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1.01 - Bad News

The Kiss of Death

Mauvaises Nouvelles

jeudi 25 novembre 2004, par Alexxx

C’est ma toute toute, première fois et c’est pas ce que vous pensez, enfin peut-être...

Oui, je suis en retard, je sais, pas besoin de me le dire, mais franchement, je n’allais tout de même pas manquer de respect à cette tradition toute FLTienne, elle est culte, inventée par Oz en même temps ou presque que l’association , à la LTE et au FLT en général, le retard c’est la norme, et ça se travaille en plus, à coup d’excuses plus au moins bidons (mon chien a bouffé ma critique, je suis mort(e) mais je ressuscite dans 8 jours etc.....), bref c’est tout un art dans lequel certains d’entre nous excellent si brillamment qu’il vaut mieux ne pas en parler pour ne pas faire de jaloux. Pour résumer et pour reprendre la sainte parole d’Oz « Vive le retard et les rédactions sur la plage ! »

Etant donné que je suis crevée, vous échapperez, pour le moment, au récit de ma vie, de mes exploits et de mon ego, on enchaîne donc directement sur la critique de l’ épisode n° 1 de la série.

Allez un petit résumé des événements, ensuite nous nous attarderons sur quelques scènes. L’épisode en lui-même porte bien son nom, les personnages découvrent l’un après l’autre des mauvaises nouvelles. A la sortie de l’enterrement de sa grand-mère Lou apprend que l’homme de sa vie Prior est atteint du SIDA et se dirige donc lui aussi vers une mort certaine. Paniqué, Lou essaie de se maîtriser et de ne pas fuir cette situation qui le submerge. La maladie de Prior progresse vite mais il fait, tout au long de l’épisode, son possible pour épargner Lou.
Parallèlement Joe apprend qu’il va être promu au Ministère de la Justice par son mentor l’avocat affairiste et véreux Roy Cohn. Ravi, Joe rentre soumettre cette proposition à sa femme Harper, mais cette dernière, prisonnière de ses peurs enfantines et de ses hallucinations refuse tout net la chance qui est offerte à son époux.

A partir de là les relations dans les 2 couples se dégradent, la peur de Lou prend le dessus dans sa relation amoureuse. Une rencontre fortuite avec Joe sera le début d’une amitié entre les deux hommes, un refuge pour Lou et un début de questionnement identitaire pour Joe Pitt.
D’une façon beaucoup plus originale, Prior et Harper se rencontreront eux aussi, au cours d’un rêve/hallucination commun. Lors de cette intermède lyrique et onirique, Harper redonne l’espoir à Prior, la maladie ne peut pas l’atteindre complètement, une part de lui est intacte, peu importe sa gravité. Prior n’apporte pas l’espoir à Harper, mais la vérité, une vérité qui la blesse mais la libère aussi, Joe est homosexuel, désormais elle le sait. Le rêve médicalisé se termine sur le plafond ouvert, la lumière qui descend des cieux, une plume flottant dans l’air et une voix sussurrant « Prepare the way ».

La dernière partie de l ‘épisode se concentre alors sur les conséquences de ces révélations.
Lucide (pour une fois..), Harper confronte son époux qui renie sa vraie personnalité, et elle, rend compte, peu à peu, que ses problèmes de couples ne sont pas dus à ses hallucinations mais aux mensonges qu’ils se font mutuellement sur l’autre et sur eux-mêmes.
De son côté, devant la progression de sa maladie, le mental de Prior s ‘effrite au même rythme que ses forces physiques, il a besoin du soutien de Lou, mais plus que jamais ce dernier est incapable de le lui procurer. Prior étant plus dépendant de son besoin de Lou que de son besoin de soutien, il cache encore son désarroi par une certaine désinvolture face à sa maladie.
Ces deux dernières scènes sur nos couples se déroulent en parallèle avec le check-up médical de Roy Cohn, lui aussi est homosexuel et atteint du SIDA . Mais il refuse que cela se sache, c’est une question de pouvoir. Selon lui, sa maladie n’est pas déterminée par ses symptômes mais par la personne qu’il est, un homme de pouvoir. La tromperie à son plus haut niveau, l’hypocrisie et le trafic d’influence en chair et en os, car sous ses apparences d’agneau Roy est un prédateur féroce et affamé qui refuse de montrer ses faiblesses sous peine d’être achevé avant l’heure.
Voilà, c’est résumé ! Après ce petit topo, on passe à la phase analyse et détails en tout genre, évidemment je ne vais pas vous faire tout l’épisode, se serait bien trop long, donc je me concentrerais sur la manière dont vous sont introduits les personnages dans la première partie de l’épisode, puis sur la scène d’hallucination Prior/Harper mais commençons donc par le commencement et entamons cette analyse par le générique de début.

