LA COMMUNE - Saison 1
"A La Commune, le seul jour facile c’était hier" Hocine Zemmouri
Par Dominique Montay • 14 mai 2010
2007, un OVNI télévisuel débarque sur les écrans de Canal+. Depuis que la chaîne cryptée s’est lancée dans la dramatique de luxe, jamais une œuvre n’a été aussi jusque-boutiste. Et aucune après elle. « La Commune » n’est pas un tournant, c’est une anomalie.

Isham Amadi revient à la Commune après 20 ans de prison pour le meurtre de deux flics. Devenu durant son incarcération musulman, il est aussi devenu millionnaire, grâce à des livres sur la religion qui se sont vendus comme des petits pains. Plutôt que de profiter de son argent, il revient dans ce lieu affreux qu’est la Commune, qui abrite les laissés pour compte, les rebus de la société, un lieu sans espoir qui noircit les âmes. Mais pourquoi est-il revenu ?

Les personnages

Dans les tours et barres d’immeubles issues des années 60, le roi s’appelle Daoud (Doudou Masta), dealer violent à la voix grave et à la porte duquel il ne faut pas frapper sans une excellente raison (“Y’a ma fille qui dort !” est peut-être la seule ligne de dialogue qui, au fil du temps, vous arrachera un sourire tant elle est systématique). Daoud est le type de boss qui ne sort presque jamais de chez lui et qui envoie ses lieutenants (ses cousins) se battre plutôt que lui. Milan, son chien de guerre, croate aux yeux bleus presque transparents est une brute sans pitié qui effectue ses plus sales besognes. Milan est un survivant, une bête presque indestructible.

Après les âmes damnées, les âmes perdues. Yazid Fikry est une petite frappe sans envergure, terrifié par Milan mais qui fait le fier quand ce dernier tourne les yeux. Sa sœur, Zina Fikry, petite amie de Milan, traitée comme une prostituée, s’imagine elle dans une relation normale, où le romantisme a sa place. Georges Gauthier est le médecin de la cité. Alcoolique complet, il est à la fois vital à la survie du microcosme, mais inutile face à une eventuelle amélioration des choses. Il soulage sans soigner et est entrée dans une phase terminale de dépression.

Les âmes pures, ou supposées telles. Anita Rossi est l’assistante sociale. Courageuse et brave, elle ne baisse pavillon ni face aux petites frappes dans l’intimité d’une cage d’escalier sans lumières, ni face aux politiciens véreux dans leurs salons cossus. Hocine Zemmouri est le coiffeur de la cité, toujours fourré le nez dans ses comic-books, il est aussi le seul à tenter d’avoir du recul sur la situation, et même si ça le pousse au cynisme assez souvent. Son frère revient du bled avec une femme très jeune et belle qui lui a coûté sa maison, et arrive en France pour tenter de se refaire financièrement.

L’icône de la série, c’est bien sûr Amadi, celui qui ouvre les portes de la Commune en y entrant, qui nous apparaît la première fois comme un ange rédempteur et qui s’avère finalement plus proche de l’ange exterminateur. Il y a en lui une rage, une honte, une envie de vengeance autant que de pouvoir, un mélange fort duquel on ressort avec une impression mitigée, tant on a l’impression qu’il veut à la fois conserver et faire imploser la Commune.

Un univers maîtrisé, mais trop proche de son modèle

La série est dense, sans réelle respiration ou pause. Les évènements s’enchaînent assez vite, avec un réel respect des conventions sérielles. Les cliffhangers sont plutôt bien maîtrisés, comme les arches narratives, chaque épisode ayant son existence propre, tout en restant un feuilleton pur. Les qualités visuelles sont évidentes, tant cet endroit est rare dans la fiction télé. Ces barres d’immeubles que nous voyons toujours de loin dans les JT, nous y entrons, nous nous y faufilons. Une fois immergés dans l’endroit, une sensation vient inexorablement, et les auteurs (j’inclus autant le scénariste Abdel Raouf Dafri que le réalisateur Philippe Triboit, qui chapeautent tous les épisodes) ne font rien pour qu’on ne fasse pas le parallèle : nous sommes en prison. Et pour appuyer leur propos, que font-ils ? Il s’inspirent par moment — copient par endroit — de la fiction carcérale la plus reconnue et louée dans le monde : « Oz »

Le chef-d’oeuvre de Tom Fontana trouve ici un écho tellement fidèle qu’il n’aurait pas été choquant d’imaginer que La Commune n’en est qu’une transposition, même habile, de l’univers d’Emerald City. Isham Amadi et Kareem Saïd partagent plus d’un point commun sur leur nature de leader religieux qui bouscule l’ordre établi. Il y a dans Milan des aspects de Ryan O’Reilly dans cet instinct de survie constant et ce charme bien utile. Daoud partage avec Simon Adebisi de nombreux points communs. Le gouverneur James Devlin trouve en écho les deux figures présentes ici, avec le calcul carriériste de Jean-Bernard Pietta et l’agressivité hautaine de son adjoint. Mais si ces comparaisons deviennent présentes, elles seraient loin d’être évidentes sans les deux personnages qui posent problème tant ils traduisent plus une copie qu’une inspiration.

