POISON D’AVRIL et L’EMBRASEMENT • FICTION FRANCAISE ET POLITIQUE
La vraie télé réalité d’Arte
Par Sullivan Le Postec • 18 février 2007
Dans un contexte de regain d’intérêt en France pour la fiction d’histoire contemporaine, Arte propose en janvier 2007 deux téléfilms politiques. Le premier sur le traitement de l’information qui conduisit au 21 avril 2002, le second sur la mort de deux ados à Clichy-sous-Bois qui a provoqué les émeutes de l’automne 2005...

Au sein d’une vague assez conséquente de fictions d’histoire contemporaine, plus ou moins pertinentes et engagées (les « Rainbow Warrior » de TF1 et Canal+, « Le Procès de Bobigny » de France 2, « L’affaire Villemin » de France 3...), et avant d’autres projets à venir, Arte apporte une double pierre à l’édifice en programmant deux vendredis consécutifs deux fictions politiques et quasi-documentaires, « Poison d’avril » et « L’embrasement ».

Une volonté documentaire

« Poison d’avril » est l’oeuvre de William Karel, connu pour ses documentaires - notamment l’un déjà consacré aux coulisses de la rédaction de l’info à France 2 pendant la campagne présidentielle de 2002 (« Le journal commence à 20 heures »).
« L’embrasement » voit quand à lui son scénario fondé sur le livre des avocats Jean-Pierre Mignard et Emmanuel Tordjman, "L’affaire Clichy - Morts pour rien", et ne perd jamais de vue un souci de vérité d’autant plus nécessaire que ses auteurs étaient très conscients que la diffusion ne pourrait aller sans polémique. En effet, le rappel de la vérité des faits dans cette affaire, c’est aussi celui d’un mensonge d’Etat, ou tout au moins d’un mensonge d’un membre de l’Etat, puisque le Ministre de l’Intérieur Sarkozy avait nié que les jeunes aient été pris en chasse par la police, sans raison particulière, comme ils en témoignaient, et que ce fait est aujourd’hui avéré.

Sollicités par la productrice pour un téléfilm sur les événements de Clichy, Herpoux et Triboit ont souhaité élargir leur sujet à une prise de pouls des banlieues françaises au moment où elles basculaient dans les émeutes, faisant de la mort de Bouna et Zyed (15 et 17 ans) la métaphore d’une situation plus générale. C’est là que se niche la part de fiction de l’oeuvre, notamment dans l’invention de deux personnages non-réels : Ahmed, jeune émeutier, et Sylvie, une femme policier fragilisée. Tout cela est lié par l’inclusion d’un autre personnage fictif, un journaliste Belge, ingénu de l’histoire, qui n’influe sur aucun événement et, c’est important, est le seul personnage fictif à interagir avec des personnages réels — justement parce qu’il n’agit pas.

Cette volonté farouche de coller à la réalité, qu’elle soit le fruit d’un sujet polémique et très frais (« L’embrasement ») ou la volonté et l’héritage de l’auteur du film (« Poison d’avril ») se révèle aussi parfois un handicap, en cela qu’elle s’accompagne parfois d’une certaine lourdeur dans sa rigidité. Néanmoins, « L’embrasement » parvient à ne pas supprimer toute empathie du spectateur envers ses personnages. Ce n’est pas le cas de « Poison d’avril ».

...Un plaisir documentaire

Non pas, d’ailleurs, que ce dernier ne procure aucun plaisir lors de sa vision. Simplement, ce plaisir est celui qu’on prend devant un bon documentaire, et n’a rien à voir avec la fiction. Le film de William Karel croule d’ailleurs sous les images d’archives de l’époque, qui occupent une part très importante de son heure et demie.
L’argument de la fiction est pourtant diablement intéressant : nous sommes dans la rédaction d’un fictif troisième « Vingt Heures » qui court après France 2 qui court après TF1. La chaîne engage Simon, venu de TF1 justement, pour redresser l’audience du journal. Il obtient les clefs du journal, au détriment du rédacteur en chef officiel, Charles, qui vit mal cette aspiration vers le sensationnalisme et le bas de gamme. Mais le père de Charles tombe malade, l’éloignant de la rédaction, livrée à Simon. La sortie de Jospin sur sa ’’naïveté’’ face à l’insécurité convainc Simon de « creuser » ce sujet.

