TORCHWOOD - Children of Earth
La version 3.0 est enfin la bonne !
Par Emilie Flament • 18 août 2009
Après avoir répété « Poor Torchwood » dans son « Writer’s Tale », Russell T Davies reprend son bébé en main pour redresser la barre et lui donner ce qui lui manque le plus : une véritable identité.

Depuis 2 saisons, « Torchwood » navigue dans le flou : une succession d’épisodes ‘loners’, des personnages qui évoluent sans réussir à réellement créer une unité, une dimension qui la cantonne à son rôle de spin-off de « Doctor Who »… Pourtant, les bases sont bonnes : le personnage de Jack Harkness, immortel à la recherche du Docteur suite aux événements sur le satellite 5 (« Doctor Who » 1x12, 1x13) et l’institut Torchwood, axe majeur de la seconde saison de « Doctor Who », sont de solides briques, intégrées au Whoniverse. Ces éléments et la qualité convenable de la plupart des épisodes suffisent à ce que le public ne décroche pas et que la série passe en 3 ans de BBC 3 à BBC 1… mais sans pour autant nous satisfaire pleinement.
Dans la saison 3, après avoir répété plus de dix fois “Poor Torchwood” dans son « Writer’s Tale », Russell T Davies reprend son bébé en main pour redresser la barre et lui donner ce qui lui manque le plus : une véritable identité. Pari réussi, au-delà des espérances ! En un mot… Exceptionnel. Un cours magistral…

Redéfinir le show…

Les 4.5.6, race extraterrestre déjà venue sur Terre en 1965, menacent la race humaine d’extinction si des millions d’enfants ne leur sont pas livrés.

En développant cette intrigue majeure et unique sur 5 épisodes, Davies fait d’une pierre quatre coups :
• Il rend son axe à la série : revenons à l’essentiel, le Torchwood Institute a été créé pour défendre la Terre, et surtout la Grande-Bretagne, des menaces extraterrestres. Il est temps dans cette nouvelle saison de lui donner une vraie menace à gérer.
• Il agrandit le cadre : la menace est mondiale, l’ensemble des gouvernements est impliqué, le cœur de l’action est à Londres, en plein centre politique. On est loin de la chasse aux Weevils dans les entrepôts de Cardiff. Les liens (et différences) entre Torchwood et les gouvernements réapparaissent au premier plan.
• Il revient à son idée de départ : donner au Whoniverse une série plus sombre et plus adulte. Les déboires amoureux (et sexuels) des personnages ne sont plus au centre des intrigues. Les gadgets aliens sont laissés au placard. La menace est sérieuse, la vie de millions d’enfants est en jeu. Les enjeux politiques sont importants, et chaque politicien joue ses cartes stratégiquement.
• Il détache le show de « Doctor Who ». Cette fois, le Docteur n’arrivera pas pour sauver le monde. Torchwood est seul.

En réalité, Davies fait quasiment table rase des précédentes saisons pour mieux reconstruire. Il va jusqu’à détruire quelques-uns des symboles du show : en un épisode, le Hub de la baie de Cardiff est totalement ravagé, la ‘Torchwood Mobile’ a été volée, l’équipe en fuite et même Jack est en mille morceaux…Le champ est libre pour son imagination.

…avec talent

L’écriture est efficace ! La structure de ces cinq volets est impeccable. Chaque épisode a sa tonalité, son rythme, son émotion. La réalisation d’Euros Lyn et la musique de Ben Foster apportent également leur touche, sans être trop présentes… juste la bonne dose !

Le timing est bluffant : les 4.5.6. débarquent sur notre planète au milieu de l’épisode central, entraînant un changement d’ambiance dans la seconde partie de la saison. Si la première moitié laisse quelques notes d’humour apparaître, la seconde fait place à l’effroi, visuellement, mais aussi dans les dialogues (les discussions des politiciens décidant du mode de sélection des enfants sacrifiés sont à glacer le sang).

