TURBULENCES
Ch-ch-ch-ch-changes (David Bowie)
Par Dominique Montay • 12 janvier 2009
Nouvelle Trilogie 1. Une comédie, une série animée, un thriller. C’est comme ça que ça fonctionnait et Turbulences, la série dont nous parleront aujourd’hui s’inscrit dans la troisième catégorie. Pourquoi celle-là plutôt que les autres ? Parce que sur le papier, une fiction tournée en 6 plans-séquences de 13 minutes avec une personnage principal bègue, ça excite la curiosité.

Clovis Flabert (Michael Abiteboul) est agent d’entretien dans un aéroport. Il est roux, plutôt grassouillet et bègue. Et en plus, c’est un écrivain raté. Sa vie n’est qu’une longue suite d’humiliations (son chefaillon, la fille qu’il aime et qui ne l’aime pas, ses collègues...) faite de rituels et autres habitudes. Dont celle d’écrire son roman d’espionnage dans le carré VIP de l’aéroport sapé comme ado attardé accro à « Worlds of Warcraft ».

Smoking / No Smoking

C’est dans ce carré VIP que la vie de Clovis va basculer. Il rencontre un ancien copain de classe devenu avocat pour maisons d’éditions. Le copain doit se rendre le jour-même à un cocktail rempli d’auteurs, d’agents et d’éditeurs. Clovis ment, se fait passer pour un auteur. Première transgression à sa vie rangée et sage. Rapidement suivie par une seconde : le vol de l’invitation de l’ami avocat. Ce changement de philosophie du personnage de Clovis n’est absolument pas prémédité, mais est une réaction directe à une chaîne d’évènement qui l’ont vu être humilié par son chef de service, un abruti gagné par les sirènes du pouvoir (très faible au demeurant), par des collègues tout aussi bas de plafond, et enfin par cet ancien camarde d’école, qui fit comme erreur, plutôt que de passer son chemin et laisser Clovis tranquille, de lui rappeler ses humiliations d’enfances. L’habituel schéma du maltraité revanchard qui veut écraser ses anciens tortionnaires mentaux en affichant sa réussite. L’avocat s’en va, laissant Clovis avec son invit. Mais Clovis ne peut pas aller au cocktail. Il n’a pas de smoking.

On suit donc le parcours initiatique de Clovis, partant de son statut de brimé sans avenir, se dirigeant vers un destin plus lumineux et exposé. La progression est graduelle, et au final la fiction cède assez peu aux raccourcis scénaristique (excepté peut-être au terme de l’épisode 3 quand Clovis décide de suivre Asia, une pseudo-agent artistique). On sent la réelle envie de s’en sortir de Clovis, et surtout l’urgence dans laquelle il la vit. Clovis en a marre. Quand on s’arrête sur lui, c’est 30 ans d’humiliations et de frustrations (dont 8 de sexuelles) qui se sont accumulées. Il a forcemment envie que ça bouge, que ça change, et vite, quitte a prendre des raccourcis qui trahissent un mode de vie jusqu’ici respectueux des règles. Hormis l’avarice, la paresse et la luxure (désolé, pas de chance pour Clovis), les autres pêchés capitaux s’enchaînent à vitesse grand V. Clovis le reconnaît d’ailleurs lui-même, à la fin de l’histoire.

Entre deux mondes

« Turbulences » est la fiction parfaite pour le format de l’époque de la nouvelle trilogie. Elle ne s’inscrit pas dans une logique de série télévisée ouverte, puisque son histoire est close. Elle ne s’inscrit pas réellement non plus dans un créneau long métrage, au vu de son parti-pris de réalisation. Ces six plans séquences auraient-ils été mieux mis en valeur de façon bouclée, dans une salle de cinéma ? Si chaque portion est filmée (forcemment) en temps réel, Turbulences se permet quelques ellipses narratives entre les segments, permettant d’aborder plusieurs lieux de tournages différents, et même certains genres différents, donnant l’impression de toucher plusieurs univers. Les deux premiers, dans l’aéroport, sont un drame humain pathétique. Le troisième, au cocktail, et dans la même mouvance mais reste moins facile à cibler tant il est irrationnel, nous y reviendrons. Le quatrième, dans une chambre d’hotel, saupoudre de vaudeville une situation très « Fenêtre sur Cours ». Le cinquième, dans la cuisine de l’hotel, est chargé de suspence dans une ambiance de huis clos. Le sixième est une mise à nu faussée du personnage principal (la scène, consciemment ou inconsciemment a une logique inversée de la scène du café-théâtre des « Affranchis » de Scorcese, qui partait des cuisines pour arriver sur une scène avec un comique qui assénait un traditionnel "Take my wife, please -que quelqu’un me débarasse de ma femme, s’il vous plait". On démarre ici sur une blague foireuse d’un animateur de soirée pour revenir sur les cuisines et sur nos personnages principaux). Le dernier segment est aussi le seul à transgresser la règle des 6 plans-séquences (et ce même si la transition se fait dans un mouvement de caméra), pour nous offrir un épilogue.

