LES ZYGS, LE SECRET DES DISPARUS - Partie 1 • MINI-SERIE
Des disparus au secret convenu
Par Sullivan Le Postec • 31 mars 2007
Partie 1 sur 2 (100mn)
Studio international - France 2
Inédit. Diffusion prévue en mai 2007
Adaptation : Jacques Fansten et Gérard Carré ; Scénario et dialogues : Jacques Fansten
Réalisation : Jacques Fansten
Avec Claire Borotra, Malik Zidi, Sonia Rolland, Jacques Bonaffé, François Mathouret, Vladimir Yordanoff...

Présenté en avant-première aux Rencontres Internationales de Télévision de Reims la première partie de la mini-série « Les Zygs, le secret des disparus » (qui en comptera deux) a été introduit aux spectateurs par Jacques Fansten, son concepteur, scénariste principal et réalisateur. Depuis que ce projet était entré en développement, nous expliqua-t-il, il avait toujours entendu à son propos la même appellation, dont il ignorait s’il elle était positive ou pas. Toujours est-il qu’il choisit finalement de la reprendre à son compte en conclusion : ‘‘vous allez voir un OVNI,’’ nous dit-il.

Jacques Fansten a dit autre chose : le rendez-vous dans le bureau de France 2, celui où on lui dit ‘‘formidable ! On va le faire ce « film »’’ [1], c’était... il y a six ans ! La remarque n’était pas anodine, on allait le comprendre au moment du visionnage. Ces six années, c’est la différence entre une fiction dans l’actualité et une fiction qui ressert des thématiques passées de mode. C’est la différence entre une fiction qui donne le sentiment de jamais vu et une fiction qu’on a déjà vue ailleurs. C’est une des malédictions de la fiction française que ce développement infernal, qui repose sur un manque de confiance patent des chaînes envers les créatifs, qui annihile toute velléité de réactivité, de résonance entre la fiction et l’actualité.
Car, posons les choses tout net, une des principales difficultés qu’aura à affronter « Les Zygs » au moment de son passage sur France 2 est celle-ci : si vous avez vu « The Island », le blockbuster de 2005 réalisé par Michael Bay avec Ewan McGregor et Scarlett Johansson, alors vous avez, pour ainsi dire, déjà vu la mini-série de France 2. Il est certain que le Net tombera à bras raccourcis sur cette fiction le lendemain de sa diffusion pour y dénoncer un plagiat. Et ce sera ironique, car le Net est justement l’outil qui permet de corroborer les dires de Fansten : on trouve assez facilement mention du développement de cette fiction aussi loin que novembre 2001, date de publication de cet article de l’Humanité. Fin de la « polémique », qu’on aura donc pas laissé commencé.

Une histoire sans surprises

Mais une fois cette fausse polémique prestement écartée, on retiendra le fond du problème. Que les deux scénarios, celui des « Zygs » et de « The Island », soient si proches témoigne bien d’une chose, en revanche. La mini-série de France 2 est un « faux OVNI », c’est-à-dire une production sans doute hors-norme au sein de la fiction audiovisuelle française, mais seulement parce que celle-ci s’est fermée au genre il y a longtemps. Dans une perspective plus large, celle qui inclus la littérature, la bande dessinée, la production télévisuelle et cinématographique du reste du monde, alors la réalité est que le scénario des « Zygs » présente un traitement particulièrement convenu et dénué d’originalité de ses thématiques, qui aura du mal à surprendre qui que ce soit en dehors de la bienheureuse ménagère qui n’a pas vu de production de SF depuis qu’elle s’était encanaillée à aller voir « Rencontres du Troisième Type » en 1978. Tous les autres ne manqueront pas d’esquisser d’un sourire, s’ils sont de bonne humeur, quand le mot clone sera finalement solenellement lâché à la 95ème minute.

A ce stade, il est sans doute nécessaire de préciser un peu le sujet des « Zygs », mon lectorat comprenant sans doute une portion de gens de bon goût qui ne vont pas voir les productions de Michael Bay, n’en déplaisent aux tentantes sirènes d’un Ewan McGregor ou d’une Scarlett Johansson. Ce stade, donc, est celui où mes lecteurs qui souhaitent la surprise lors de leur découverte de la mini-série sur France 2 devraient cesser de me lire pour mieux revenir sur cet article au lendemain de la diffusion de la première partie par France 2.

A bientôt, donc, pour les uns.

