’a donné le sentiment de retrouver complètement la Amy des tous premiers épisodes de cette saison, celle qui inspire une sympathie, qui dispose d’une personnalité émotionnelle reconnaissable, qu’on a pas forcément retrouvée dans tous les épisodes de cette saison. L’écriture de Richard Curtis est sans doute à créditer pour cela, notamment dans la description réussie de la relation qui se noue entre Amy et Van Gogh. Pour autant, j’ai du mal à pointer exactement ce qui est à l’origine de cette meilleure impression. Peut-être qu’en fait, cela doit surtout au fait qu’avec la mort de Rory, Amy a maintenant un ancrage émotionnel, même si pour elle c’est inconscient. Ce progrès ressenti suffit en tout cas à faire pardonner le fait que le personnage semblait ne pas du tout aimer les Musées dans « The Times of Angels », quand visiter celui d’Orsay est ici une attention particulière du Docteur à son égard, qu’elle apprécie.

L’artiste

It seems to me that there’s so much more to the world than the average eye is allowed to see. I believe, if you look hard, there are more wonders in this universe than you could ever have dreamed of.”

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Il n’y a qu’un personnage, dans cette aventure, dont la vision de l’Univers soit parfaite. C’est Vincent Van Gogh, sublimement incarné par Tony Curran dont la ressemblance avec l’artiste est frappante – l’auto-portait que l’on voit juste à coté de son visage est un véritable auto-portait de Van Gogh, pas un faux Van Gogh qui aurait été fait selon les traits de l’acteur.
Ce don, cette vision supérieure, est illustré à l’écran par ce moment d’absolue poésie dans lequel nous voyons se dessiner dans le ciel la « Nuit Étoilée » peinte par l’artiste. Mais il va avec sa malédiction : l’instabilité psychique, la dépression.

Un épisode d’une série familiale de science-fiction diffusée en fin d’après-midi le samedi centré sur le thème de la dépression, c’est à peu près contre toutes les règles. Mais « Vincent et le Docteur » y réussit parfaitement. La maladie de Van Gogh est un peu euphémisée, et il est montré dans ses moments lumineux plutôt que dans ces moments noirs, mais l’empreinte de la dépression est bien là, sur lui, et le fait qu’il se suicidera peu après est même rappelé trois fois pour les dialogues de l’épisode. En effet, à la mort du Krafayis, le véritable monstre de cet épisode a été identifié, et il ronge Vincent Van Gogh de l’intérieur. C’est lui qu’il faut véritablement combattre, et pour ce faire le Docteur emmène Van Gogh découvrir que, dans le futur, on le tiendra pour un des plus grands artistes, même s’il a été totalement négligé par ses contemporains. Amy espère que cela pourrait suffire à terrasser le monstre, quand le Docteur sait, ou pressent, qu’il n’en sera rien : le bonheur, même intense, est fugace, quand ce monstre-là est tenace.

Il faut noter la beauté de la mise en scène de la séquence où Van Gogh visite la salle où sont exposées ses œuvres au Musée d’Orsay, et notamment du plan où la salle tournoient autour d’eux tandis que Vincent prend conscience de ce que sera son héritage. Un petit regret, quand même – quand bien même je n’ai rien contre la chanson en elle-même – vient du fait que cette séquence soit illustrée musicalement par un titre du groupe Athletes, « Chances ».

Murray is gold

Mais c’est l’occasion de dire qu’il y a un problème avec la musique, cette saison. Pendant très longtemps, il y a eu un suspense quant à savoir si Murray Gold serait de retour ou non pour cette cinquième année. Pendant très longtemps, j’ai espéré que la réponse serait oui, parce que la musique de Gold fait partie à mes yeux des points constamment réussis de la série (même si l’augmentation du budget a permis d’améliorer semblablement la qualité de son travail après la saison 1), et parce que vu tous les changements annoncés, il me semblait qu’un peu de continuité au niveau musical ne ferait pas de mal.
Sauf qu’on n’a pas voulu de cette continuité : Murray Gold a été prié de ranger aux archives tous les thèmes développés lors des saisons précédentes. Admettons. Mais le pire, c’est qu’on ne lui a pas vraiment laissé en développer de nouveaux, visiblement par volonté de sortir de cette approche thématique, et de diminuer l’importance de la musique. Sauf que, privée des envolées symphoniques de Murray Gold, la série est parfois un peu trop ramenée à ce qu’elle est : deux ou trois acteurs plantés dans un coin de campagne du Pays de Galles ou dans un studio de Cardiff faisant semblant d’être à un endroit mystérieux à l’autre bout de la galaxie. Et, surtout, « Doctor Who » se retrouve du coup privé d’une part non-négligeable de son impact émotionnel.
Et c’est une forme d’aveu, quelque part, que la seule pièce de musique très forte qu’on lui a laissé composé, qui illustrait la prise de pouvoir du nouveau Docteur dans « The Eleventh Hour », se retrouve utilisée sur la totalité des bandes-annonces de la saison. Si, au moment de la promo, on s’est rendu compte qu’il n’y avait pas grand-chose d’autre d’utilisable pour les trailers, c’est le révélateur d’un problème.

Du coup, c’est rageant que dans un moment tel que celui mentionné plus haut, où Murray Gold pourrait enfin faire ce qu’il fait si bien, on ait eu recours à un titre pré-enregistré, qui banalise un peu la scène. Heureusement, le compositeur peut se rattraper un peu avec la scène finale.
Mais je ne suis plus si sûr d’avoir envie que Murray Gold revienne l’année prochaine – en tout cas pas si on l’engage pour faire quelques petites notes discrètes d’arrière plan que personne n’entend vraiment. Je veux retrouver des choses aussi marquantes que les thèmes de « The Impossible Planet », de « Doomsday » ou des chansons des Oods. Je croise les doigts pour que l’approche très distante vis à vis de l’émotion que la série a eu cette saison soit effectivement justifiée narrativement et débouche sur un final qui éclairera ces épisodes d’un jour nouveau.


Un épisode atypique, poétique, superbement écrit et interprété, ce qui lui permet de traiter d’un thème aussi difficile que la dépression sans complètement dénaturer le format de « Doctor Who ». « Vincent and the Docteur » est aussi pétri d’une forme d’émotion directe et sincère par trop absente cette année, ce qui ne le rend que plus précieux encore.

L’anecdote rigolote qui ne sert à rien :
Si l’épisode est fidèle à l’esprit — ou à la légende — de Vincent Van Gogh, il s’écarte de la lettre à quelques occasions. La « Nuit étoilée » que l’artiste voit dans le ciel tandis qu’il est en compagnie du Docteur et d’Amy a en fait été peinte un an avant la date à laquelle est censé se dérouler cet épisode. Le tableau représente ce qu’il voyait depuis la fenêtre de la chambre de l’asile du monastère Saint-Paul-de-Mausole à Saint-Rémy-de-Provence en mai de 1889. Il y était interné volontairement après l’épisode qui l’avait conduit à se couper le lobe de l’oreille plusieurs mois plus tôt, alors qu’il habitait à Arles (une pétition des habitants de la ville avait été créée pour exiger qu’il la quitte). D’ailleurs, « La chambre de Van Gogh » que l’on voit dans cet épisode ne se situait pas à Auvers-sur-Oise, mais était celle qu’il occupait à Arles. De même, il avait peint des tournesols bien avant 1890.

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La Nuit Etoilée de Van Gogh
Et sa recréation dans « Doctor Who »

Post Scriptum

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Dernière mise à jour
le 22 octobre 2011 à 01h57