La réalisation est habile et assez virtuose. Le tournage à la steadycam offrant cette sensation inégalable de fluidité. La photo est très travaillée, peut-être un peu trop, surtout quand la caméra numérique haute définition utilisée sur le tournage doit gérer les lumières du jour. On se retrouve alors dans des compositions de plans où le personnage qui parle est recouvert d’une ombre qui lui cache le visage. On se demande parfois si cet étalonnage extrême était toujours assumé ou forcé par les circonstances (dantesques) de tournage. 9 jours, 6 segments à tourner d’un bloc, nécessitant entre 15 e 16 prises par plan, sachant qu’à la première erreur, il faut recommencer. Gros coup de chapeau à toute la production sur ce coup-là, d’avoir tenté dès leur première année de fonctionnement de se lancer dans une telle entreprise.

Le verre brisé

Les segments sont inégaux dans leur intérêt, le troisième étant celui qui décontenance le plus, et pour cause. 14è prise, tout le monde est crevé, le steadycamer en est à sa 14è montée d’escaliers avec un arrimage de 30 kilos. 4 minutes sont déjà filmées et au milieu d’une phrase d’Asia, la pseudo agente, un verre tombe et se brise. Pas prévu. Fleur, l’interprête d’Asia, avec beaucoup de professionnalisme et de culot, improvise sur la situation, et enchaîne avec son texte. Mais se perd un peu. Puis le retouve... ce "moment de vérité", le réalisateur Nicolas Hourès en est fan, la prod aussi. Mais cet évènement, si impressionnant soit-il, jette la scène dans une confusion verbale qui ne la sert pas forcemment. Le quatrième segment est quant à lui le plus fort, donnant véritablement vie au suspence et à l’intensité, en plus d’offrir la résolution de l’histoire. Une belle gestion de l’action, du non-vu, du montré, et une excellente nouvelle : la quasi-disparition d’une trop présente et trop explicative voix-off qui plombe un peu certains moments de l’histoire. Quand elle traduit les pensées de Clovis, elle est plaisante et utile. Lorsqu’elle se contente de commenter, elle est lourde et malvenue. Son intérêt principal, cependant, est de nous montrer le personnage tel qu’il est réellement : intelligent, alors que son bégaiment le fait passer pour un imbécile attardé.

Une bonne histoire, plutôt bien rythmée, pas plombée par son concept de base, au contraire, galvanisée par les plans séquences, mais aussi d’excellents comédiens, Michael Abiteboul en tête. Il enveloppe le rôle de sa présence, lui conférant un charisme imposant, aussi bon dans ses tentatives de dialogue avec les autres que lorsqu’il se replie sur lui-même. Fleur Abot est Asia Moreno, personnage plus compliqué à cerner de part sa mise en avant cahotique du segment 3, mais dont le nom de personnage se rapprochant tellement d’Asia Argento qu’on ne peut qu’imaginer que les auteurs avaient en tête une personnalité sulfureuse. Et Fleur s’en sort plutôt bien, chargée à l’alcool au départ, se saoûlant de ses propres paroles ensuite, pour enfin désaoûler d’un coup lorsque le drame la frappe en plein visage.

« Turbulences » est à voir, une vraie belle fiction qui fait regretter un peu que la Nouvelle Trilogie ne s’axe plus que sur les comédies.

Post Scriptum

« Turbulences »
6x13 minutes.
La Parisienne d’image / Canal+ - Unité la Fabrique sous la direction de Bruno Gaccio.
Produit par Gilles Galud
Ecrit par Nicolas Hourès et Virginie Boy
Réalisé par Nicolas Hourès
Avec Michaël Abiteboul (Clovis Flabert), Fleur Abot (Asia Moreno), Francis Leplay (Pierre Tisserant).