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Total Recall 2070
Total Recall 2070
dimanche 13 novembre 2005, par
A l’heure où l’on élève chaque nouvelle série au rang de série culte dès qu’elle a une once de succès, revenons sur celles qui n’ont duré qu’un temps, une seule et unique saison, celles qui n’ont pas su conquérir les dirigeants des networks ou une partie du grand public malgré des qualités indéniables. Découvrez les séries aux inédits perdus.
C’était quoi ?
Série diffusée sur la chaîne Showtime (sur le câble américain donc) du 05/01/1999 au 08/06/1999, et en France pour la première fois du 04/09/1999 au 20/02/2002 sur Série Club. Elle est actuellement en rediffusion sur Europe 2 TV. Créée par Art Monterastelli (qui avait créé l’année d’avant Timecop et qui fut l’un des scénaristes de Nowhere Man), Total Recall 2070 est un mix hybride entre le film Total Recall, du génial Paul Verhoeven, et Blade Runner, le chef-d’oeuvre de Ridley Scott, dont l’ambiance et les décors notamment (cette grande cité multi-ethnique aux bâtiments gigantesques) sont d’une influence évidente sur la forme. Plus généralement, c’est une sorte de melting-pot regroupant la plupart des thèmes de prédilection de Phillip K. Dick, le célèbre auteur de romans de science-fiction.
Le postulat de départ est le suivant : le monde est dans un état de chaos total après avoir subi les conséquences de la pollution et du nucléaire, ce qui a eu des répercussions écologiques dramatiques et des conséquences politiques dévastatrices puisque les gouvernements nationaux ont disparu. Malgré ce coup de semonce, la marche en avant de la technologie n’a pas pour autant été freinée, au contraire même : dans ce contexte propice, les puissantes corporations ont tenté d’occuper la place vacante en formant une alliance, le Consortium, et en créant l’IPC, devant servir de nouveau gouvernement. Mais l’IPC va trouver son indépendance et va à son tour créer deux divisions d’une nouvelle police : la Division Générale des Services (dont fait partie l’un des personnages, le Lieutenant Calley, joué par Matthew Bennett) et le CPB (Bureau de Protection des Citoyens), dirigé par Martin Erenthal (Michael Anthony Rawlins), dans le but de lutter contre le Consortium.
Tout au long des 22 épisodes, nous suivons un membre du CPB nommé David Hume et joué par Michael Easton, que ce soit dans ses enquêtes qui le voient flanqué d’un partenaire androïde (Farve, interprété par Karl Pruner) ou dans sa vie quotidienne où sa relation avec sa femme Olivia (Cynthia Preston) n’est pas facile tous les jours.
Et c’était bien ?
On peut même aller jusqu’à dire que c’était très bien sans trop se mouiller, puisque les intentions ambitieuses de Monterastelli en voulant regrouper les trames de Blade Runner et Total Recall sont mises en application avec maîtrise et brio. Cette unique saison est cohérente de bout en bout (l’épisode 18, Assessment, en est la meilleure preuve : à l’aide de plusieurs flashbacks, il permet au téléspectateur de se remémorer divers éléments disséminés ici et là et de se rendre compte que tout se tient) : les scénaristes tirent parti au mieux du format pour développer des thèmes et des arcs sur la longueur - ce qui n’est évidemment pas possible dans un film où tout est concentré en peu de temps - et le final est une très bonne conclusion. Enfin, tout ça, c’est sous réserve d’être un grand amateur de pure science-fiction. Celle qui possède des intrigues compliquées, qui s’interroge sur l’influence de la technologie sur notre civilisation dans le futur, qui se penche sur les problèmes liés à des machines conscientes, etc...
Les intrigues compliquées, ce sont les deux trames de Blade Runner et de Total Recall qui se mélangent. Monterastelli à allié avec intelligence le thème des androïdes pouvant être doués de conscience si on leur implante des souvenirs humains de l’un avec les manipulations de ceux-ci grâce aux implants mémoriels de la société Rekall de l’autre. Cette même société se retrouve d’ailleurs dans la série, et se dresse bien souvent sur la route du CPB car elle est impliquée dans presque toutes les affaires louches. Cette intrigue aux ramifications nombreuses et complexes est totalement maîtrisée et bénéficie d’un développement continu tout au long de la saison au gré des enquêtes de Hume et Farve. Ce dernier est d’ailleurs complètement intégré à ce développement puisque son statut d’androïde de classe alpha dont personne ne connaît les origines intrigue et suscite bien des intérêts. Car le thème principal est avant tout de savoir si les androïdes peuvent être considérés comme humains ou non. Mais cela ne s’arrête pas là : à côté de cela, les enquêtes plus « classiques » abordent des thèmes intéressants qui évoquent dans le même temps une société pervertie par la technologie et dont la pollution a des effets inquiétants. Manipulations génétiques qui englobent une quantité industrielle de domaines différents, mutations, réalité virtuelle et télépathie sont entre autre au programme. Et le plus souvent, c’est très bien traité. Et les enquêtes tiennent très bien la route.
