MINUIT LE SOIR - Episodes 1.07 & 1.08 • Spécial RITV 2007
Chef d’oeuvre made in Québec
Par Sullivan Le Postec • 18 mars 2007
Radio-Canada - Zone 3
23 mn
Scénario : Pierre-Yves Bernard, en collaboration avec Claude Legault
Réalisation : Podz
Avec : Claude Legault, Julien Poulain, Louis Champagne, Julie Perreault

Chroniques douce-amère (surtout amère, en fait), de la vie de trois videurs d’un bar pub tandis qu’il doivent s’adapter aux nouvelles règles de la jeune yuppie qui a racheté le Manhattan et entend en faire un établissement branché.

On ne va pas faire durer le suspense, et on aurait de toute façon du mal à dissimuler notre enthousiasme. « Minuit le soir » est une série exceptionnelle. Maintenant qu’on a dit ça, reste encore à tenter d’expliquer pourquoi. Et, en matière de critique, dire du bien, beaucoup de bien, que du bien, reste l’art le plus difficile.
Dans le cadre de la compétition officielle de ces vingtième Rencontres, ont été programmés les épisodes 7 & 8 de la première saison.

Épisode 7

Marc, le héros de la série, use d’un stratagème un peu bas de gamme pour faire partir de chez lui la fille d’un soir avec qui il vient de coucher. Laissé seul dans son lit, il se perd soudain dans la contemplation du plafonnier, tandis que son visage se décompose. Au bar, il vient d’avoir une conversation avec une cliente habituée, qu’il n’avait pas vu depuis un mois. Chantal lui raconte les raisons de cet absence. La rencontre, un soir, avec un jeune homme charmant qui l’a ramené chez lui. Elle avait bien trouvé que ça allait trop vite, mais « quand le train passe pour la première fois en sept ans, on monte dedans et on se pose des questions sur la destination après ». Seulement, après lui avoir enlevé son soutien gorge, le beau jeune homme avait été l’agité à la fenêtre avant de révéler la vérité à Chantal : ayant perdu au poker, son gage était de coucher avec la fille la plus moche du bar et d’en apporter la preuve à ses amis.
Chantal a décidé de revenir au Manhattan, au risque de le rencontrer, parce qu’il faut bien vivre malgré tout. Mais elle ne se fait pas d’illusion sur ses chances de rencontrer l’amour, et confie à Marc n’avoir d’autre espoir que de continuer à n’entretenir de relation intime qu’avec le plafonnier de sa chambre à coucher.
Peu après, Marc envoie son poing dans la figure du jeune homme en question, et le met dehors sans ménagement. Et on le retrouve contemplant son plafonnier, s’interrogeant sur sa propre solitude affective...
Pendant ce temps, le Gros, comme tout le monde le surnomme, s’interroge sur le moyen de mener une sexualité normale avec la jeune fille qui l’aguiche, alors que son estime de soi inexistante l’empêche d’avoir une érection à moins de revêtir un costume de super-héros...

Épisode 8

Fanny, la patronne, a décidé de faire sérieusement le ménage quand au deal de drogues qui peut avoir lieu au sein du Manhattan. Elle sera intraitable avec tout employé qui serait client de tels traffics.
Dans cette atmosphère tendue, Yan, un jeune videur, découvre le secret que Gaëtan avait jusqu’ici réussi à garder : il ne sait pas lire. Yan se sert de cet information qui fait très honte à Gaëtan pour le faire chanter et lui faire réaliser des achats de drogue pour lui. Comment se sortir de cette situation : accepter de prendre tous les risques ou de révéler son lourd secret ?
De son coté, Marc oriente le Gros vers le psy qui le suit. Un diplômé d’université sud-américaine qui, n’ayant pas officiellement le droit d’exercer au Canada, pratique sa science dans... des toilettes. Il réoriente d’ailleurs le Gros vers un collègue sexologue qui officie au guichet Drive d’un fast-food ! Le médecin prescrit du Viagra. Mais la pillule bleue n’a pas d’effet, et le Gros ne parvient toujours pas à avoir une érection sans revêtir un de ses costumes...

Tirer parti de son format

Ces quelques lignes de résumé donnent une (petite) idée de la liberté de ton dont fait usage la série, de son attrait pour les portraits noirs mais pétris d’humanité. Elle ne témoignent en rien de l’incroyable inventivité formelle des écritures de la série. Ecritures au pluriel car il s’agit autant des écrits du papier que de l’écriture visuelle épatante de « Minuit le soir ».
La première chose qui marque dans la série, c’est son format. Cette série dramatique, pas avare de moments comiques mais à l’atmosphère résolument sombre, a des épisodes de 23 minutes. Une durée habituellement réservée àla comédie, ou à la limite aux séries jeunesse et à certains soaps. Pour raconter ses histoires, il a donc fallu inventer une écriture propre. Faite d’ellipse, d’un rythme effrené et d’une économie de dialogues qui s’avère incroyablement payante. Exemple avec la séquence où Chantal raconte sa mésaventure à Marc dans l’épisode 7. Dans n’importe quelle autre série, les séquences en flash-back auraient été encadrées par des dialogues entre Marc et Chantal. Dans « Minuit le soir », ils n’échangent quasiment aucun mot avant la conclusion de la séquence. Leurs plans de coupes sont des commentaires silencieux, d’à peine quelques secondes, et pourtant très signifiants.
De même, la série joue beaucoup de déconstructions temporelles, de rappels d’images, pour construire son sens. Le traitement du motif du plafonnier est par exemple fascinant et exemplaire. Cette écriture scénaristique rare de Pierre-Yves Bernard est soutenue par une mise en image par Podz, dont le vocabulaire est tout aussi riche. A l’arrivée, Minuit le soir offre un résultat extrêmement original construit-déconstruit, extrêmement élaboré mais pourtant jamais surfait. La série est absolument passionnante, et même l’absence de sommeil ne m’a pas empêché de suivre chaque seconde de ces épisodes que j’avais déjà vus à l’automne dernier grâce à 25 images.
Ces innovations formelles, bien sûr, ne fonctionnent que parce qu’elles sont au service d’une série avec du fond. Les différents personnages de la série sont formidables. Faillibles et parfois même faibles, mais indéniablement humains, en dépit de la dureté de leur univers. C’est pour eux, au-delà de la satisfaction intellectuelle que procure la série, qu’on ressent le désir immédiat d’en voir les autres épisodes.

Reste une question : à l’heure où nos chaînes françaises se battent littéralement pour acheter à prix d’or de la fiction américaine, comment est-il possible qu’une telle pépite soit inédite dans nos contrées ? Que la « barrière » su parler québéquois s’oppose au cahier des charges soporifique d’un prime-time hertzien, c’est à la limite compréhensible, mais qu’attendent les thématiques du câble pour aller dénicher les chef d’oeuvres qui se trouvent un peu plus loin que le bout de leur nez ?

Post Scriptum

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Dernière mise à jour
le 31 août 2008 à 07h27