Comme souvent, Davies ne laisse que peu de place aux failles dans ses scénarios. Chaque question trouve sa réponse, le rassemblement des enfants désignés semble irréalisable, il nous explique comment y procéder et sous quelle couverture ; l’absence de Martha Jones ou du célèbre Docteur y est abordée et justifiée (le voyage de noces de Martha Jones semble tout de même un peu faible vis-à-vis de l’ampleur de la menace), et ainsi de suite…La fin du second épisode est le seul élément marquant difficile à digérer : Jack, littéralement coulé dans un bloc de béton, est jeté du haut d’une carrière pour en être libéré… et se relève en un seul morceau, sans une égratignure… Sacré Jack ! Allez, on pardonne à Davies vu qu’il ne signe pas ce scénario !

Amener du fond…

Mis à part le Docteur, il est rare que de gentils aliens débarquent pour nous sauver. Les 4.5.6. ne font pas exception. Leur ultimatum est simple : le sacrifice de 10% des enfants ou l’extinction de la race humaine. Malgré ça, l’effroi ne vient pas d’eux… mais de nous.
Dans son message vidéo dans Day Five, Gwen le dit très justement : nos actes nous font parfois honte. La plus grande menace est humaine.
Dans la première moitié de la saison, le gouvernement, qui n’a pas les mains propres suite aux premiers enlèvements de 1965, semble déjà prêt à tout pour le dissimuler et sauver les apparences auprès des autres pays, tentant même d’éliminer la seule entité capable de gérer une menace comme les 4.5.6. Par la suite, le cabinet de premier ministre Green ainsi que les autres gouvernements implicitement acceptent cet ultimatum, sélectionnent les enfants, organisent leur transfert, et comble de l’horreur, préparent déjà leur couverture pour cacher leur actes et décisions à l’opinion publique.

Le personnage du premier ministre Green l’illustre bien : il ne cherche pas à trouver une solution à cette menace. Il passe son temps à mettre en place un homme de paille qu’il pourra sacrifier et à préparer son discours d’innocente victime. Il semble détaché de la situation réelle. D’ailleurs, sa première réflexion une fois la menace disparue accentue ce sentiment : “Luck”… Le mot de trop, qui causera sa chute.
Il y a aussi ceux qui tentent de donner un sens à ce sacrifice : le colonel Oduya, de la U.N.I.T. espère qu’il s’agit au moins d’une question de vie ou de mort pour le 4.5.6 mais non, la raison est bien plus sale et glauque : ces enfants sont une drogue que les aliens trafiquent. Ce tout petit détail du scénario provoque encore plus le dégoût.
Pire encore, le personnage de Yates, incarné au passage par Nicholas Briggs (en autre la voix des Daleks), a cette réflexion horrible : étant donné l’augmentation de la population, 10% d’enfants en moins pourrait presque être considéré comme une bonne chose… Tentative inconsciente de voir le coté positif en chaque chose ou pensée plus réfléchie ? Le doute est malheureusement faible.
D’ailleurs, ce sont les 4.5.6 eux même qui l’illustrent lorsque Frobisher rejette leur demande par un “Inacceptable” : chaque jour des milliers d’enfants meurent et nous laissons faire, sans trouver ça inacceptable, pourquoi réagir maintenant, le résultat étant le même…Ça fait parfois mal de se regarder en face…

…et de la réflexion

Le dilemme peut se résumer à ces 2 phrases :
An injury to one is an injury to all” versus “Sacrifice one, save many
(“Une attaque contre l’un d’entre nous est une attaque contre nous tous” versus “Le sacrifice d’un être pour la survie du plus grand nombre”).