Mais cet argument de fiction tient très peur dans les faits : le conflit à la rédaction est réduit à sa plus simple expression. C’est d’ailleurs, aussi, le cas des personnages. Leur principale fonction paraît parfois être de commenter les images d’actualité sur un ton caustique ou en révélant des infos off. Bref, tout cela ressemble effectivement à un petit plaisir de documentariste qui aurait décidé de saisir la fiction pour lui faire dire ce que l’objectivité journalistique à la française l’obligeait à taire dans son premier métier.
Sur cet aspect des choses, un autre élément est intervenu : William Karel a coupé près de cinquante minutes du montage initial. Sur la table de montage, sont restées des scènes intimes, des retour à Paris de Charles, des scènes qui auraient pu ré-équilibrer le film. Il semble qu’au moment des choix finaux, William Karel se soit laissé guider par ses habitudes de documentariste plutôt que par son désir de fiction.

Si elle est moins prégnante, cette problématique n’est pas tout à fait absente de « L’embrasement », dans la mesure où elle fait de son personnage principal le journaliste belge Alex Martin (joué par Thierry Godard que Triboit avait déjà dirigé dans quatre épisodes d’« Engrenages ». Un personnage passif, qui recueille la parole plus qu’il n’enquête, et qui ancre le téléfilm dans la tradition du film d’auteur français sociologique, très intéressant dans les réalités qu’il découvre, mais parfois faible dans la narration et la porté dramatique : le résultat est scientifique, un peu froid, un peu chiche en émotions.
Le film en aurait sûrement souffert encore plus s’il n’était pas en majorité très bien joué, notamment par Abderrahim Boumes dans le rôle d’Ahmed.

Ici et maintenant ?

J’ai rattaché « L’embrasement » à la vague récente de fictions d’histoire contemporaine, mais il me faut reconnaître que ce n’est que partiellement vrai. Car, en s’intéressant à un fait remontant à peine à plus d’un an, et en approfondissant en outre le sujet à son environnement immédiat (la banlieue), ce téléfilm se rapproche beaucoup de la description d’un ’’ici’’ et ’’maintenant’’ si singulièrement absent de la fiction française. Déjà, d’ailleurs, la description de la campagne électorale de 2002 dans « Poison d’avril » se donnait très visiblement pour but d’être un un écho à celle qui se déroule en ce moment.

De manière intéressante, cet aspect de ces fictions a entraîné quelques polémiques, notamment sur le thème de l’intrusion que cela représente dans le débat électoral. Un droit qu’on tend, en France, à interdire à la fiction quand on l’autorise aux amuseurs plus ou moins drôles, des « Guignols » aux émissions de Ruquier. Car bien sûr, la cause du l’absence de fiction de l’ici et maintenant en France trouve là sa source. Dans cette sorte de tendance, que je peine à expliquer, à voir dans la fiction télévisée quelque chose de vulgaire, d’illégitime, d’indigne à aborder de grands sujets.

C’est d’ailleurs ce qui pousse ces fictions à être quasi-exclusivement des adaptations de faits réels. Car si celles-ci peuvent naître au prix de quelques polémiques, les fictions de l’ici et maintenant purement fictives sont souvent empêchées à la source, ou bien interdite de diffusion, à l’image de l’épisode de « PJ » sur les tensions religieuses déprogrammé par France 2 il y a 3 ans.

L’engagement d’Arte sur ces deux fictions parrallèles est donc louable. Il est probable qu’il doive être répété pour espérer modifier les codes officieux qui musèlent notre fiction.


« L’embrasement » est disponible sur la plateforme VOD d’Arte.

Par ailleurs, le site de la chaîne contient des entretiens et éléments intéressant, tant sur « L’embrasement » que sur « Poison d’avril ».

Post Scriptum

« Poison d’avril »
Vendredi 19 janvier 2007
ARTE France - Point Du Jour Production
Scénario : William Karel, Olivier Gorce ; réalisation : William Karel

« L’embrasement »
Vendredi 12 janvier 2007
ARTE France - Cinétévé
Scénario : Marc Herpoux et Philippe Triboit ; réalisation : Philippe Triboit