L’aspect policier est une autre des composantes qui caractérise la série. Les enquêtes sont crédibles - d’autant plus que le côté scientifique est intégré grâce à la présence d’Olan qui assure aussi bien les autopsies que les recherches dans le domaine de la génétique ou de la cybernétique - et possèdent un développement cohérent. De même, la panoplie des méthodes employées pour obtenir des renseignements est assez diversifiée : entretiens avec les personnes liées à l’affaire de près ou de loin, recherches informatiques, interrogatoires au QG du CPB, voire même le passage à tabac de petits malfrats par Hume qui n’hésite pas à faire preuve de violence pour leur soutirer quelques informations. Et puis c’est aussi ce qui permet d’aborder tous les thèmes décrits, puisque le CPB a justement pour fonction de protéger la population contre tout ceci.
Qualité d’écriture, maîtrise des intrigues, univers riche et bien retranscrit (à l’instar de Blade Runner, il n’y a aucune couleur vive, tout se passe de nuit ou sous la lumière artificielle d’ampoules ou de néons, il pleut souvent, et les grands bâtiments imposants achèvent de rendre l’ambiance étouffante), il ne manque plus que des personnages réussis. Ce qui est le cas. Calley a beau être vicieux et indigne de confiance, il n’en veut pas moins la même chose que Hume : mettre fin au règne du Consortium. Olan est plus qu’une simple scientifique, elle est aussi l’amie de David et de sa femme Olivia et se retrouvera au coeur de la tourmente en fin de saison. Erenthal est placide, froid et ne laisse pas passer beaucoup d’émotions mais il dirige sa division d’une main de fer, avec justesse et intelligence puisqu’il fait preuve d’une diplomatie infinie envers les membres des corporations contre lesquelles il lutte ; mais surtout il soutient Hume à 100% et est toujours prêt à l’aider. Olivia a vu son père tué par un androïde mais travaille à Uber Braun, la société qui les produit, et tout cela provoque quelques conflits avec David. Elle va ensuite elle aussi se retrouver au centre des intrigues. Tous ont leur utilité, et ont une psychologie travaillée, ainsi qu’un développement remarquable qui prend en compte tous les événements qui se produisent. Mais le traitement qui est réservé aux deux plus importants personnages est encore plus réussi.
En passant son temps aux côtés de David, Farve va apprendre à connaître les humains, à comprendre comment ils « fonctionnent ». Mais il va également tisser des liens forts avec son coéquipier, à qui il va finir par réellement tenir. Leur relation est un des points d’ancrage de la série (cette série gère d’ailleurs très bien les interactions, que ce soit entre David et Erenthal, David et Olivia, etc...), et c’est un drôle de paradoxe en ce qui concerne Hume puisqu’il hait les androïdes, responsables de la mort de son partenaire. Si Farve est un personnage intéressant auquel on finit par s’attacher en oubliant complètement qu’il s’agit d’une machine (une remarque d’Erenthal est d’ailleurs très juste à ce sujet : « Je sais que c’est dur pour nous tous, mais rappelle toi qu’à la fin de la journée, c’est toujours une machine » ; il s’adresse à David mais on sent pointer le scénariste derrière qui interpelle le téléspectateur) et qu’il est au centre de ce qu’on appellera par défaut la mythologie avec sa quête pour retrouver son créateur, c’est néanmoins David Hume qui est le personnage principal de la série. A force de se retrouver confronté à tant de perversions, de côtoyer des gens qui manipulent la réalité, les souvenirs, il finit par douter. De tout. Pourquoi ce monde est-il si injuste ? Qui croire ? Que croire ? Et ces doutes influent forcément sur son comportement, qui devient plus imprévisible. Mais ces doutes sont aussi l’essence même de l’humanité... Et dans un monde tel que le sien, cela n’a pas de prix.
Total Recall 2070 est donc une série intelligente, qui traite de sujets sérieux tout en possédant des épisodes intéressants voire passionnant et bénéficiant de très bons personnages servis par un cast impressionnant, Michael Easton et Karl Pruner en tête. Ca ne fait pas rire, mais ça fait réfléchir. Et c’est pas plus mal comme ça. Le seul reproche que l’on pourrait faire est la réutilisation abusive de certains plans et les images de synthèse pas toujours très réussies ; mais dans la mesure où ce ne sont que des plans intermédiaires qui servent de transitions entre deux scènes et surtout qui permettent de placer l’action, ce n’est pas très dérangeant.
Bah pourquoi c’est fini ?
Parce que Showtime n’a pas voulu continuer l’aventure, tout simplement. Peut-être que c’était trop exigeant intellectuellement, allez savoir.
Et donc ça finit comment ?
Et maintenant ?
Michael Anthony Rawlins a joué dans Blade : Trinity sorti en 2004, Matthew Bennett a fait des apparitions en guest dans la saison 1 de Battlestar Galactica (bientôt sur la LTE), Art Monterastelli a écrit le script du film Rainbow Six annoncé en 2007 et prépare un film pour 2006 en tant que réalisateur, et Michael Easton a joué dans un film qui sortira l’année prochaine. Rien à signaler de particulier pour les autres depuis quelques années.
Liens
http://totalrecall2070.free.fr : Un site français avec résumés et critiques de tous les épisodes, ainsi qu’une présentation de la série et de son univers.
http://www.leflt.com/annuseries/encyclopedie/series.php?series=149 : Le guide Annuséries.
LTE || La Ligue des Téléspectateurs Extraordinaires