Le combat du cœur contre la logique. Gwen, entière comme à son habitude, se range du coté des principes du Docteur et vers la résistance quoi qu’il en coûte. Les incarnations du pouvoir (Green, Yates, Riley, Oduya et les autres…) se tournent immédiatement vers la seconde option. Si les débats sur les critères de choix des enfants nous font horreur, ce qui est encore plus effrayant c’est qu’il faut l’admettre : leur raisonnement est logique et pragmatique. C’est même effrayant de logique.
Au milieu de ces 2 camps, c’est le Captain Jack qui illustre le mieux ce dilemme. En 1965, il a été choisi pour livrer les 12 premiers enfants au 4.5.6 justement parce qu’il est de ceux qui s’en moquent et, à cette époque, il note même la logique de la décision, la qualifiant de “Good deal”. Avec le temps, il a créé des liens notamment avec son équipe et a aussi vécu auprès du Docteur, il a même eu une fille et un petit-fils. Ces expériences l’ont changé, le liant aux personnes, et le rendent incapable de se détacher comme le fait remarquer Frobisher (lui est capable de prendre en otage Alice et Stevens, pas Jack, qui est “une meilleure personne que lui”). Et il part donc en guerre contre les 4.5.6.
Mais là encore, « Torchwood » n’est pas « Doctor Who ». Les bonnes intentions ne permettent pas de sauver le monde (« Doctor Who » 3x12), et quand Ianto meurt dans cette tentative de résistance, Jack perd la foi. Résigné, il va finir par sacrifier son propre sang, Stevens, sous les yeux de sa mère, pour sauver les millions d’enfants désignés.
Même si cet acte le rapproche des politiciens, Jack s‘en différencie : il n’essaie pas de fuir cette décision ou de trouver des excuses, il ne détourne pas son regard de Stevens en train d’agoniser…

Approfondir ses personnages principaux…

Suite à la mort de Tosh et Owen, l’équipe est réduite à ses 2 premiers rôles et leur Tea Boy. Ça aide à se concentrer sur l’essentiel !

Jack est enfin à la hauteur de son potentiel ! D’abord, on en apprend un peu plus sur son passé et, par la même occasion, l’aspect plus sombre de sa période ‘homme de main’. Le Captain Harkness qu’on connaît est différent de celui de 1965. Moins distant, plus impliqué, il a créé des liens avec cette époque, plus ou moins à son insu.
D’ailleurs, on répond à une des questions qu’on s’est tous posé : en plus de 100 ans, il n’a jamais eu d’enfants ? Et bien si, il est même grand père. C’est l’occasion de confronter son immortalité à un lien fort sur la durée : sa filiation. Pour se protéger, Jack limite (en tout cas, limitait) son implication dans ses relations ce qui n’a pas du arranger les choses avec sa fille. Alice quant à elle gère mal le non vieillissement de son père, explicitement par rapport à Stevens, et implicitement par rapport à sa propre mortalité. Leur relation est distante, pour leur bien à tous.
Mais revenons à Jack. Deux éléments vont détruire sa carapace, déjà affaiblie par la fin de saison 2 : la mort de Ianto et le sacrifice de Stevens. Cette étrange relation avec Ianto qui semblait assez superficielle le touche plus qu’on ne l’aurait imaginé. Perte de son grand amour pour certains ou simplement goutte d’eau qui fait déborder le vase pour d’autres, peu importe, la conclusion est la même : Jack ne supporte pas sa disparition. Son cœur, ses liens, son implication deviennent synonymes de douleur. C’est l’événement qui l’anesthésie. Il cesse le combat et cela l’entraîne à accepter de sacrifier Stevens. L’ironie veut que ce soit Alice qui le fasse venir pour sauver le monde et qui, par conséquent, provoque la mort de son fils. Forcément, après un tel acte, Jack ne peut plus être le même. Ne se supportant plus, ne supportant plus le regard et la proximité des autres (notamment Gwen), il fuit. Jolie fin (est-ce réellement une fin ?) pour un personnage aussi complexe.

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Le cas de Ianto est différent et son parcours lors des 2 précédentes saisons ne l’aide pas : de Tea Boy hétéro quasi-inutile (à part pour planquer une cyberwoman sexy dans le sous-sol), il est devenu Action Man gay qui couche avec son boss (il faut bien trouver quelqu’un pour que Gwen et Jack ne se sautent pas dessus)…heureusement qu’il fait encore le café ! Il est donc plus que temps de le densifier un peu. Malheureusement, même en lui donnant une histoire familiale (la relation avec son père semble plus complexe qu’à première vue) et en creusant sa relation avec Jack (relation de couple et rapport à son homosexualité), le personnage reste de faible intérêt. Par contre, sa mort et son impact sur Jack lui donne enfin un but. Si ce choix peut sembler évident, c’est pourtant le point qui a soulevé le plus de réactions de la part des fans, réclamant même que Ianto revienne d’entre les morts (Pitié ! non ! Pas un nouvel Owen !).

