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24
2x24 - 7am to 8am
American Tabloïd
dimanche 8 juin 2003, par
L’Amérique n’a jamais été innocente. (…) Nous avons perdu la grâce et il est impossible d’imputer notre chute à un seul événement, une seule série de circonstances. Il est impossible de perdre ce qui manque à la conception. James Ellroy
A couper le souffle. C’est la seule chose qui me vient à l’esprit au sortir de ce final de 24. Mais je vais tenter de reprendre ma respiration afin de livrer quelques pistes de réflexion sur ce deuxième jour en compagnie de Jack Bauer, qui nous aura offert une splendide plongée dans les entrailles des mythes du pouvoir américain.
Et puisqu’il s’agit de ma dernière review de 24 avant de céder ma place à Phil pour la prochaine saison, je ne vais pas contrarier la tradition... voici le résumé de cette vingt-quatrième heure :
à la suite d’une alerte cardiaque de Jack, The Kief’ et Sherry ont mis leur voiture hors d’état de marche. Après une longue discussion sur les responsabilités, et alors que Sherry veut s’enfuir, elle accepte finalement d’aller à la rencontre de Kingsley pour changer la vision qu’a d’elle son ex-mari. Ils réquisitionnent donc une voiture et se rendent au rendez-vous...
l’avocat de David Palmer apporte à Mike le résultat de ses recherches sur Kingsley. Mike se rend alors compte que Jack et Palmer semblaient bien avoir raison sur l’identité des commanditaires de la bombe. Il appelle Chappelle et lui donne l’ordre d’épauler Jack contre Kingsley. Chappelle libère Tony et Michelle en échange de leur collaboration...
Kate Warner et Kim arrivent à la CTU. On leur apprend que Jack est encore en mission et qu’elles ne peuvent pas le joindre pour le moment. Kate, en compagnie de son père, va voir Marie, qui est encore emprisonnée à la CTU. Marie est irrémédiablement coupée de sa famille et annonce à Kate qu’elle ne sera pas plus " en sécurité dehors "…
Jack apprend que la CTU travaille de nouveau avec lui. Pour prouver que Kingsley est bien derrière la bombe (et disculper les 3 pays du Moyen-Orient), Jack place un micro sur Sherry : Prescott, Palmer et tout le cabinet présidentiel pourront ainsi entendre la conversation où Kingsley avouera le complot à Sherry. La rencontre a lieu et Sherry réussit à faire dire à Kingsley tout ce qu’il fallait. Ce dernier se rend compte qu’il est en train d’être manipulé, une fusillade éclate...
Jack abat les uns après les autres les hommes de main de Kingsley, puis met Sherry à l’abri. Trahi, une nouvelle fois, par son coeur, il va se faire assassiner par Kingsley juste au moment où la section d’intervention de la CTU arrive. Kingsley est abattu, Jack est vivant.
Prescott et le cabinet gouvernemental reconnaissent leur erreur : Palmer retrouve sa place de Président des Etats-Unis. Le Président Palmer conserve finalement l’intégralité de son cabinet mais vire Mike. Kate et Kim sont venues à la rencontre de Jack, la grande réconciliation a lieu. L’homme au-dessus de Kingsley décide de sortir sa dernière carte...
le Président Palmer donne un grand discours au centre de Los Angeles pour rassurer ses concitoyens. Acclamé, il s’apprête à partir et serre des mains dans la foule, dont celle de Mandy (cf. 24 Day 1). Après quelques instants, le Président s’écroule, le souffle de plus en plus faible. Les 24 heures viennent de se terminer.
La première saison de 24 avait été un très agréable divertissement, sans grande prétention au final, si ce n’est d’impressionner le spectateur par le brio dont faisait preuve ses créateurs, tant au niveau du scénario que de la réalisation. Ils avaient répondu au pari initial (respecter la contrainte du temps réel), mais ils ne nous avaient pas pour autant convaincu de la viabilité de poursuivre une telle aventure ; on se demandait bien ce que pourrait nous offrir un deuxième jour que nous n’aurions pas eu dans ces 24 premiers épisodes. Or, avec cette deuxième saison, Surnow et Cochran semblent avoir pleinement saisi le potentiel, grandement insoupçonné, de leur show et ont décidé de l’exploiter jusqu’au bout !