Anita Rossi est une assistante sociale originaire d’Argentine, et comme on le disait plus tôt, elle est courageuse et frondeuse, mais pétrie d’humanité. Sister Marie est hispano-américaine, très humaine et se pose comme la voix de la raison entre les nécessités de la prison et celles des prisonniers. Hocine Zemmouri, en dehors d’être le coiffeur de la cité, est aussi le narrateur de la série, qui nous prend à part de manière irrégulière dans les épisodes, dans des endroits oniriques et théâtraux, des images illustratives et projetées autour de lui venant appuyer son propos, souvent teinté d’une morale. Redonner la description d’Augustus Hill revenant à copier-coller, nous nous en passerons.

Une réussite évidente

Est-ce que ça gâche pour autant la découverte de cette série ? A part les premières minutes, ou le jeu des comparaisons a du mal à ne pas exister, pas vraiment. Il faut juste se dire qu’au lieu de reprendre les codes d’un style, elle reprend celle d’une seule série, qui elle-même reprenait des codes issus du théâtre en général, et de Shaekespeare en particulier, mais tranchait dans la forme par rapport à l’original. C’est peut-être là la faute de « La Commune », reprendre des codes dans leur fond et leur forme, rendant de fait impossible de ne pas voir la filiation.

Reste une série réussie, rythmée, riche de sens, pas du tout manichéenne (et pour cause, il n’y a presque aucun personnage positif !), qui ne se pose pas en juge ultime même si elle parle à profusion de religion.

La religion musulmane y est ici traitée comme rarement, soumettant l’idée qu’elle véhicule comme les autres beaucoup d’hypocrisie. Malgré ses beaux discours et son envie de faire un monde plus juste, hissant le respect des lois terrestres au niveau des lois divines et prônant la séparation des pouvoirs, Ibrahim El Hadj va finalement pactiser avec les politiques qui lui promettent une mosquée. La belle-sœur d’Hocine, qui donne des leçons sur la religion à tous bouts de champs trompe son mari, et ira même jusqu’à comploter son assassinat. Hocine nous sert une belle leçon lorsqu’il balance à cette dernière, qui prétendait qu’Isham avait fait le bon choix d’avoir choisi la bonne religion, “Quand tu arrives en prison, tu as deux choix, tu t’agenouilles soit devant Allah, sois devant le mec le plus balèze de la prison pour qu’il te protège”. Une dénonciation de l’hypocrisie autant qu’une peinture sombre et sans espoir d’un univers.

Une frustration énorme

Cet aspect désespéré a sûrement eu raison d’une deuxième saison, tant on ne ressent aucune raison d’être optimiste dans « La Commune ». Quand un salaud risque de tomber, c’est de la main d’un autre salaud, parfois pire que le premier. Quand une femme annonce à son mec qu’elle est enceinte, ce dernier la roue de coups dans le ventre pour s’assurer d’une fausse-couche. Quand un enfant naît, ses parents nous font vite penser qu’il n’aura droit à rien de bon dans la vie. Un point de vue radical, sans concession, et très sombre.

Dans le détail, on louera la qualité de l’interprétation, la justesse de l’univers de la commune et on regrettera le léger « sonner faux » des représentants des institutions, flics comme politiques. On saluera certains personnages dont l’ignoble Milan avec son accent italien à couper au couteau, son regard terrifiant et son attitude dégueulasse avec tous les autres êtres vivants. Un personnage de survivant qui, hélas et contre toute logique du personnage, disparaît de la série en se faisant piéger assez maladroitement.

Ca n’est pas sans regret que Canal a lâché la série au terme de sa première saison, laissant beaucoup de questions, soulevées par un cliffhanger assez haletant, sans réponses. Sans cet arrière-goût d’ « Oz » qui plombe un peu le visionnage, on aurait pu crier notre incompréhension devant l’arrêt d’une série, qui si elle fait office d’anomalie pour une programmation à 20h50, aurait fait un fabuleux rendez-vous de seconde partie de soirée, et reste encore aujourd’hui, une grosse réussite formelle de la fiction Canal+.

Post Scriptum

« La Commune » est disponible en DVD