Gwen reste fidèle à elle-même : impliquée, entière. Son mari, sa famille, sa place dans Torchwood, ses opinions ayant déjà été explorées dans les précédentes saisons, il n’y a plus beaucoup de mystère. Sa grossesse surprise est d’ailleurs sous-utilisée et ne l’amène à douter de sa foi en l’espèce humaine qu’un bref moment. On aurait pu attendre une réaction moins anecdotique. Dernier membre survivant de l’équipe (sur Terre en tout cas), il va falloir penser à la rendre moins parfaite dans une éventuelle saison 4, surtout si Jack ne revient pas pour noircir le tableau !

…tout en créant des rôles secondaires captivants

D’accord, il faut avouer qu’ils ne le sont pas tous :
• Rhys se cantonne toujours au rôle de mari dévoué et prêt à tout pour Gwen,
• Andy ne connaît qu’un bref instant magique lorsqu’il jette son uniforme pour se battre contre l’armée qui enlève les enfants,
• Lois Habiba est certes une chic fille (et une potentielle nouvelle recrue pour une saison 4), mais elle sert surtout de support à lentilles pour que l’équipe suive les négociations,
• d’autres se contentent d’apporter un point de vue différent comme Mr. Dekker, scientifique qui semble plus excité et fasciné par les 4.5.6 qu’effrayé et dont la distance vis-à-vis des événements le rend encore plus extrême que les politiciens.

On a déjà abordé précédemment la précision de l’écriture dans les dialogues impliquant le cabinet du premier ministre. Cet ensemble de personnages mérite déjà amplement les éloges. Mais le réel diamant de cette saison est Frobisher.
D’abord, il fascine dans son rôle de “Middleman” : politicien de seconde zone, il est totalement manipulé par Green qui ne lui cache même pas sa condition de pantin. Ses nouvelles responsabilités n’ont qu’un but : pouvoir être sacrifié si nécessaire. Il est clairement décrit comme “expendable” (sacrifiable). Il est là pour faire le sale boulot. Et la mission semble trop large pour lui (il s’écroule suite à la première rencontre avec les 4.5.6). Si Frobisher se retrouve plus ou moins piégé dans cette situation, il n’essaie pas de lutter, il laisse faire. A tout niveau. Non seulement dans ce que Green fait de lui, mais aussi dans les décisions que le cabinet prend concernant les enfants. Il est pourtant impliqué : il a 2 filles, et réagit très émotionnellement quand celles-ci sont utilisées par les 4.5.6 pour communiquer. Alors jusqu’où peut aller la faiblesse de cet homme qui n’aime pas faire de vagues ? Davies explore cette limite avec brio. Ce n’est que lorsqu’il apprend qu’il doit sacrifier ses propres filles, pour l’image du gouvernement qui plus est, qu’il explose. Mais là encore, il ne lutte pas, préférant tuer sa famille et lui-même, par impuissance. Ce portrait d’un homme ‘normal’ dépassé par les événements est sans doute l’un des plus justes de toute la série.

La dernière surprise vient du personnage de Bridget Spears. Si, dans les 4 premiers épisodes, elle est transparente, c’est pour mieux jouer un rôle clé dans le dernier épisode : rendre justice à Frobisher, écrasé par tous les manipulations de Green, rappelant qu’avant d’être un pantin, c’était “un homme bien”. Il faut bien un peu de morale dans cette saison !

Cette saison 3 donne enfin à « Torchwood » ses lettres de noblesse. Russell T Davies gagne son pari et nous offre réellement un événement télévisuel à la hauteur de son talent. La barre est haute pour une éventuelle saison 4, et on a hâte de voir qui pourra faire mieux et comment, l’équipe Torchwood étant pour le moment réduite à Gwen, enceinte. Si le défi n’est pas relevé, on sera certes déçu, mais on ne pourra pas être frustré de terminer sur un tel requiem.


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Post Scriptum

« Torchwood » : « Children of Earth »
BBC. 2009.
Réalisé par Euros Lyn.
Scénario :
# 3x01 : Day One par Russell T Davies
# 3x02 : Day Two par John Fay
# 3x03 : Day Three Russell T Davies et James Moran
# 3x04 : Day Four par John Fay
# 3x05 : Day Five par Russell T Davies
Avec : John Barrowman, Eve Mylies, David Gareth-Lloyd.