Pour les autres, on continue :

D’abord, la version courte du résumé pour ceux qui ont vu « The Island » : c’est la même histoire, sauf que comme c’est plus long et qu’on a pas les interminables (et grotesques) séquences d’action, on rajoute quelques sous-intrigues et un élément un peu important. Au cours d’une opération, un incident se déroule qui fait qu’une femme est échangée avec son clone pourvoyeur d’organes de rechange. L’original se trouve donc enfermée dans le village des copies.

Pour ceux qui se demandent un peu de quoi je parle, je développe :
Claire est dans sa voiture, à « la place du mort », elle se dispute avec son mari. C’est l’accident. Quelques semaines plus tard, elle sort du Coma. Mais elle se trouve dans un très étrange hôpital, où elle entend des choses qui l’alarment.
Parallèlement, dans un tout aussi étrange village où vivent quelques dizaines de ‘Zygs’ très dociles, sous le contrôle permanent de surveillants, Béjean s’inquiète de la disparition de sa compagne. Il se soustrait à l’obligation de boire une potion somnifère et explore de nuit les environs. Il se heurte bientôt à un mur-miroir infranchissable qui encercle tout son village. Puis découvre Claire, qui s’est enfuie de son hôpital, et en qui il croit reconnaître Béclaire, disparue un mois plus tôt. Elle lui demande de lui fournir de la nourriture, tout en commençant tout doucement, avec la rencontre de ce Béjean, un jeune homme dénué de nombril, à comprendre les enjeux qu’elle affronte.
Alerté, la sécurité de l’île sur laquelle ce petit monde se trouve, jalousement protégé du monde, alerte la société responsable qui sait le danger que représente cette affaire d’exposer tout le projet, jusque dans ses pires dérives contraires au plus élémentaires règles d’éthique. Tout doit donc être mis en œuvre pour retrouver Claire, Béjean, et les deux autres clones qui les accompagnent dans leur fuite, pourvoyeurs potentiels d’organes pour leurs riches « modèles originaux », pas nécessairement conscients de la forme qu’a pris leur assurance-vie.

Des faiblesses de forme et de fond

Voilà donc pour la base de l’histoire. Assez peu originale, donc, mais même sans grande originalité, une telle histoire bien racontée, scénaristiquement et visuellement, aurait pu être intéressante et très rafraîchissante dans le petit monde sclérosé de la fiction française. Aurait pu.
D’abord, les faiblesses de l’écrit. Le changement de format, le projet étant passé en six ans d’un 6x52’ à ce 2x100’, n’est pas bénéfique aux « Zygs », certes, je partage les doutes de France 2 sur leur capacité à faire revenir les téléspectateurs cinq fois après le premier épisode. Reste que tant qu’à prendre des risques, autant les assumer. Parce que 100 minutes, c’est trop long pour ce type d’histoires, qui ne furent jamais mieux racontées que dans les 25 ou 42 minutes d’un « Twilight Zone ». D’ailleurs, tout cela aurait gagné à se séparer de sous-intrigues trop nombreuses, et parfois grotesques. Au premier rang desquelles celle d’un des surveillants du Centre, qui vit en secret en amoureux avec son clone, qui est assez révélatrice de la recherche d’un coefficient de « choc » assez gratuit dans laquelle la mini-série se complaît à plusieurs reprises, et qui l’enferme dans le mauvais goût — sans même parler des relents homophobes de cette idée, dont on choisira par charité de considérer qu’ils sont inconscients [2]. Autre exemple de ce penchant pour la vulgarité, cette complaisance avec laquelle on a décidé que montrer des gens sans nombril impliquait « forcément » d’avoir trois actrices longuement montrées entièrement nues. (Voulu ou pas, on sent venir à deux kilomètres le super plan média ‘‘Geneviève de Fontenay se scandalise de voir l’ex Miss France Sonia Rolland se balader 10 minutes les seins à l’air et court les talk shows pour bien le faire savoir à tout le monde’’. Exactement la com’ classieuse et intelligente dont la fiction française a besoin, of course !)
Bizarrement, le même, heu, impératif artistique — c’est comme ça qu’on dit ? — ne s’est pas imposé pour les personnages masculins. Comme c’est étrange ! Et, comme je suis gentil, je vais me garder de faire le lien entre les deux éléments que je viens d’évoquer...