De quoi s’agit-il ? D’un polar, tout simplement. Mais pas de n’importe quel polar ; dans la lignée de Manchette et d’Ellroy, 24 dévoile les arcanes d’un pouvoir fantasmé pour mieux revenir sur quelques moments clefs de notre histoire...
Dallas, 12h30
Après ce dernier épisode, il paraît maintenant évident que 24 Day 2 correspond à une réinterprétation de l’assassinat de John Fitzgerald Kennedy le 22 novembre 1963 à Dallas. J’avais déjà évoqué cette théorie dans une review précédente en faisant le parallèle avec American Tabloïd (roman de James Ellroy), la filiation crève aujourd’hui les yeux.
A l’instar d’American Tabloïd, on suit de l’intérieur le processus qui va amener quelques forces obscures à décider de la mort d’un Président des Etats-Unis.
Chacun sait qu’en 1963, Kennedy songeait sérieusement à interrompre la guerre du Viêt-Nam (qu’il avait pourtant lui-même lancée), au grand désespoir des stratèges du Pentagone. Ce même JFK était celui qui avait refusé une nouvelle tentative d’invasion de Cuba à la suite du désastre de la Baie des Cochons, alors même que des investisseurs économiques avaient déjà prévu de s’emparer de l’île à la suite de Castro (investisseurs très liés à la mafia, donc de l’ombre). Un conglomérat militaro-économique était donc réuni contre Kennedy et a, semble-t-il, été à l’origine de son assassinat (c’est du moins la thèse d’Ellroy et de nombreuses autres personnes , et sans doute pas la moins improbable).
Dans ce deuxième jour de 24, on assiste à une distribution des forces assez similaires. David Palmer est un président droit dans ses bottes, qui n’hésite pas à s’opposer à la forte pression des faucons du Pentagone et qui doit faire face aux intérêts économiques majeurs découlant d’une guerre au Moyen-Orient (première réserve pétrolifère mondiale). La fermeté dont faire preuve le Président Palmer, sa volonté d’en référer au peuple en priorité le place dans la droite ligne de JFK, le président avec lequel l’Amérique a perdu son pucelage. Le reste est une histoire de scénaristes et de talent. Et 24 ne manque ni de scénaristes, ni de talent. On se régale donc à voir la série pointer du doigt des faiblesses de la constitution américaine (le 25ème amendement) ou encore décrire à quel point la démocratie peut jouer au contorsionniste pour préserver sa liberté (Nina et son permis de tuer).
Si l’on veut bien admettre ma théorie que l’assassinat de Palmer (tentative ?) est un retour sur l’assassinat de Kennedy, on peut en revanche me demander à quoi sert Jack Bauer dans cette galère.
Encore une fois, je me référerai à American Tabloïd où l’on ne suit pas Kennedy au jour le jour mais d’obscurs travailleurs de l’ombre, agents de la CIA ou du FBI. Leurs rôles sont finalement assez similaires à celui de Jack dans 24, à savoir être des anti-héros que l’on puisse suivre jusqu’au bout du récit, sans avoir envie de refermer le livre (ou, pour 24, de zapper sur une chaîne concurrente). Car je le répète, Jack est un salaud. Superbe, couillu, charismatique, cool, mais un salaud quand même. C’est l’homme par lequel on peut voir toutes les saloperies qui s’effectuent pour mettre en œuvre la vision du Président (ou de ses conseillers). C’est grâce à lui que les scénaristes peuvent nous montrer la face cachée du pouvoir. Bref, Jack est notre regard (fantasmé, on aimerait avoir son tempérament) dans une situation qui le dépasse largement par ses enjeux. Ajoutons à cela que l’on peut aussi y voir la continuité du héros solitaire et invincible si cher à Hollywood et on pourra dire que le personnage de The Kief’ se révèle indispensable dans cette tragédie.
