OLIVIER KOHN 2/2 — “Cette tonalité désespérée mais combative est proche de ce que ressentent les journalistes”
Rencontre avec le créateur et principal scénariste de "Reporters"
Par Sullivan Le Postec • 24 juin 2007
Dans cette seconde partie, Olivier Kohn s’attarde plus longuement sur les intrigues de la première saison. A réserver, donc, à ceux qui l’ont déjà vue...

Suite de l’entretien avec Olivier Kohn (première partie ici). A réserver cette fois à ceux qui ont déjà vu la pemière saison de la série.

Le Village : La fiction politique est quasi absente de la télévision française. Dans « Reporters », cet aspect est développé franchement, est-ce que cela a posé des difficultés ?

Olivier Kohn : Si vous voulez dire des problèmes de pressions de la part de la chaîne ou de la production, aucun. Par-contre, nous avons eu besoin de faire un gros travail de documentation pour traiter de manière crédible des thèmes comme le trafic d’armes ou la stratégie politique.

« Reporters » joue beaucoup de l’actualité récente, au travers de l’affaire de la prise d’otage comme des difficultés des groupes de presse - celles traversées par 24 Heures ne sont pas sans rappeler Libération. Parfois vous vous en êtes inspiré, parfois aussi l’actualité vous a rattrapé, pouvez-vous nous en parler ?

Quand vous voulez parler du présent, au début du travail évidemment vous êtes à l’écoute, vous lisez les journaux, vous êtes attentif aux thèmes que vous pouvez avoir envie de traiter... Quand j’ai commencé à travailler sur la série, en juin 2004, l’occupation de l’Irak était en cours depuis un an, un journaliste de Capa, Alexandre Jordanov, avait été enlevé pendant trois jours deux mois plus tôt ; il y avait eu l’affaire Daniel Pearl en 2002... bref, les enlèvements de journalistes devenaient systématiques... c’était un sujet qui paraissait important dans une série comme Reporters... Là-dessus, Christian Chesnot et Georges Malbrunot sont enlevés en août. Bien sûr, j’ai suivi l’affaire, il y a eu beaucoup d’articles, notamment sur la diplomatie parallèle avec le rôle de Didier Julia. Et ces éléments ont fait évoluer l’histoire de la prise d’otages. Deuxième phase de travail.
Et puis en janvier, triste remake, Florence Aubenas est enlevée à son tour. Là, nous sommes en pleine réflexion sur les arches narratives. Nous avions déjà des intentions assez précises sur ce thème des journalistes otages, mais là encore l ‘événement a provoqué de nouvelles réflexions.
Même chose pour le rachat de « 24 heures dans le monde » : au début du travail, Edouard de Rothschild n’était pas encore entré au capital de Libé, mais la crise de la presse écrite était déjà là. C’est pendant l’écriture que la situation a évolué : l’arrivée de Rothschild, le plan de licenciements, la grève, etc. Quand July est parti, on était en préparation du tournage.
Donc cette correspondance entre la série et la réalité, qui est parfois très spectaculaire, est au fond assez logique : quand vous vous imprégnez fortement d’un sujet « de fond », qui évolue sur le moyen voire le long terme (comme la crise de la presse écrite), il est presque normal que la réalité croise régulièrement la fiction. Ou alors, c’est que vous avez mal fait votre travail ! Et il ne s’agit évidemment pas de décalquer les événements. C’est même parfois le contraire qui se produit. C’est un sentiment étrange de travailler sur une histoire et de lire un matin dans le journal une scène qui est la sœur jumelle de celle que vous avez écrite la veille !

On l’a dit, la série est très réaliste. La seule fois où j’ai eu du mal à y croire, c’est quand Schneider est sur le point d’acheter une tête nucléaire en Bulgarie. C’est une liberté de fiction, ou bien un cas ou la réalité semble invraisemblable ?

