PIERRE [41]
40 ans, toujours vivant
Par Dominique Montay • 21 janvier 2009
Nouvelle Trilogie 2. Pas encore obligés de fournir exclusivement des comédies, Gilles Galud et Bruno Gaccio mettent en chantier Pierre 41, histoire mêlant science-fiction et fantastique ambitieuse avec un mode de narration rare : le faux documentaire.

Alain Delaunay est un homme de 78 ans qui a passé sa vie à chercher son père, Pierre. Au-delà de la volonté de retrouver son géniteur, Alain est surtout curieux de comprendre pourquoi son père ne vieillit pas. Pierre, sur tous les documents qui gardent traces de sa vie, photos, films, a toujours 40 ans.

Une équipe de journalistes s’est mis en tête de percer le secret de Pierre Delaunay, apparu sur une photo au début du siècle, puis une série de films tournés par ses soins en 1928. Avec toujours le même visage. Parti en 1942 du domicile familial alors que son fils Alain n’avait que 13 ans, il part à New York pour devenir quincailler. Alain le suit et filme tout ce qu’il peut, amassant une quantité ahurissante d’images de son père, qu’il ne cherchera jamais à confronter dans cette période. Un père qui semble vivre en marge du reste du monde et pour cause. Il ne peut pas mourir et donc s’attacher trop longtemps, s’investir dans des relations humaines. C’est en tout cas l’histoire que raconte Alain, sans réelle preuve.

Intriguant. Cette histoire d’homme qui ne vieillit pas et qu’on ne croise que par procuration est à la fois fascinante, dérangeante et fait parfois dresser les poils de l’avant bras. Le point fort de « Pierre 41 » est d’abord dans la justesse de ces documents d’époque. Les films tournés au 8mm, les photos retouchées, les vidéos en couleur, tout respire l’authenticité et on ne peut que s’incliner devant la maestria avec laquelle ces images se succèdent, illustrées par un musique qui joue allégrement avec le malaise que procurent ces documents.

Un vrai-faux documentaire

« Pierre 41 », en plus de suivre le destin incroyable de son personnage principal, enchaîne les témoignages de scientifiques, de témoins, mais aussi de personnalités politiques. Claude Allègre et Bernard Kouchner (qui s’avère être un excellent comédien, ce qui n’a pas dû manquer d’amuser les auteurs des guignols) apportent en effet leurs caméos, plutôt bien intégrés au récit. Ceux de Claude Allègre et des scientifiques sonnent très justes, et semblent même, pour certains, être de vrais témoignages. Ce n’est pas le cas, mais ça ne se sent pas trop, de Bernard Kouchner. Ca l’est hélàs, de Georges Ser, l’interprête d’Alain Delaunay, qui joue trop pour sembler naturel. Ses interventions n’épousent pas les codes des intervenants de documentaires, ce qui met en décalage par rapport à l’aspect recherché de "faire vrai".

C’est un peu le point faible de cette oeuvre inclassable. L’art du faux documentaire, c’est de donner l’impression qu’il est vrai. Hélàs, qu’il s’agisse de la voix off du narrateur ou d’Alain, certaines de leurs interventions nous rapellent la nature 100% fictionnelle de l’histoire. Restent ces images, entêtantes, prenantes. Cette façon d’aborder la vie d’un homme mystérieux, de loin, avec juste une série d’images, dont certaines frôlent l’expressionnisme pur, presque toutes muettes intriguent autant qu’elles terrifient. En ça, « Pierre 41 » utilise bien les codes des documentaires sur-dramatisés qui relatent des affaires policières. Ce silence, ce malaise, on vient même à le regretter quand Pierre Delaunay parle pour la première fois. Il perd de sa magie, de sa mystique, de son côté surréél. C’était, malgré tout, inévitable à partir du moment où le personnage côtoie des époques où la technologie permettent de filmer aussi le son sur l’image.

Un destin longue-durée

Début du siècle en France, années 60 aux Etats-Unis, 70 en Argentine... puis retour en France. 130 ans au compteur, d’après l’évaluation des journalistes. Voilà le destin de ce Pierre Delaunay. Destin qui nous mène à un dénouement assez étrange. D’un coup, la fiction relate une histoire d’amour terminée de façon dramatique. Pierre ne s’en remet pas et sombre dans la solitude, se filmant à longueur de temps, ne parlant que très peu à la caméra. (Doù vient, d’ailleurs, cette fascination de Pierre d’être filmé, de garder une trace de lui ? Qu’il filme les autres, afin de les figer comme lui l’est dans le temps peut s’expliquer. A moins qu’il ne cherche, par cet acte, à ne pas sombrer dans la folie, à garder la conscience de son état et ne pas finir par en douter.) Cette histoire d’amour a du mal à toucher tant jusqu’ici l’aspect iréél de Pierre empêche tout attachement. A trop jouer de la distance au début, l’immersion dans le voyeurisme et l’affect ne foctionne qu’à moitié au final, et ce même si les auteurs appuient fort sur la fascination de Pierre pour cette femme. Peut-être un peu trop, d’ailleurs.

Le final est ouvert et n’offre aucune réelle conclusion ni explication. Elle n’aurait, de toute façon, pas été satisfaisante. Plonger dans le fantastique pur en faisant de lui un être mythologique, ou dans la science fiction en en faisant une anomalie de la science, chaque piste aurait déçu, quoi qu’il arrive. Les journalistes n’ont pas réussi à percer le secret de Pierre, juste à égratigner la surface. Au tour des américains de s’y pencher.

Peter Forty-One

Dans notre entretien avec lui, Gilles Galud nous a parlé de l’intérêt des américains pour plusieurs de ses séries, dont « Pierre 41 ». Si le statut immortel (ou plutôt immuable, terme rabâché dans la fiction) de Pierre lui permet d’être le parfait témoin de l’histoire des Etats Unis, on est en droit de se demander sous quelle forme peut être adapté « Pierre 41 ». Le faux documentaire aurait un intérêt narratif certain, même s’il semble condamné sur le long terme. Passer Pierre en rôle principal, perdant la distance, semble par contre sans intérêt particulier, le concept en perdrait de sa saveur. Gilles Galud semblait confiant, enthousiaste face aux propositions narratives de ses interlocuteurs. Et si ce bon téléfilm français devenait une grande fresque américaine au rythme narratif jamais exploité ? Ca permettrait d’évacuer des conversations l’habituel "de toute façon, la fiction française ne s’exporte pas", ou encore de montrer la voie aux autres boîtes de productions.

On a le droit d’y croire

Post Scriptum

« Pierre 41 »
6x13 minutes.
La Parisienne d’image / Canal+ - Unité la Fabrique sous la direction de Bruno Gaccio.
Produit par Gilles Galud
Ecrit et Réalisé par Jimmy Halfon et Tristan Séquéla
Avec Regis Royer (Pierre Delaunay), Georges Ser (Alain Delaunay)