LA FILLE AU FOND DU VERRE A SAKE
Par Dominique Montay • 10 mai 2009
« On dit bien un verre à vin, donc c’est un verre à saké »... Emmanuel Sapolsky, le réalisateur de « La fille au fond du verre à saké », première des trois fictions de la Nouvelle Trilogie 4 qui sera diffusée ce lundi 11 mai, se range derrière la sémantique pour justifier un titre assez souvent mal relayé. Une comédie romantique qui voyage dans les contrées qui sentent bon la sauce soja : le treizième arrondissement.

Etienne Müller (Stéphan Guérin-Tillie) est designer dans une boite qu’il a co-fondée avec Maxime Leroy (Anthony Kavanagh), un black gay québecquois. Au détour d’un repas d’affaire, il rencontre la superbe Lu Ming (Xin Wang), et tombe assez rapidement amoureux (on le comprend). L’idylle est parfaite jusqu’à ce qu’au terme de son repas d’enterrement de vie de garçon, on lui serve un saké dans un verre qui arbore en son fond... la photo de sa douce, chevauchée par un black. Il confronte alors Lu à la vérité, et plutôt que le nier, elle détourne la conversation avant de s’enfuir le lendemain matin, profitant de la gueule de bois de son futur mari pour vider tous les placards (sacrée gueule de bois, donc). Etienne est décidé à la retrouver et pour cela, il doit chercher dans un quartier dont il ne connaît rien, le quartier chinois.

1,2,3

Un pitch en forme de premier épisode. S’il y a bien un problème dans cette fiction, c’est cette entrée en matière, qui si elle a le mérite de mettre en avant un couple très attachant, tarde à rentrer dans le vif du sujet et nous offre des scènes assez convenues pour certaines, plus savoureuses pour d’autres (Etienne qui balance un « vous vous ressemblez toutes » à Lu Ming pour sa troisième phrase prononcée, par exemple).

On trouve réellement le chœur du film, mais aussi la personnalité de son réalisateur dans la seconde partie. Emmanuel Sapolsky a un peu touché à tout : pub, télé, spectacles lives, bd (dans un style manga, vous aurez deviné). Ces influences diverses se retrouvent vraiment dans l’épisode 2, le premier faisant à côté « passage obligé ». On y trouve des champs de sojas dans des sous-sols, un colosse qui conduit un triporteur, un chinois muet marié à une alcoolique. Une vraie richesse doublée d’une vraie maîtrise d’un univers.

La troisième partie, celle de la conclusion, introduit une pièce qu’on sent presque rapportée, même si l’auteur s’en défend. Un ancien courtisan de Lu Ming revient et profite du chaos qui entoure son couple avec Etienne pour replacer ses pions. De recherche vaine, la quête d’Etienne se transforme en tentative de re-séduction pas forcément malhabile, mais qui donne surtout une impression de déjà vu.

Stéphan Guérin-Tillie et Xin Wang forment un couple crédible, même s’ils ne partagent que très peu de temps ensemble. Xin qui a énormément travaillé son accent (« elle parlait français comme un canard laqué » nous disait Emmanuel, au jour de la projection de presse) et affiche une belle présence. Bonne note à Anthony Kavanagh, qui même s’il a le beau rôle (et la plupart des répliques comiques), le fait très bien et avec conviction. Reste l’ensemble d’un casting presqu’exclusivement chinois, juste et très authentique.

Bienvenue en Chine

La Chine, Emmanuel Sapolsky maîtrise et connaît, et ça se voit. Vous aurez l’agréable surprise de voir des personnages chinois qui agissent comme dans des films chinois. Assez rare pour être souligné. Un auteur éclairé qui a pourtant un peu de mal à faire passer toutes les infos. Manque de temps, manque d’argent évidemment, la Parisienne affichant des budgets extrêmement serrés pour ses fictions (et pour cause, sinon Canal n’achèterait sûrement pas des premières œuvres juste pour faire plaisir). Des regrets pour Emmanuel Sapolsky, qui semble n’égratigner que les premières couches d’un sujet qui aurait mérité qu’on s’y attarde plus longuement. Une illustration : le frère de Lu Ming, Lin, fait des affaires avec un homme qui, il y a dix ans, était le fiancé de Lu Ming, chose qu’il ne savait pas. Ce qui apparaît comme incongru pour nous et qui donne l’impression d’être une erreur scénaristique est en fait une illustration des problèmes de communication qu’ont les familles chinoises. Mais par manque de clareté, cette information ne passe pas chez les béotiens.

Restent des points qui ont du mal à exister dans la fiction. Si la quête de Lu Ming (devenir française) est intéressante, montrer celle qui l’héberge pendant sa fugue, Kim (Corinne Yam), tenter de séduire Etienne manque d’intérêt, ouvrant vers des possibilités vaudevillesques assez éloignées du sujet principal. Certains développement (toujours certainement pour des questions de temps) sont un peu trop à l’emporte-pièce et enlèvent de la fluidité au récit.

Comme raconté dans notre vite vu, « La fille au fond du verre à Saké » a été présenté à la presse via son second épisode, et c’est bien là un problème à l’heure de la diffusion. Si la boîte de production génitrice du projet admet elle-même que le premier épisode est moins fort, comment convaincre un téléspectateur qu’il faut rester, et pas que pour l’histoire d’amour ? Des questions qui nous laissent penser que « La fille au fond du verre à Saké » en 3x26’ risque de peiner, alors que « La fille au fond du verre à Saké » 1x78’ devrait plutôt bien fonctionner.

Aux allergiques de la comédie romantique, celle-ci ne déroge pas au genre et en embrasse les codes et certains poncifs. Mais passez outre si vous aimez la Chine, sa culture ou encore aller faire vos course chez Tang Frères car cette série (ce film, plutôt), même si elle ne va pas au bout, dépeint avec justesse un monde qui est complètement inconnu aux occidentaux. Si vous aimez les comédies romantiques, par contre, pas besoin de vous convaincre, vous aviez certainement déjà dû prévoir de le regarder.

Merci à Emmanuel Sapolsky de nous avoir reçu pour nous parler sans retenue de son film, et nous offrir son point de vue à opposer au notre. Et aussi nous parler avec passion de son métier de réalisateur pour "la partie pointue"

Post Scriptum

« La fille au fond du verre à saké »
3x26 minutes.
La Parisienne d’image / Canal+ - Unité la Fabrique sous la direction de Bruno Gaccio.
Produit par Gilles Galud
Ecrit et réalisé par Emmanuel Sapolsky
Avec Stéphan Guérin-Tillie (Etienne Müller), Xin Wang (Lu Ming Chen), Ariane Wang (Mei Chen), Boramy Toulong (Lin Chen), Anthony Kavanagh (Maxime Leroy), Sifan Shao (Tony Chen), Frederic Siuen (James Wang), Corinne Yam (Kim Tranh)