C’est drôle que vous preniez cet exemple. C’est la seule histoire qui colle à ce point à la réalité. En novembre 2005 (je crois), Alexandre Jordanov (le même qui a plus tard été enlevé en Irak), qui travaillait à l’époque à l’agence Capa pour « Le Vrai Journal », est parti en Bulgarie dans des conditions qui sont quasiment celles décrites dans cet épisode 4. Son reportage, diffusé (en trois parties) au « Vrai Journal », fait une dizaine de minutes, il s’appelle « Sofia Livraison »... On voit le camp isolé dans la campagne bulgare, la tête nucléaire sur la banquette arrière, l’ancien officier qui lui sert d’intermédiaire... Une fois de plus, la réalité dépasse, non pas la fiction, mais l’image qu’on se fait de la réalité...

« Reporters » réussit à merveille à renouveler le triangle amoureux, parce que la confrontation qui se crée autour de Florence entre Schneider et Janssen est aussi au coeur du propos de la série et du paradoxe des différents métiers que recouvre le journalisme...

Content que ça vous ait plu. C’est en plus assez crédible, si on en croit les infos qui sont sorties depuis deux-trois ans... n’en déplaise à une journaliste politique, qui nous affirmait catégoriquement qu’aujourd’hui, une relation amoureuse entre une journaliste et un homme politique, c’est impossible ! J’imagine qu’elle craignait une charge contre la journaliste nageant dans la collusion, ce qui n’était pas notre intention. On partait du principe qu’il est assez inévitable, ne serait-ce que statistiquement, que des collègues de travail tombent parfois amoureux. Que ce soit des employés de banque ou des journalistes et des hommes politiques, on est assez égaux devant les sentiments... mais c’est vrai que les conséquences ne sont pas les mêmes, et c’est là que ça devient intéressant pour le scénario. Florence a parfaitement le droit de tomber amoureuse de Christian Janssen, et j’espère qu’on comprend ses sentiments. Mais dans sa position, ce n’est pas simple, évidemment.

Schneider, c’est un personnage très fort, emblématique. C’est aussi, parce qu’il faut constamment réussir à ne pas aller trop loin, un personnage très difficile à écrire non ?

Là encore, ça me fait plaisir que vous disiez ça, parce que ce n’est pas un personnage facile à aimer. Je le vois comme un obsessionnel, un idéaliste qui devient un « ayatollah de la vérité » (contrairement à Michel, le fait-diversier), et qui finit toujours au bord de la ligne jaune. Son intransigeance morale peut le mettre dans des situations intenables, et même être contre-productive parfois. C’est un torturé. Je ne sais pas s’il est difficile à écrire, tous les personnages sont difficiles ou faciles à écrire selon les moments. Mais je dirais volontiers qu’un personnage aussi torturé que lui, paradoxal et conflictuel, donne plus facilement prise à l’écriture qu’un personnage plus discret, plus introverti... parce qu’il faut faire sentir qu’il y a autre chose derrière son apparence lisse.
Mais quand on parle de personnages, il ne faut pas oublier l’interprétation des acteurs, et il faut dire que celle de Jérôme Robart, Anne Coesens et Robert Plagnol, pour les trois qu’on vient de citer, est assez exceptionnelle.

La distribution de la série est vraiment fantastique. Vous y avez été associé ?

Pas officiellement, non. Mais comme j’ai travaillé avec Claude pendant plusieurs années et qu’on se connait bien, il nous est arrivé d’en parler, d’échanger nos impressions. Mais c’est lui qui, avec les réalisateurs, a fait les choix ultimes.

Il y a quelques séquences formidables dans le deuxième épisode où Florence fait poster la rumeur du rachat de « 24 Heures » sur un blog, rumeur reprise dans les médias, ce qui lui permet d’être finalement confirmée. Les nouveaux médias, ce serait une piste à explorer à l’avenir ?

Absolument. On y pense.

