REPORTERS - Saison 1 • DOSSIER « REPORTERS »
Une série nouvelle génération ?
Par Sullivan Le Postec • 2 juillet 2007
Capa Drama - Canal +
Saison 1 — 8 épisodes
Première diffusion en mai 2007
Une série créée par Olivier Kohn ; avec Alban Guitteny et la collaboration de Séverine Bosschem, et Jean-Luc Estèbe
Avec : Jérôme Robart, Anne Coesens, Patrick Bouchitey, Didier Bezace, Christine Boisson, Aïssatou Diop.

Cette critique se destine à ceux qui ont déjà vu la série.

Au terme de la première saison, quand l’écran vire au noir et que déroule le générique de fin, « Reporters » [1] laisse son téléspectateur avec des sentiments multiples. Parmi eux, a satisfaction devant le tout cohérent formé par ces huit épisodes, la frustration, aussi, devant les pistes passionnantes ouvertes vers la seconde saison. C’est dans ce paradoxe, et dans le plaisir pris à regarder chaque épisode, que se mesure l’impact de la série. « Reporters » est, à nos yeux, la meilleure série française qu’on ait vu depuis longtemps. Peut-être la meilleure série française produite depuis le milieu des années 80 et l’ère de la privatisation.
Le problème, quand on écrit une critique, c’est que quand on a écrit ça, on n’a encore rien dit...

Pourquoi « Reporters » réussit-elle là où la plupart des séries françaises de ces dernières années furent, à quelques exceptions près, au mieux d’intéressantes tentatives ? C’est une question simple. Elle appelle de multiples réponses. Des réponses parfois elles-mêmes simples et tranchées, mais le plus souvent complexes et difficiles à définir avec précision.

Le succès de « Reporters » repose d’abord sur des fondamentaux. Une écriture brillante de bout en bout, une réalisation qui rend toujours justice au matériel écrit, et souvent le renforce, une distribution fantastique qui livre une interprétation magistrale. En deuxième lieu, cette réussite trouve sa source dans une attention constante aux détails, une volonté visiblement partagée par tous de tirer la série vers le haut.

L’incrédulité suspendue

On a beaucoup écrit dans la presse, à propos de « Reporters », que la série était réaliste, qu’on « y croyait ». Même ici, au Village, on n’y a pas vraiment échappé : de nombreuses questions que j’ai posées à Olivier Kohn portent sur cette notion du rapport au réel. Une fixation qui pourrait finir par passer pour un déni du caractère de fiction de « Reporters ». Je ne crois pas que cela soit le cas, car celui-ci est évident. La qualité de la construction dramaturgique et de la caractérisation des personnages, sur lesquelles nous reviendrons, sont bien trop fortes pour qu’on les oublie. En cela « Reporters » n’a aucun point commun avec le récent « Poison d’avril » de William Karel qui, lui, tenait effectivement de la fiction-docu.
En fait, derrière ce retour constant au motif du réalisme, c’est quelque chose d’autre qui se cache, et l’une des premières différences majeures que l’on parvient à définir entre « Reporters » et l’essentiel des autres séries françaises. Ce que toutes ces remarques disent, en creux, c’est la surprise des spectateurs devant leur impression d’y croire. Et ils sont surpris parce que c’est quelque chose qui ne leur est quasi jamais arrivé devant une série française. C’est que l’attachement aux détails de « Reporters » est une chose rare. Olivier Kohn explique dans l’entretien qu’il a bien voulu nous accorder que la documentation qui a été faite pour la série n’a rien d’exceptionnelle, qu’il en aurait été ainsi quel que soit le milieu dans lequel elle se serait déroulée, et que tout cela lui semble normal. C’est bien évidemment parce qu’Olivier Kohn — et plus largement toute l’équipe de « Reporters » — procède de cet état d’esprit que la série est si bonne. Parce que, objectivement, ramené à l’échelle des séries françaises, ce souci de documentation n’a rien de « normal », c’est à dire qu’il n’est en rien la norme. Les séries françaises, de fait, sont plutôt un monde à part où des flics octogénaires mènent l’enquête, où les même flics tiennent huit fois sur dix leur arme n’importe comment, où le respect des procédures légales en vigueur était jusqu’à une période très récente le cadet des soucis des auteurs, où, encore et pour sortir du genre policier, il est exceptionnel de voir une scène de boite de nuit qui ne soit pas à coté de la plaque — et l’on pourrait multiplier les exemples.
C’est là un des clivages fort avec la fiction américaine, où les tournages se font avec l’aide de moult conseillers techniques grâce auxquels les américains sont passés maîtres dans l’art de suspendre l’incrédulité de leurs spectateurs (ils parlent de suspension of disbelief). C’est à dire de leur faire adhérer à ce qu’ils voient à l’écran, de faire en sorte qu’ils « y croient ». On dit souvent, par exemple, que les français ne sauraient pas faire du fantastique ou de la science fiction — ce qui est une aberration : il existe en France de nombreux auteurs de talent qui officient dans ce genre, en littérature ou en bande dessinée, de même qu’il existe des studios de production d’effets spéciaux à la renommée mondiale. Que les fictions fantastiques françaises soient souvent complètement ratées ne doit rien au fantastique en lui-même, mais tout à ce manque d’attention aux détails qui provoque l’incapacité à suspendre l’incrédulité du public. Regarder une série française est souvent un exercice intellectuel étrange, qui demande que l’on accepte d’emblée de se situer dans une sorte de monde parallèle au notre. En conséquence, cette fiction là peut au mieux vaguement divertir, en aucun cas susciter une véritable adhésion.

