MABROUK EL MECHRI – ‘‘Il ne faut pas chercher à être original à tout prix’’
Entretien avec le principal réalisateur de « Maison Close »
Par Sullivan Le Postec • 19 octobre 2010
Le réalisateur Mabrouk El Mechri (« Virgil », « JCVD ») pose sa marque très forte sur « Maison Close », dès les premières minutes. Vous risquez d’adorer ou de détester. Rencontre.

Une scène de sexe filmée de façon à la fois chaste mais crue. Une mère-maquerelle qui traverse son Paradis, tandis que se joue une musique contemporaine dont la qualité du son varie suivant les pièces dans lesquelles elle se trouve. Elle a l’œil partout : petite attention pour le client fortuné, instruction ferme donnée à l’une de ses filles, les jump-cuts illustre sa capacité à tout surveiller en même temps, les fondus enchaîné sa capacité à maintenir un extérieur calme et avenant, pour ne pas perturber les lieux. Une jeune fille qui attend à l’extérieur de la Maison Close où, à l’image d’une boite de nuit de 2010, seules les basses traverses la porte massive et qui parait infranchissable...

Le pré-générique du premier épisode de « Maison Close » pose clairement les bases d’une mise en image très stylisée, débordante de personnalité. Le message qu’a voulu faire passer Canal + est limpide : vous n’êtes pas devant la fiction en costume de papa.

Rencontre, en juin dernier, juste après la projection des deux premiers épisodes, avec l’homme à l’origine de cette direction artistique tranchée, qui divisera les téléspectateurs en deux camps : Mabrouk El Mechri, connus pour ses longs au cinéma : « Virgil » ou « JCVD ».

Le Village : Qu’est-ce qui vous a amené à travailler sur une série ? Est-ce que vous avez toujours eu envie d’en faire ?

Mabrouk El Mechri : J’ai toujours eu envie de travailler sur une série, depuis que Canal+ a dit qu’ils allaient monter un peu le niveau. Depuis « Virgil » [sorti en 2005, NDLR], en fait. Après mon premier film, j’ai commencé un peu à voir Fabrice de la Patellière et les gens de Canal+, avec qui on partageait de l’intérêt pour les mêmes séries, à la recherche d’un matériel qui me plairait. Et puis un jour « Maison Close » est arrivé par l’intermédiaire de Jacques [Ouaniche, producteur] qui m’a fait lire le Pilote, que j’ai trouvé plein de promesses.

Comment avez-vous abordé au moment de la mise en images, le petit défi que représentait le fait de dépoussiérer un peu...

Moi je ne dépoussière pas ! Je fais ce que j’ai à faire. Eux [Canal+, NDLR] veulent dépoussiérer. Je n’ai jamais vu cette série comme l’occasion de dépoussiérer un genre. C’était l’occasion de me frotter à un genre. Mais je n’ai rien fait en réaction à. Ce que j’ai fait, je l’ai fait par goût et par choix. Je pense que travailler en réaction est une mauvaise manière de faire. Je crois profondément à mes propres choix et à essayer de les valider plutôt que de me retrouver à dire ‘‘regardez, j’ai fait différent’’. Je crois assez en moi pour que ce soit différent à la base.

Sur les deux premiers épisodes, que je viens de voir, il y avait beaucoup de plans en plongée...

Oui. Généralement, c’est le point de vue d’Hortense, qui a un peu un poste de vigie avec son bureau à l’étage. C’est vrai que cela a amené beaucoup de plongées.

Il y a d’autres exemples, comme le meurtre du Baron...

Ça, je voulais que ça soit un peu comme une caméra de surveillance, que cela ressemble à une agression de métro si vous voulez, en filmant la violence comme cela, presque comme un plan-séquence, même si en fait il y a des cuts qui viennent dynamiser.

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La série est très claustrophobe, on ne sort pas beaucoup...

On sort un peu après !

Ça ne vous a pas fait peur, cet enfermement relatif dans un décor ?

Non parce que je ne crois fondamentalement pas qu’il y ait la même séquence deux fois. On peut être dans le même décor, ce ne sera jamais la même séquence. En fait, cela permet de voir tout de suite si ce que vivent les personnages est pertinent, et si cela vaut le coup de le filmer dans le même décor. Si cela l’est moins, on va ressentir le besoin de changer de décor. Mais il ne faut pas chercher à être original à tout prix.

Parlons de la musique. Je vous ai entendu dire que quand vous avez lu le scénario du Pilote, cela vous a tout de suite appelé une musique de générique de fin...

Oui, comme dans « Les Sopranos ». C’est là aussi que l’on voit que le problème que peut poser l’appropriation d’un matériel qui n’est pas le vôtre, je ne l’ai pas. Si à la lecture, je me fais emporter, s’il y a des fulgurances, c’est génial et je vais très vite le sentir. Je me mets vraiment dans de bonnes conditions pour lire – je repense au fait qu’à l’époque, je fumais encore – et je me demande ‘‘si ça sortait, est-ce que j’aurais envie de le voir ?’’. A la lecture, les choses sont apparues de manière très précise, et ont appelé un son différent, alors que c’est objectivement écrit de manière très rationnelle, en français – je lis beaucoup plus de scénarios en anglais ces derniers temps.

La manière dont vous avez intégré la musique dans les scènes est un peu particulière...

Oui, en “accoustiquant” la musique dans les scènes. C’est-à-dire en faisant en sorte d’effacer la frontière entre le morceau qu’a choisi le réalisateur pour illustrer musicalement une séquence, et ce qu’entendent les personnages. On ne sait jamais si elles entendent ou pas, parce qu’elles ne réagissent pas et en même temps quand un personnage se déplace, le son peut grésiller comme lorsque l’on passe devant un ampli. On ne sait pas si c’est moi, si c’est elle... Laisser cela en suspens, cela peut-être vécu comme un parti-pris assez perturbant par certains, mais moi j’aime bien. Je crois que la musique ne vient pas brouiller ce que l’on voit.

Vous avez réalisé les quatre premiers épisodes, et puis les deux derniers. C’était prévu comme ça ?

Non, ce n’était pas prévu comme ça au départ, mais je suis revenu très vite parce qu’il fallait garder le même ton. Moi j’avais des obligations qui ont fait que j’ai dû quitter la série, donc les épisodes 5 et 6, ce n’est pas moi qui les ai réalisés. Je suis revenu pour les 7 et 8.

Si la saison 2 se fait, vous êtes partant pour rempiler ?

Je pense vraiment que oui.