FICTION FRANCAISE — Quels fondements pour une fiction politique française ?
Quels sont les bases sur lesquelles se construit la fiction politique française ? Et quels en sont les effets ?
Par Sullivan Le Postec • 3 mars 2009
Loin d’être neutre, le traitement de la politique dans la fiction est révélateur de l’état d’esprit de la Nation qui la créé.

La frilosité des chaînes françaises à polémiquer au travers de leur fiction, et donc à traiter de l’ici et du maintenant, est l’une des raisons de la rareté de fiction politique à la télé française. Mais elle n’est sans doute pas la seule. Peut-être peut-on aussi y voir une conséquence de l’angle sous laquelle elle est traitée de manière quasi-systématique.

Le modèle américain

L’exemple de la fiction américaine est probablement une partie de l’explication de la résurgence relative de la politique comme sujet de fiction à la télévision française. Il n’y a pour autant que peu d’exemples de séries US qui soient 100% politique. Dans ce domaine, « The West Wing » est quasi-unique et, de part sa qualité, a laissé une empreinte qu’il sera très difficile de faire oublier. Mais, de manière plus générale, la politique est un sujet qui se diffuse à travers de bon nombre de séries US. Là-bas, la fiction est ressentie comme pleinement légitime pour être un lieu de débat sur nos sociétés et leurs évolutions, et la politique en fait pleinement partie. La télé américaine a donc eu l’occasion de représenter régulièrement le politique. Et ce n’est pas un hasard sur les Présidents fictifs américains télévisuels sont finalement assez nombreux : depuis Bartlet, en passant par Palmer et ses successeurs de « 24 », la « Commander in chief » Mackenzie Allen ou même la Présidente Roslin de « Battlestar Glactica », il y a foule.

L’importance du personnage du Président dans le traitement de la politique à la télé américaine est elle-même révélatrice du fondement plus ou moins conscient qui structure sa représentation. Clairement, elle repose sur un événement fondateur : l’assassinat de John F. Kennedy. L’événement est d’ailleurs illustré de manière assez frontale à la fin de la première saison de « The West Wing », de la seconde de « 24 », et on peut multiplier les exemples (la fin de la première saison de « Babylon 5 » dans les années 90, pour en citer un autre un peu plus éloigné).
Le mythe JFK, qui est en quelque sorte celui d’un Président qui aurait pu changer la face de l’Amérique si on ne l’en avait pas empêché, et le trauma collectif qu’a été sa mort, conditionnent en grande partie le rapport américain à la politique et son illustration dans la fiction.

C’est évident dans « The West Wing » dont la volonté avouée était de mettre en scène l’administration d’un Président idéal, contre-pouvoir fictionnel à la politique de Bush, désavouée par la majeure partie d’Hollywood. Dans « 24 » aussi, les scénaristes ont voulu avec David Palmer façonner un Président idéal. (Il est d’ailleurs amusant que celui-ci ait été, au moins sur le papier, Démocrate, alors même que l’idéologie de « 24 » est Républicaine.) En clair, le monde politique tel qu’il est donné à voir par la fiction américaine a ses coups bas et ses pourris, mais il a surtout ses grands hommes qui œuvrent de toutes leurs forces pour le collectif.

Il n’est pas impossible que le trauma du 11 septembre soit le fondement des cinquante prochaines années de fiction politique américaine, comme « 24 » l’a amorcé dès sa seconde saison. Il nous semble que cela ne remettra pas profondément en cause le traitement du sujet.

Un fondement français ?

Y a-t-il en France un pareil fondement qui constituerait un prisme par lequel la fiction regarderait la politique ? A priori, aucun événement de l’ampleur de l’assassinat de Kennedy ne semble en mesure de conditionner notre rapport à la politique et à sa mise en fiction.

Il nous semble bien, pourtant, qu’un tel fondement existe, qu’il y ait une thématique que la fiction politique française ne cesse de traiter, de manière plus ou moins directe. Ou tout au moins, qui conditionne son traitement du sujet, et notamment son rapport au personnage de l’homme politique.

Un événement de l’histoire politique française récente a en effet considérablement marqué les esprits, et cet événement est double. C’est l’élection à la Présidence de la République de François Mitterrand mais aussi, et peut-être surtout, son pendant : le « tournant de la rigueur ». On peut voir en cet événement double une forme de trauma collectif local, au moins dans les esprits de gauche — celui d’un espoir immense mais immensément déçu. Il nous semble qu’il joue un rôle crucial dans la représentation collective contemporaine du politique en France.

En effet, on serait bien en peine de trouver un exemple de personnage de politique dans la fiction télévisée française qui soit positif. En fait la fiction politique française tend à classer les hommes politiques en seulement deux catégories : d’un coté les idéalistes un peu naïfs qui finissent littéralement broyés par le système (c’est le cas du Rubempré de « Rastignac ou les ambitieux »), de l’autre les cyniques plus ou moins pourris (souvent plus que moins). L’exemple de « L’Ecole du Pouvoir » est éloquent, puisque les seuls personnages qui semblent trouver grâce aux yeux des scénaristes sont les deux qui... décident de sortir de jeu politique et de refuser d’en faire ! Pour aller plus loin, on peut évoquer le cas de l’héroïne de « L’Etat de Grâce ». Pour montrer une présidente de la république positive avec laquelle les téléspectateurs puissent entrer en empathie, les auteurs choisissent d’en faire une femme issue de la société civile et de tenter de créer de la connivence avec le téléspectateur en la montrant mépriser son premier ministre et les jeux de pouvoir politique de manière pour le moins accentuée.

Le résultat conduit à un paradoxe évident qui traverse la fiction politique française : elle invite à se passionner pour le politique pour mieux le dénigrer. Un rapport d’amour-haine au politique qui, évidemment, prend sa source dans l’inconscient collectif de l’époque qui voit ses fictions se créer. Au final, si la fiction politique américaine est souvent un formidable appel à l’espérance et à l’engagement, la création française transmet un point de vue beaucoup plus désabusé.
Au risque de scier la branche sur laquelle elle se trouve ?