Cohérence et rythme

Mais si « Reporters » ne faisait que cela, se contentait de reconstituer avec fidélité l’univers des journalistes, elle n’aurait sans doute pas passionné grand monde. Ce souci du détail, cette fidélité à ce qui fut observé pendant la phase de documentation n’est qu’un moyen au service d’une histoire, formidablement bien racontée, tant au niveau du scénario que visuellement.
Un des éléments marquant de la série est sa formidable cohérence alors même qu’elle mène de front une multitude d’éléments différents. Les six personnages principaux crédités au générique représentent en effet chacun une ligne forte, un univers. Schneider, c’est le journalisme d’investigation, les grandes enquêtes périlleuses, spectaculaires. Florence nous entraîne dans les intrigues de couloir feutrées de la politique au plus haut niveau de l’état. Michel Cayatte traque le fait divers, des « petites » affaires plus ou moins sordides qui révèlent une société malade. Elsa nous fait découvrir le parcours du débutant, le choc de l’ambition contre les réalités et les règles de déontologie ; dans la seconde partie de la seconde saison, elle nous montre aussi les coulisses de la face émergé de l’information, ces journalistes qu’on voit à l’antenne, que ce soit en duplex ou à la présentation du journal. Enfin Catherine Alfonsi et Albert Lehman portent chacun les intrigues liées au fonctionnement complexe de leurs rédactions, respectivement celles de la télé et de la presse quotidienne, et leurs rapports troubles avec le monde extérieur, particulièrement les pouvoirs politiques et d’argent. « Reporters » est aussi très forte quand il s’agit d’entrecroiser ces différents fils d’une manière qui semble toujours naturelle. Aucun personnage ou élément d’intrigue n’apparaît ainsi cloisonné, enfermé dans sa partie de l’histoire, comme c’est le risque de ce genre de concept et des ensemble larges.
La construction de chaque épisode est exemplaire : à chaque fois, on a envie de voir le suivant, et pourtant, comme le fait remarquer Claude Chelli, la série sait éviter les cliffhangers factices, pour mieux privilégier des suspenses au plus proche des personnages. A ce titre, la conclusion du troisième épisode est formidable. L’avant-dernière scène montre l’exécution de Jean-Paul Raustan, l’un des deux otages. On bascule en Bulgarie, où Schneider vient de passer la soirée à se saouler avec son contact. Il apprend la mort de son père. Handicapé comme souvent dans l’expression de ses sentiments, ce qui n’est que renforcé par son ébriété, Schneider se perd alors entre les rires et les larmes.