Au-delà de ces points, il y a la manière dont le scénariste se sort des difficultés inhérentes à son histoire. Ainsi, les personnages de Zygs mis en scène sont des adultes qu’on a élevés en vase clos et fait profiter seulement d’une éducation sommaire, sans aucun contact avec le monde extérieur. Ce n’est pas facile de construire la psychologie de tels personnages immensément fictifs. On en fait ici des adultes-enfants, procédé un peu agaçant. Que les Zygs aient un énorme déficit de culture, soit, qu’ils aient un tel déficit de curiosité et de capacité d’analyse est beaucoup plus irréaliste et embêtant, en particulier dans l’obstacle que cela représente à notre capacité à éprouver de l’empathie pour ces personnages. Il faut bien reconnaître qu’écrire ces Zygs relève du tour de force. Toutefois, si l’écriture de « The Island » avait aussi ses limites sur ce point, je trouve que le film s’en sort mieux, parce que moins naïf.
Mais ces problèmes d’écriture ne sont pas nécessairement d’une importance telle qu’ils justifient l’incapacité de la mini-série à atteindre ses objectifs...

Car quand il s’agit de parler de ce qui tire « Les Zygs » vers le bas, le principal n’est pas là. Le travail, honnête malgré les limites évoquées, de Jacques Fansten scénariste est en effet parfaitement saccagé par celui de Jacques Fansten réalisateur.
Je vais avoir du mal à faire plus clair, j’ai trouvé la mise en image quasiment en tous points catastrophique, qu’il s’agisse des partis pris assumés comme des maladresses manifestes. Quelques exemples, restés dans ma mémoire après l’unique projection :

- Comme dans « The Island », les clones sont tous habillés d’un même uniforme. Cela s’explique par la volonté de leurs créateurs de limiter l’émergence de leur personnalité individuelle, qui représente un problème éventuel, au minimum. Sauf que dans « Les Zygs », l’uniforme en question est composé notamment d’un t-shirt taille unique XXL, mais disponible en de multiples couleurs. Ce qui est contraire au but de départ en plus d’être incroyablement pauvre en apparence. C’est une décision artistique assumé, de toute évidence, mais elle est tellement mal pensée et mal exécuté que la seule idée qu’elle véhicule est « tiens, France 2 a eu un prix chez Déclathlon ».
Toute une série de décisions visuelles de cet acabit installent le sentiment que la mini-série a du bénéficier d’un bugdet très faible : les décors d’appartement tous froids, vides et sans vie, façon maison de démonstration briquée une fois par heure (y compris lorsque on sort des appartements des Zygs pour découvrir ceux des surveillants ou de Claire), le travail sur la lumière est inexistant, ce qui annihile toute possibilité d’installer une atmosphère, etc.
Pour en revenir aux T-shirts colorés, on peut y voir un rappel à l’ambiance colorée du village du « Prisonnier ». Mais là, cette atmosphère était justement soulignée par la diversité mise à l’image, l’ambiance champêtre du village. Rien qui ne puisse fonctionner dans ce cadre sans âme, sans chaleur.

- La décision artistique a donc été prise de privilégier des décors froids, très nus, grands, peu meublés. Décision contestable au départ, mais qui tombe dans le non-sens absurde une fois que l’on sait que cette première partie met en scène d’innombrables séquences de course poursuite où des personnages sont censés réussir à se cacher dans ces espaces blancs et sans aspérités. Que pas un seul des geôliers ne pense à ouvrir les placards (grands et vides, bien sûr) de la partie hospitalière de l’île, alors qu’ils sont les seuls uniques et endroits où l’on peut se cacher, est ainsi particulièrement crispant.

- La direction d’acteur est inexistante. C’est un problème plutôt récurrent en terme de fiction française. Mais quand en plus on trouve des comédiens d’aussi haut niveau que Sonia Rolland au casting, on comprend que le résultat soit pénible. Cela joue ici neutre, ici cabotin, ici faux, aucune unité ne se dégage, l’unique dénominateur commun étant peut-être dans la médiocrité globale de l’ensemble. Dans une distribution très large, ils sont moins que les doigts d’une main à surnager dans ce naufrage, on citera Claire Borotra. Et encore, seulement partiellement, en partie à cause de l’absence de direction d’acteur, en partie à cause du problème suivant.

- Le réalisateur se fiche totalement de ses personnages. TOUS les moments humains, intimes, sont filmés par-dessus la jambe, bâclés, contournés. La seule scène où un sentiment de vérité des sentiments minimal s’installe est brutalement interrompue dix secondes après par l’accident de voiture initial. Il est impossible de s’intéresser réellement à ces soi-disant personnages, plus proches en vérité de vignettes autocollantes panini que l’on agite à l’image. Et c’est un échec cruel pour deux raisons. D’abord, ce genre d’histoires d’anticipation ne fonctionne jamais que si l’ancrage dans l’humain n’est pas perdu de vue un seul instant. Ensuite, le plus excédant est que ces moments humains figurent dans le scénario. Mais filmés de dos (la détresse de Claire), montés à la serpe (une Zyg qui se jette à l’eau pour rattraper Béjean et Claire alors que leur bateau est sur le point de quitter l’île), joués n’importe comment (Sonia Rolland...), mal amenés (la dirigeante fille qui tombe sur son père parmi ces surveillants qui ont échangé leur sortie de prison et le confort matériel assuré à leur famille contre l’abandon de toute éthique et une liberté toute relative), ils tombent absolument tous à plat. Inutile donc d’espérer partager quelque émotion avec les personnages. Quand on regarde « Les Zygs », on ne ressent rien.