New York, 08h48
La question se pose maintenant de savoir pourquoi les créateurs de 24 ont décidé de nous rappeler l’assassinat de Kennedy. La probable réponse a pour nom un autre événement tragique et fondateur : le 11 septembre 2001.
Ce jour-là, l’Amérique est sous le choc et va connaître un incroyable sursaut patriotique (s’il était seulement besoin que les USA connaissent un tel sursaut…). Cochran et Surnow apportent leur pierre à cet élan national, en donnant leur idée des mythes fondateurs des Etats-Unis. Ils interrogent cette Amérique innocente en la confrontant à ses propres contradictions.
Première d’entre elles : la figure présidentielle qu’ils nous offrent à voir est immaculée, populaire, porteuse d’espoir… et termine assassinée. C’est, hélas, une des mythes bien ancrés dans l’histoire américaine : Lincoln et Kennedy en ont fait les frais, il semblait inévitable que Palmer en soit également (déjà le premier jour tournait autour de cette idée forte). Ce qui marque ici, c’est d’ailleurs la simplicité des trois assassinats (deux fois à bout portant, une fois lors d’un défilé anodin). La première saison nous avait plongé pendant 24 épisodes dans des tentatives de meurtre très compliquées ; là, une poignée de secondes suffit (à noter que deux autres président américains ont été assassinés mais ils n’emportaient pas l’espoir d’un peuple avec eux, l’Histoire oublie souvent de pauvres malheureux…).
La raison de son assassinat est tout aussi porteuse de sens : la défense d’intérêts obscurs par des personnes peu inquiètes du devenir du peuple américain. On l’a vu avec Ellroy ou Oliver Stone puis avec les X-Files, la thèse fait toujours recette. Le complot gouvernemental est également un mythe américain, les progrès technologiques et la conjoncture actuelle permettent aux producteurs de nous le faire toucher du doigt (il ne faut pas oublier le scandale financier Enron qui a eu lieu entre le 11 septembre et la Seconde Guerre du Golfe, cette affaire joue un rôle important dans la tête des Américains aujourd’hui, alors même que Bush Jr. y a protégé quelques uns de ses proches !).
Enfin, il y a l’idée de l’inviolabilité des USA. Pearl Harbor appartenait peut être aux Etats-Unis, mais ce n’était finalement pas en Amérique. L’attaque du 11 septembre, quoique exceptionnelle, montre qu’un mythe s’est effondré : les Etats-Unis peuvent être attaqués sur leur propre sol. Pour cette raison, on a vu cette saison une bombe nucléaire exploser en plein désert du Nevada. Il paraît évident qu’une telle scène n’aurait pas été écrite avant l’effondrement du World Trade Center : surréaliste, inimaginable ! Là, non seulement cela ne paraît pas impossible mais le scénario nous semble probable.
Les peurs américaines sont donc exploitées afin de donner à cette deuxième saison de 24 valeur de manifeste politique. Le discours des scénaristes n’est sûrement pas exempt de reproche, ni de facilité, mais on doit convenir qu’il a le grand mérite d’être mature en osant démystifier quelques figures tutélaires de l’imaginaire américain et en offrant un regard critique sur la situation actuelle. Car, comme je l’ai souligné tout au long de mes reviews, on retrouve de nombreuses charges contre la politique américaine de Bush tout au long des épisodes, il est rare que l’on se complaise dans une justification des symboles du pouvoir (pas plus que l’on ne tombe dans un " Tous pourris ! " bien peu constructif).
Bref, ce second jour de 24 est parfois énorme, ce qui veut dire avec beaucoup de défauts et autant de qualités, et c’est comme cela qu’il faut accepter de le regarder. Ne nous attendons pas à y voir une représentation concrète de la réalité, mais plutôt à regarder une parabole sur nos fantasmes concernant les hommes de pouvoir. 24 est définitivement une recherche de l’innocence perdue de l’Amérique.
La nostalgie de masse fait chavirer les têtes et les cœurs par son apologie d’un passé excitant qui n’a jamais existé. James Ellroy