Gaïa ou le principe Générique et créateur

Bien évidemment cet épisode commence par un générique, vous me direz, « la belle affaire, tous les épisodes de toutes les séries ou presque commence par un générique », oui mais, si on y prête bien attention, ce dernier n’est pas si anodin que cela. D’ailleurs, aucun ne l’est puisque leur fonction est avant tout de nous plonger dans un univers, néanmoins, celui-ci est particulier . Accompagné par une musique poétique, le paysage du générique oscille entre Terre et Cieux, une belle métaphore à l’histoire et à l’homme, qui lui aussi, oscille entre ces deux univers.
Mais il est aussi beaucoup plus subtil, car par 4 fois, nous plongeons sur Terre, 4 fois pour 4 villes, et pour les 4 points cardinaux qu’elles reprennent sur la carte des Etats-Unis, une façon détournée de nous dire que même si la trame de la série se passe à New-York, elle concerne tout les Etats-Unis, le monde dans son ensemble , et le regard effrayé que nous jette l’ange en toute fin de générique, n’est pas là pour nous rassurer.
Vous voilà donc devant un générique qui ne fait pas qu’évoquer l’univers de la série, mais qui le porte à un niveau supérieur, en nous pointant le fait que les enjeux discutés ici dépassent le contexte de nos personnages. Rien que cela devrait nous prouver la valeur de cette série, car il nous incite à voir plus loin que le bout de notre nez en matière d’images (un des buts du FLT, je vous le rappelle )

Les Moires et Déboires

La grande intelligence de cet épisode tient en partie à la description qu’il fait de la vie, à l’imitation de l’insoutenable légèreté de l’être, ses petites touches d’humour qui font jour, même en pleine détresse. L’humour en filigrane du drame comme ingrédient relationnel entre le téléspectateurs et la série. Bien sûr, sous cette couche d’humanisme , s’en trouve aussi une autre, la description de la société américaine, ses travers et ses qualités, de l’individu au groupe, de l’unique au général.

L’exemple même étant la première scène, l’enterrement de la grand-mère de Lou. La mort s’infiltre dans la série dès les premières secondes de son existence. Là où cette scène aurait pu être triste, ennuyeuse, ou larmoyante, elle est drôle et intelligente, mais surtout, littéralement portée par une épatante Meryl Streep qui joue le rôle de ce formidable petit rabbin (sic !). Rabbin qui profitera de l’oraison funèbre pour nous brosser un portrait de l’Amérique et de ses communautés.
L’Amérique, ce grand Melting Pot où rien ne se mélange, un gigantesque puzzle fait de pièces venant originellement d’autres puzzles et qui tentent désespérément de former un tout, sans pour autant vouloir sacrifier sa découpe initiale, une lutte existant à tous les niveaux, au niveau de la cellule familiale, communautaire, politique et national. Comment mieux planter le décor que cela, en quelques minutes les questions d’identité sont posées à tous les niveaux.
Cette scène est aussi l’occasion de nous présenter visuellement Prior et Lou, et là aussi les détails sont foisons et nous présentent de façon naturelle et imagée leur caractère via une pléthore de petits gestes insignifiants mais révélateurs .
Lou est légèrement recroquevillé sur lui-même, en retrait lors de la cérémonie religieuse aussi bien physiquement que mentalement, mal à l’aise, les mains dans ses poches, il se cache. Lorsqu’il parle, un flot incontrôlé sort de sa bouche, sans respiration, une façon pour Lou d’occuper son esprit, Lou est cérébral, trop même, il noie une partie de sa personne son cœur, dans une autre son esprit. Lou n’a pas confiance en lui, il bégaye et bute sur lui-même. A l’opposé , Prior se tient droit, les bras et les mains enserrant son amant , il parle avec assurance et calme, il se dégage de Prior une certaine noblesse, la noblesse de ceux qui savent qui ils sont, et qui sont prêt à le faire partager aux autres.
Ces 2 caractères s’exprimeront verbalement lorsque Prior , mis au pied du mur par la visibilité de ses symptômes , avouera à Lou sa maladie et sa prochaine mort. Assommé par la nouvelle et la peur qu’elle suscite en lui, Louis sera incapable de faire une phrase cohérente. Prior est touchant dans sa volonté de protéger et de consoler son amant. Prior nous montre qu’il n’a qu’une faiblesse et qu’un seul trésor et par peur de le perdre, il lui a caché la vérité. Et Lou n’aura qu’une réaction, il partira mettre en terre sa grand-mère, laissant Prior seul .