La réalisation, par le trio Suzanne Fenn, Ivan Strasburg et Gilles Bannier, réussit parfaitement son pari de nous plonger dans l’action, de nous immerger dans l’ambiance. Elle sait aussi nous ramener très près de l’intimité des personnages, en nous impliquant dans leurs tourments, par exemple lors de la scène de « rupture » entre Schneider et Florence dans la voiture de cette dernière (épisode 5), ou bien lors de celle entre cette même Florence et Christian Janssen (épisode 8).
Pour autant, j’admets au départ avoir ressenti une certaine lassitude face à la réalisation caméra à l’épaule, parce qu’il faut bien dire qu’il semble que la télé française n’offre plus que ce choix là, soit la réalisation plan plan, totalement impersonnelle, plan large d’introduction puis succession de champ contre-champs, soit la caméra à l’épaule. Cela dit, celle de « Reporters » est très ambitieuse, notamment dans la mise en place de plans séquences, et elle s’accompagne d’un vrai travail sur la lumière et les couleurs pour mettre en valeur les décors et positionner les différents univers. Un grief tout de même : les faux raccords dont abuse la série — dans ma bouche, il est moins question de non respect de la règle des 180° que mentionne Gilles Bannier que de ces moments nombreux où à l’occasion d’un changement de valeur de plan, on constate que les acteurs ont plus ou moins changé de position, etc. Cela provient peut-être en partie de l’entrecroisement au montage de différentes prises d’une scène en plans-séquence, toujours est-il que s’il est vrai que cela renforce le dynamisme visuel de la série, c’est parfois excessif et peut devenir très artificiel, ce qui va à contre-courant de la capacité de la série à nous immerger dans son univers.
Concernant la musique, j’ai découvert au second visionnage qu’elle était bien plus présente que ce que j’avais d’abord cru, se fondant très bien dans les scènes et la mise en place de la tension et du suspense (par exemple, lors de la scène où Florence apprend de Barlier la libération de Marie, où l’illustration musicale passe de la tension au soulagement, puis à nouveau à la tension quand pointe la pression de devoir boucler très rapidement, et dans le secret, une nouvelle version de l’édition du lendemain). La première fois, je n’ai pour ainsi dire remarqué — pas vraiment au bon sens de remarquer — que le thème lié à Schneider et au fil rouge, répétitif dans sa mélodie et son usage et qui avait finit par m’agacer un peu.

Une vraie profondeur psychologique

« Reporters » comporte une histoire principale qui s’étale sur les huit épisodes et qui, tout en étant parfaitement cohérente, se montre assez peu linéaire et mixe pas mal d’univers : la prise d’otage, le trafic d’armes, les batailles politiques. En parallèle, les épisodes développent des histoires indépendantes, qui correspondent à des enquêtes ou reportages plus courts. Dans cette abondance, la difficulté consiste à ne pas perdre de vue les personnages. Un pari que la série relève haut la main. En conséquence, « Reporters » est une série d’une grande densité, ce qui ne facilite pas l’exercice auquel cet article s’emploie.
Force nuances, publié au sein de ce dossier, dresse un portrait sommaire des personnages principaux de la série, et s’attache à montrer comment la série brosse à chacun d’eux une personnalité riche, à facettes, qui les rend attachant sans faire d’aucun d’eux des chevaliers blancs. Le tout en consommant très peu de temps d’antenne, c’est à dire en faisant très peu de soap — et quand elle en fait, c’est avec une subtilité exemplaire. A la fin du dernier épisode, la dernière scène d’Albert Lehman est d’une grande beauté. Juste avant de se suicider, il prétexte un besoin de feu pour allumer une cigarette pour s’offrir un moment d’intimité fugace et émouvant avec un jeune homme inconnu croisé sur le trottoir de ce pont.
La où les scénaristes sont très forts, aussi, c’est quand il s’agit d’attiser notre curiosité envers ces personnages, de laisser entrevoir des parts d’ombre, des éléments qu’on aimerait découvrir — les circonstances dans lesquelles Schneider et Catherine se sont connus et ont acquis leur respect mutuel, par exemple. Au-delà du suspense et des rebondissements, c’est aussi l’un des moyens par lesquels la série nous donne envie d’en voir plus. « Reporters » sait nous en apprendre sur ses personnages sans les faire tout déballer, tout verbaliser. Elle laisse toute leur place aux non-dits, au sous-texte.
Par ailleurs, elle ne néglige par ses personnages secondaires. En plus des six personnages principaux, ceux dont les acteurs sont crédités au générique, quelques autres qui n’ont pas moins d’épaisseur sont présents : Marie Montheiil, Christian Janssen, Sophie Kosinski et Nadia Slimani sont aussi fouillés que les précédents. D’autres encore composent un troisième plan, ceux qu’on a si souvent tendance à négliger. Fidèle à son goût du détail, la série convainc là aussi, et ces personnages, tel que Teissier, l’homme qui encadre les équipes de TV2F sous l’autorité de Catherine de manière détestable mais si authentique, participent à faire de « Reporters » quelque chose de profondément humain.

