HISTOIRE(S) - Une stratégie marketing réussie
Pour que la fiction française nouvelle génération trouve son public, il faut déjà qu’elle lui fasse connaître son existence...
Par Sullivan Le Postec • 3 mars 2010
Les moins de 35 ans ont déserté la fiction française depuis pratiquement quinze ans. Pour les faire revenir à elle, une utilisation judicieuse du marketing est indispensable.

Certains se refusent à envisager que la création et le marketing puissent aller de paire. Il faut pourtant regarder la réalité en face. Cela fait quinze ans que les moins de 35 ans ont, à peu de choses près, cessé de regarder de la fiction télévisée française. Et, depuis cinq ans, c’est même carrément le média télévision qu’ils ont tendance à déserter, pour mieux consommer les séries par le truchement des coffrets DVD et du téléchargement, qu’il soit légal ou non. Tandis que la série française tente de changer de génération, elle doit investir dans la communication pour se faire connaître. Sans quoi, comme bon nombre d’excellentes productions ces dernières années, elle va globalement périr dans l’indifférence.

« Braquo » a été le meilleur lancement promotionnel de Canal+, notamment par le biais de la websérie documentaire sur les coulisses et d’une campagne d’affichage basée sur un visuel réussi. Il me semble tout de même que tout cela tenait moins de la campagne réellement réfléchie que de la preuve que le nom (la marque ?) Olivier Marchal constitue aujourd’hui une véritable locomotive. Pour le reste Canal+ a encore du travail à abattre dans ce domaine, notamment dans la compréhension du fait que toutes les séries ne s’adressent pas au même public et que ce public n’est donc pas à aller chercher au même endroit ni de la même façon. Quitte à radoter, je dois encore dire qu’il apparaît encore plus évident avec le recul que la chaîne n’a jamais eu la moindre idée quant au public auquel s’adressait « Reporters » et à la manière de vendre la série.

Il me semble qu’en fin de compte, seules deux séries depuis cinq ans ont développé une stratégie marketing réellement marquante, parce que suffisamment ambitieuses dans leur déploiement et bien pensées dans leur ciblage et leur positionnement. C’est à dire qu’elles ont posé les bonnes questions (qui est le public de ma série ? Où se trouve-t-il et comment je peux le toucher ?) et qu’elles y ont apporté de bonnes réponses.
Ces deux séries, ce sont la saison 2 de « Clara Sheller » (Voir notamment l’article publié à l’époque sur Rue 89 : Comment Clara Sheller s’est relookée grâce au Web) et, aujourd’hui, « Les Invincibles ». Dans les deux cas, c’est aussi une questions de survie : toutes deux ciblent directement les trente ans et moins dans leur écriture [1].

Pour avoir un impact, la campagne marketing du lancement des « Invincibles » s’attache à multiplier à la fois les plateformes d’exposition (télévision, cinéma, internet, presse...) et les partenariats, pour que « Les Invincibles » parviennent à se faire remarquer parmi le bombardement de marques auxquels nous sommes tous soumis. Le fait que la première saison soit prête depuis presque un an ne permettra pas seulement de proposer la seconde saison d’ici quelques mois : cela a aussi laissé à Making Prod et à Arte le temps de travailler à une approche ambitieuse, et parfois originale, de son lancement.

Stéphane Drouet et Matthieu Viala, producteurs pour Making Prod, nous en parlent :

L’une des meilleures idées de cette campagne — un poil cynique mais trop brillante pour qu’on s’en agace — est la sortie du livre « En finir avec le couple » (Arte Editions / Les Petits Matins). Cette méthode, écrite par Robert Macia et Julien Peluchon, propose d’aider son lecteur à arrêter le couple, comme d’autres méthodes avant ont aidé à arrêter la cigarette.
En plus de s’amuser avec le sujet de la série, l’objectif, clairement, est d’imposer la thématique du renoncement au couple comme un sujet de société tendance, qu’il conviendrait donc de traiter dans la presse magazine, du féminin au newsmag. Le genre de dossiers actu / “notre époque” qui s’écrivent facilement, mais qui sont souvent moins faciles à illustrer. Magique ! La série « Les Invincibles » est justement là pour ça — et gagnera du coup en visibilité auprès d’un public en partie assez différents de ceux qui auront remarqué les buzz internet.
L’invitation des deux auteurs dans l’émission de Pascale Clark sur France Inter, « Comme on nous parle », prouve que la démarche marche. Même si elle soulève quelques questions de la part de l’animatrice.

Autre étape de cette stratégie de communication : depuis ce week-end, le premier épisode est disponible intégralement et gratuitement sur le site d’Arte. Vous pouvez le découvrir ici.

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Dernière mise à jour
le 3 mars 2010 à 07h53

Notes

[1Le cas de « Clara Sheller » est toutefois rendu plus complexe à analyser par le fait que la saison 2 de la série devait aussi, et peut-être surtout, vendre au public qui avait adhéré en masse à la première saison (6 millions de téléspectateurs sur France 2) le changement complet de distribution. Un handicap promotionnel habilement intégré à la campagne, qui s’était trouvée centrée sur les fans, façon vous êtres toutes Clara Sheller. Le public n’a pas totalement suivi, seuls 4 millions de fans retrouvant le chemin de Clara Sheller en 2008. On n’accusera pas le plan média : difficile de savoir ce qu’il se serait passé si Clara avait gardé le visage de Mélanie Doutey, mais on imagine quand même facilement que le résultat eut été meilleur.