De son côté, Joe a rendez-vous avec Roy Cohn, là aussi cette scène nous livre son lot d’éléments sur les personnages qui la composent et en plus, elle introduit certains autres thèmes de la série. Avec les gros plans sur la décoration du bureau de Roy, nous voyons apparaître la vie d’un homme de pouvoir qui côtoie les grands de ce monde et de la politique, un gros plan nous fait découvrir la Une du New York Times du 29 mars 1951 annonçant la condamnation des époux Rosenberg, le point d’orgue de la folie du maccartisme. Les trophées de cet homme sont nombreux , prestigieux et il veut qu’on le sache. Joe est en territoire étranger ici, il ressemble à une proie dans la taverne d’un prédateur. Face à face, Roy , l’homme virevoltant avec son téléphone, s’asseyant à sa guise, épicurien qui goûte à tout y compris au sandwich qu’il offre à son hôte ! (plus malpoli, tu meurs) et Joe est le petit rouage dans la grande machine, l’homme assis droit comme un piquet sur son siège, tiré à 4 épingles, moralisateur et rigide aussi bien physiquement que mentalement. Pourtant ces deux là s’apprécient, et Joe admire profondément Roy, la légende du barreau tandis que Roy apprécie Joe, parce que Joe l’aime, et qu’il peut lui être utile(c’est ça l’amûûûûûûre) . Mr Cohn propose alors à Mr Pitt, un poste au ministère de la Justice à Washington , une énorme promotion pour notre petit clerc de justice.

Une perspective de bonheur s’ouvre à Joe alors que celle de Prior vient de s’assombrir.....

Pourtant la vie de Joe est loin d’être facile, il vit avec Harper, sa femme dépressive et droguée au Valium en permanence ou presque. Harper vit dans un monde imaginaire, elle conserve des peurs enfantines, celui de l’homme au couteau, la fin du monde, le trou dans la couche d’ozone ; seul ses hallucinations lui procurent un réconfort suffisant, voilà pourquoi Harper passe tant de temps avec le fabuleux Mr Lies. Lorsque Joe rentre pour annoncer la bonne nouvelle de sa promotion à Harper, il commence par passer derrière sa femme comme un adulte passerait derrière un enfant, en fermant le frigo, le four et les tiroirs, toutes ses choses laissées en plan par Harper. Mais elle refuse de partir, prise d’une peur panique de devoir vivre dans un nouvel univers, elle qui, 4 années après leur arrivée à NY, n’a toujours pas fini déballer les cartons et de peindre leur chambre. Un couple comme un autre, mais mormon, un couple coincé entre ses croyances et ses failles.

Après cette première partie d’épisode, d’ores et déjà, la série brille par son réalisme, celui des émotions jouées par les acteurs, par les situations qui, bien que fictives, s’enracinent dans une vérité historique avec Roy Cohn et la pandémie du SIDA dans le milieu gay de la deuxième moitié des années 1980. Métaphores et réflexions est déjà très présentes alors même que ce ne sont que les 20 premières minutes de la série. Et surtout, il y a ces petites notes d’humour qui saupoudrent le drame avec par exemple, cette réplique culte de Prior à Lou : « If I hadn’t spent the last 4 years fellating you, I’d swear you were straight », ces petits éclats de diamants qui brillent dans la nuit à la moindre étincelle de lumière, le propre de l’homme, son inconstance, sa capacité à faire feu de tout bois et à rire pendant son malheur.

Que dire.... c’est génial........ quoi je suis pas objective ???

Et bien voilà, désormais vous ne regarderez plus jamais les premières images de vos héros de la même façon, vous chercherez la petite bête comme je le fais moi, en bonne chieuse de première classe (j’insiste sur le 1ère classe). Ah c’est si bon d’être ainsi, oups mon ego reprends le dessus, Va coucher Ego !!!!


Morphines et Morphée

Dans la deuxième partie de l ‘épisode, les conséquences de ces scènes commencent à faire leur travail de destruction sur les 2 couples. Lou est rongé par la peur, on le verra lors de sa confrontation avec notre petit rabbin et j’espère que vous aurez tous noté la présence d’un incinérateur , note funèbre et tristement historique, derrière le cimetière juif . Prior est conscient de la faiblesse de Lou et il fait tout son possible pour le protéger mais sa volonté faiblit , il ne peut plus supporter de cacher sa souffrance et de ne pas demander à Lou ,le soutien que pourtant il est en droit d’avoir mais que Lou est incapable de lui donner.

Harper et Joe ne sont pas mieux, là aussi la cohésion de leur couple se déchire devant nos yeux. Joe est optimiste sur le futur, Harper croit en la fin du monde, difficile de faire plus éloigné l’un de l’autre. L’incompréhension n’est pas un mince mot dans leur cas.
Chacun des deux couples sent sa fin venir et lutte contre cette dernière, contre eux même, la fracture est présente, mais aucun ne sait encore si elle se comblera un jour.