Confiance

Contrairement à l’essentiel de la production télévisée française, « Reporters » fait confiance à l’intelligence de ses spectateurs. Les intrigues avancent vite, et la série part du postulat que les informations transmises ont été intégrées. Elle ne perd pas de temps à se répéter sans fin, pas plus qu’elle n’encombre les acteurs avec ces monologues d’exposition si communs ici. Tout au plus remarque-t-on, en revoyant le premier épisode, quelques dialogues qui positionnent les personnages de façon un peu trop appuyée.
La même confiance se retrouve derrière la réalisation, qui se garde de trop appuyer, d’en faire trop, et derrière l’interprétation des acteurs, de haute volée. On avait rarement vu un ensemble aussi fort et homogène. Au début de la série, Aïssatou Diop donne le sentiment d’être un peu en dessous, mais c’est aussi la difficulté de son personnage, qui au départ subit beaucoup sans vraiment agir, qui se fait ressentir. Elle se révèle au fur et à mesure que son personnage s’affirme et évolue. Pour le reste, Jérôme Robart, Patrick Bouchitey, Didier Bezace et Anne Coesens délivrent des prestations qui tiennent du sans faute absolu.

Du sang neuf contre le formatage ?

Pour en revenir à la question qui ouvrait cet article, celle de savoir pourquoi « Reporters » réussit là où beaucoup d’autres séries se sont cassées les dents, un élément qui saute aux yeux, c’est le CV des créatifs à qui l’on doit la série. D’abord il y a le producteur Claude Chelli, lié à « Police District » et « Age Sensible » et donc à une fiction télévisée ambitieuse et très respectueuse vis à vis de son public. Quand à Olivier Kohn, il signe là ses premiers scénarios. Alban Guitteny, qui a beaucoup participé à la conception et l’écriture de la série n’a travaillé que pour le cinéma ou la série « Police District ». Ni Jean-Luc Estèbe, ni Séverine Bosschem, les deux autres scénaristes, ne sont pas non plus de vieux routiers ayant cumulé nombre d’épisodes de séries à héros-citoyent récurren. En ce qui concerne les réalisateurs, Suzanne Fenn a le parcours original qu’elle détaille dans l’entretien qu’elle nous a accordé, et réalise pour la première fois pour la télévision française. Gilles Bannier, lui, a longtemps été assistant réalisateur pour le cinéma et s’il est venu à la télévision, c’est avec « Age Sensible », qui ne fut pas exactement un espace de formatage.
Bref, aucun d’eux n’a été habitué à travailler pendant des années dans le cadre des moules imposés par les principales chaînes de télévision françaises. Par là, ce que fait « Reporters », c’est opposer un démenti formel au mythe selon lequel il n’y aurait personne, en France, pour faire de la série de qualité — un mythe sur lequel repose la politique de remake de TF1, Takis Candilis ayant expliqué à qui voulait l’attendre que ces copier-coller de scénarios avaient permis d’aller plus vite que de « former » des auteurs au 52’.
Ces scénaristes et réalisateurs existent. La seule chose qui apparaisse, c’est qu’on diminue très probablement ses chances de les trouver en cherchant parmi ceux qui ont signé de multiples « Navarro » ou « Julie Lescaut ».

Dernière mise à jour
le 31 mai 2009 à 23h47

Notes

[1CREDITS :
Scénarios : Olivier Kohn (Épisodes 1, 7 et épisode 8 en collaboration avec Alban Guitteny) ; Séverine Bosschem (Épisode 2) ; Jean-Luc Estèbe (Épisodes 3 et 6) ; Alban Guitteny (Episodes 4, 5 et épisode 8 en collaboration avec Olivier Kohn).
Réalisation : Suzanne Fenn et Ivan Strasburg (Épisodes 1 à 4) ; Gilles Bannier (Épisodes 5 à 8)