- A plus d’une reprise, le réalisateur semble découvrir le script à mesure qu’il le tourne. Je rappelle quand même que le réalisateur et le scénariste sont la même personne ! Exemple, une des Zygs en fuite avec Claire est le clone d’une présentatrice vedette de journal télévisé. A un moment du récit, elle entre dans une cafétéria et se sert avant de partir, sans savoir qu’il faut payer d’abord. Bon, je passe sur le fait que Claire vient de le lui expliquer et de lui ordonner de rester sur place en attendant qu’elle retire de l’argent et que, elle qui était si totalement docile juste avant comme tous les Zygs, se met d’un coup à ne plus répondre à l’autorité quand ça devient bien pratique. Donc elle se trouve au milieu du restaurant et là, alors que ça fait déjà cinq minutes qu’elle se trouve au milieu d’une place sous le nez de tout le monde, le scénario commande que des gens la reconnaissent et se précipitent vers elle pour obtenir un autographe. Tout cela surgit de nulle part, à la virgule près où ça doit être marqué dans le script, sans aucun travail préparatoire élémentaire (des regards curieux, un figurant en arrière plan qui pointe du doigt)... Après l’achat de masse de t-shirt, il ne restait plus un Euro pour embaucher quelqu’un qui aurait bossé sur la continuité ou quoi ?

Paradoxe

Ma conclusion va être un peu paradoxale. Quand je relis ce papier critique partiel et partial — je rappelle que je n’ai vu que la première partie d’une mini-série qui en comptera deux dans le cadre d’un festival où on est sollicité par de nombreuses projections dont la plupart ont un haut niveau de qualité — je constate la dureté empirique de cette sorte d’inventaire à chaud. Mais je suis aussi conscient de la difficulté d’écriture de ce qui a été présenté. Je juge, bien sûr, de mon point de vue, celui de quelqu’un qui aime bien la fiction en général, qui n’a pas de rejet pour la fiction française, au contraire, mais aussi de quelqu’un qui est un réel amateur de fantastique et de science-fiction, et qui, en outre, a co-écrit il y a quelques années une histoire mettant en scène des personnages très similaires aux Zygs, élevés dans un village intégralement isolé, sans contact avec le monde extérieur, entouré d’un infranchissable grand mur circulaire.
Et quand les lumières se sont rallumées dans la grande salle de la Comédie, je n’étais pas dans un sentiment de rejet de ce que je venais de voir. Je me montrais même optimiste sur la capacité de la seconde partie d’être assez nettement meilleure que la première. D’abord, la réelle curiosité qu’il y a à voir une production télé française aborder ce genre de sujet avait soutenu mon intérêt. Et puis il y avait l’existence parfaitement réelle d’un potentiel non négligeable derrière cette production ratée. Avec le recul, ce potentiel laissé en jachère alimente probablement un sentiment de déception qui vient amplifier la tonalité négative de cet article.

Il restera à voir ce que sera la réception, tant par le grand public que par celui plus spécialisé d’Internet de ces « Zygs ». En espérant, encore une fois, que le débat ne soit pas tué dans l’œuf par des discussion hors-sujet sur la thématique du plagiat.

Post Scriptum

« Les Zygs, le secret des disparus » sera programmé en mai sur France 2. Ce mois là, la mini-série sera l’événement fiction de France 2.

Toutes les réactions sont plus que bienvenues sur le forum.

Dernière mise à jour
le 16 février 2011 à 22h18

Notes

[1c’est dingue, tout le monde parle de film, à la télé française, alors même que les « Zygs », au départ, c’était un 6x52’. Messieurs les créatifs, producteurs, diffuseurs, c’est sale comme mot, « série » ??

[2Pour une explication, je vous renvoi à la lecture des propos par exemple de Christian Vanneste, ou de quelque autre homophobe notoire, qui développent longuement des théories sur l’homosexualité expliquée par un refus d’altérité profondément dysfonctionnel, donc signe d’un trouble assimilable et assimilé à une maladie mentale, qui fait donc automatiquement de l’homosexualité un comportement « inférieur », théories qui n’entretiennent que peu de rapport avec la réalité, sauf apparemment chez les « Zygs »