Reprenons le cours de notre petite analyse et passons à ce qui est certainement ma scène favorite de tout l’épisode, la rencontre hallucinatoire entre Prior et Harper. Esthétiquement travaillé et formidablement touchante, j’adore......

Tout d’abord nous avons ce parallèle dans la prise des médicaments, même verre, même regard de désespoir en face des cachets mais tandis qu’Harper lutte pour diminuer les doses, Prior lutte pour pouvoir avaler la bonne poignée de cachets qui lui sont prescrits. Les deux pôles d’une dépendance, Harper en dépendant mentalement alors que Prior fait face à une dépendance physique.

Prior est le premier à plonger dans sa psyché, il marche dans un couloir aux chandeliers composés de bras tenant les bougeoirs, et où les sculptures sont vivantes. Le tout en noir et blanc afin de rendre un hommage à la « Belle et la Bête » de Jean Cocteau, magnifique métaphore de la double nature humaine et la quête identitaire .
Toujours est-il que c’est beau à voir et à entendre, les couleurs reviendront à l’image pour changer d’époque, avec un Prior habillé en pin-up des sixties qui réclame la vie, la beauté et la grâce avant de réaliser, avec poésie et amertume, que ces trois choses lui sont volées par la maladie que son propre sang propage à l’intérieur de son corps. Il doit faire face à ses illusions, il n’est ni une femme, ni en bonne santé, au plus bas de lui même....
Mais voilà qu’intervient la princesse Harper, qui, bien qu’enchantée par l’environnement qu’elle découvre , déprime bien vite, déçue par les limitations de son imaginaire et l’impossible transgression de ces dernières. Elle sait que même en rêve, elle reste prisonnière de la réalité, la matrice rigide de son imagination. Tous les deux se rencontrent et s’offrent ce dont ils ont le plus besoin, Harper redonne espoir à Prior, et Prior déchire le voile qui empêchait Harper de voir la vie et la réalité des choses qui l’entourent. Pour la première fois d Harper éprouvera le besoin de retourner au réel et laissera seul notre héros pour qu’il assiste à la première intervention de l’Ange.
Cette scène est l’élixir de cet épisode, des références culturelles, une mise en scène et en lumière.... belle, une musique qui nous transmet les émotions des protagonistes, le début du mystère, de la philosophie et des répliques cultes tel que :

“In my church, we don’t believe in homosexual”
“Darling, in mine, we don’t believe in Mormons”

et surtout le plus belle :

“I usuallly say : “Fuck the truth”, but mostly the truth fucks you”

Ahlalalala, comment la deuxième partie de nos couples peut elle rivaliser avec ça, et pourtant. Joe et Lou se rencontrent dans « la scène des toilettes ». Cet échange de quiproquo à mots couverts, en plus d’être très drôle pour nous téléspectateurs, permet à notre apollon mormon de se rendre compte qu’en dépit de tout ses efforts, il ne peut occulter complètement sa véritable personnalité tout en faisant sortir Lou de la bulle de souffrance où il se trouvait.

Dans ce milieu d ‘épisode, nos 4 héros reprennent leur souffle et le dessus dans leur existence, chacun sort plus proche de sa vérité qu’il ne l’était avant. La fin de l’épisode sera consacrée à l’entrée en jeu de Roy Cohn et aux conséquences des découvertes que nos protagonistes ont fait sur eux-mêmes, ou les obstacles qui les attendent dans le prochain épisode.

Voilà donc venir la fin de cette critique et je tenais à vous remercier pour votre patience, en même temps vous avez l’habitude avec nous, n’est-ce pas !

Ah oui , avant de se quitter, un peu de culture avec les définitions des dieux grecs qui composent mes titres :

Gaïa : déesse identifiée à la Terre-Mère, elle est l’origine de toutes les autres divinités grecques tel Ouranos( le ciel étoilé) avec lequel elle engendra les Titans et les Cyclopes etc....

Les Moires : trois déesses sœurs, Clotho qui tenait le rouet, Lachésis, qui tirait le fil et Atropos, qui le coupait au plus court. Elles filent la destinée des humains.

Morphée : divinité présidant aux rêves, fils d’Hypnos (le sommeil) et de Nyx (la nuit), il est chargé d’endormir les humains


Un épisode que certains jugeront long, mais il n’en est rien lorsqu’on s’attarde à la multitude de métaphores, réflexions et autres qui jalonnent ce premier épisode. En tout cas, il remplit bien son office, nous présente clairement les personnages et leur environnement, tout en amorçant la trame de l’histoire. Et puis surtout..Bonne Année 2005 à tout le monde