La conclusion est très amère. Guérin, autour de qui est axée la saison, s’en tire sans dommages. Barlier, qui a tiré les ficelles, est placé sur orbite pour la présidentielle... Volonté de réalisme ou envie affirmée de finir sur cette tonalité ?

Le mot « réaliste » me trouble de plus en plus. On l’utilise tout le temps (ça a été le cas pour « Reporters »), sans vraiment en avoir une définition précise. Je vois ce que vous voulez dire dans ce cas précis : oui, il y a eu effectivement des affaires réelles qui se sont conclues comme dans la série. Mais au-delà de ça, l’essentiel, dans la fiction, ce n’est pas la fidélité aveugle à la réalité (ou ce qu’on croit être la réalité), c’est la cohérence interne du scénario. Et il nous a semblé, au moment d’écrire la fin, que le chemin qu’on avait fait jusque-là nous menait assez naturellement là où on en arrive. Cette tonalité, désespérée, un peu désabusée, mais combative, c’est assez proche aujourd’hui de ce que ressentent certains journalistes que nous avons rencontrés.

Puisque c’était votre première écriture, ce fut aussi la première expérience de l’appropriation de vos scénarios par des réalisateurs. Comment vous l’avez vécu ?

Dans de très bonnes conditions, parce que je connaissais déjà Gilles Bannier (il avait formidablement réalisé plusieurs épisodes d’« Age sensible », série dont j’étais producteur artistique pour Capa Drama), et que nous nous sommes bien entendus avec Suzanne Fenn et Ivan Strasburg. Tous les trois ont fait un énorme travail, avec des paramètres pas faciles : beaucoup de décors, un rythme de tournage rapide, des scénarios très complexes... Inévitablement, j’ai des petites frustrations sur telle ou telle scène que j’imaginais différemment. Ça fait partie de l’apprentissage. Il faudra en tirer les leçons, apprendre à écrire de manière plus précise et cohérente, pour que les intentions soient plus claires au tournage.

La première saison se termine sur une grosse porte ouverte vers la deuxième, ce n’est pas forcément une tradition française, le cliffhanger en fin de saison. C’est venu de vous ou bien il y avait un désir de la chaîne d’aller dans cette direction ?

Pour être honnête, je ne sais plus vraiment. Je crois qu’il y a toujours eu un accord implicite là-dessus. Quand vous écrivez une saison de 8 épisodes et que vous y prenez plaisir, vous n’avez qu’une seule envie : continuer. Donc vous essayez de faire ce qu’il faut pour communiquer cette envie, à la chaîne et aux spectateurs. Et le meilleur moyen de le faire, c’est de trouver un subtil dosage entre la satisfaction et la frustration, la résolution des enjeux posés au début et la promesse de nouveaux...

Est-ce que vous avez une idée du calendrier de la seconde saison - le travail d’écriture est entamé depuis le début de cette année, je crois ?

On est en train de construire les arches narratives de la suite, sur dix épisodes cette fois. L’idéal serait d’être prêts à diffuser fin 2008, mais comme l’écriture demande du temps, et que ce temps n’est pas toujours prévisible, c’est difficile de faire pour l’instant un calendrier précis.

Cette deuxième saison, à en croire la conclusion de la première, devrait aborder de front la campagne présidentielle. D’un certaine manière, ce serait un peu un retour aux origines - puisque c’était l’angle initial du projet que de parler de la campagne de 2002 ?

Vous êtes bien renseigné. Effectivement, nous avons travaillé pendant trois mois dans cette direction au tout début du projet avant d’en arriver à la série telle qu’elle est aujourd’hui. Mais il n’est pas encore sûr qu’on aborde la campagne présidentielle dans la deuxième saison. On dit dès le premier épisode que l’élection est dans un an. A la fin du huitième, il reste encore quelques mois durant lesquels il peut se passer beaucoup de choses...

Merci d’avoir répondu aux questions du Village.

Propos recueillis le 21 juin 2007.

Dernière mise à jour
le 16 février 2011 à 22h51