Le Prisonnier

-A l’heure où l’on élève chaque nouvelle série au rand de série culte dès qu’elle a une once de succès, revenons sur celles qui n’ont duré qu’un temps, une seule et unique saison, celles qui n’ont pas su conquérir les dirigeants des networks ou une partie du grand public malgré des qualités indéniables. Découvrez les séries aux inédits perdus ?-

C’était quoi ?
The Prisonner/Le Prisonnier
17 épisodes diffusée du 22 Septembre 1967 au 2 Février 1968, en syndication sur le réseau ITV en Grande-Bretagne ; en France du 18 Février 1968 au 12 Mai 1968 pour 14 des 17 épisodes (dont le dernier), le 7 mars 1984 sur TF1 pour l ?avant-dernier épisode, et du 8 au 15 avril 1991 sur M6 pour les 2 épisodes encore inédits !
Créée et produite par Patrick McGoohan, acteur qui connut la célébrité grâce à la série dont il fut la star précédemment : Destination Danger (Danger Man).
Le générique mythique de la série montre un homme à bord de sa Lotus immatriculée KAR 120C, McGoohan, qui se rend à tombeau ouvert dans les locaux d ?un service pour le moins secret (le bureau se trouve en sous-sol). Il y remet sa lettre de démission, dont le motif reste inconnu puis repart chez lui où il s’empare de sa valise et d’un billet d’avion. C’est à ce moment qu’un homme habillé en croque-mort introduit un gaz soporifique par la serrure de la porte d’entrée. Notre agent se réveille apparemment chez lui : il va à la fenêtre et au lieu d’apercevoir les habituels buildings londoniens, il découvre Le Village... (et accessoirement le titre de l’épisode de la semaine). S’en suit le dialogue mythique entre le Prisonnier et un personnage mystérieux, différent à chaque épisode :
" - Où suis-je ?

 Au Village.

 Qu’est-ce que vous voulez ?

 Des renseignements.

 Dans quel camp êtes-vous ?

 Vous en demandez trop. Nous voulons des renseignements. Des renseignements. Des renseignements !

 Je ne dirai rien.

 De gré ou de force vous parlerez !

 Qui êtes-vous ?

 Le nouveau N°2.

 Qui est le N°1 ?

 Vous êtes le N°6 .

 Je ne suis pas un numéro ! Je suis un homme libre !

 Ah ah ah ah ...! "
Durant 17 épisodes, le Prisonnier affublé du N°6, car personne au Village n’est appelé par son nom, tentera de s’évader du Village tandis que ses chefs successifs, les différents N°2, auront pour tâche de découvrir pourquoi le N°6 a démissionné, chose que ni eux ni le téléspectateur n’apprendront jamais.

Et c’était bien ?
Quelle question ?! Tout y est, des acteurs impeccables, McGoohan en tête, à l ?imagerie inégalée (le village bien réel de Portmeirion au Pays de Galles avec son patchwork expérimentale d ?architecture) en passant par la musique (à la frontière du psychédélisme et de la pop) jusqu ?au mythique Rôdeur (un simple ballon blanc qui est pourtant le redoutable gardien du Village).
Au delà de cette forme déjà audacieuse, la série traite de thèmes assez novateurs pour l ?époque mais toujours aussi pertinents aujourd ?hui : car ce qui ne pouvait paraître aux fils des premiers épisodes que comme une simple intrigue d ?espionnage sur fond de Guerre Froide s ?est très vite révélée être quelque chose de plus profond. Pas besoin de sortir de la cuisine à Jupiter pour comprendre que le Village c ?est le monde, un monde où tout le monde se doit d ?être joyeux mais obéissant, où la surveillance vidéo est omniprésente et les loisirs organisés par les autorités supérieures ? un monde où les individus sont littéralement réduits à l ?état de numéro ! Et pire (ou encore plus pertinent, c ?est à vous de voir) : la plupart des prisonniers sont tout à fait conscients de leur état mais se sont résignés depuis longtemps à accepter la situation. Que sont la décence, l ?estime de soi, la loyauté et les convictions morales ou politiques quand on est nourris et logés ? après tout, que demander de plus ?!
McGoohan instille dans les foyers une leçon d ?individualisme lucide et forcément nihiliste, contemporain du Taylor incarné par Charlton Heston dans La Planètes des Singes de Franklin J.Schaffner et préfigurant des figures du cinéma de genre telles que Snake Plisken (Kurt Russel dans New York 1997 de John Carpenter) ou Mad Max.

Bah pourquoi c’est fini ?
A votre avis ? Audience insuffisante bien sur ! Le 16e épisode avait été écrit pour être le dernier épisode de la première saison et se terminait donc un cliffhanger. Ce n ?est qu ?après son tournage que McGoohan apprit que sa série ne connaîtrait pas de deuxième saison. Il réussit néanmoins à négocier la production d ?un épisode de conclusion, qui fait suite directe au 16e.

Et donc ça finit comment ?
Dans ces 2 derniers épisodes, Il Etait une Fois... (Once upon a time ?) et Le Dénouement (Fall Out), après un duel psychologique avec le N°2 (Leo McKern) et diverses scènes de pure folie créatrice (difficilement résumables ici) de la part de McGoohan, qui réalise et écrit ce final, le N°6 rencontre enfin le N°1, porteur d’un masque blanc sous lequel il porte un masque de singe. Le N°6 lui arrache ce dernier masque et découvre... son visage ! Ce N°1 ne fera que rire hystériquement avant de disparaître dans les étages d’une fusée. La panique se déclenche alors parmi les habitants du Village après la mise à feu cette fusée. Le N°6 quitte le Village avec le N°2, ressuscité après le duel qu’il avait perdu et se rendra au Parlement, avec le N°48 (Alexis Kanner) un anarchiste condamné à mort par les autorités du Village, et avec le Serviteur Nain (Angelot Muscat) qui suit le N°6 jusque chez lui à Londres. L’épisode s’achève sur le début du générique de début de la série : un homme dans sa Lotus...
On peut y voir en vrac et dans le désordre : l ?enfermement physique comme métaphore de l ?aliénation mentale, l ?éternelle répétition de la vie, les faux espoirs de révolutions récupérés par un système cynique qui n ?aboutit qu ?à de nouvelles dictatures ? et, pour les plus grincheux, un foutage de gueule monstrueux !
Ce scénario complètement fou fut incompris à l’époque et le reste. McGoohan reconnaît d’ailleurs que c’était plus ou moins fait exprès : « Quand j’ai écrit le dernier épisode de la série, tout le monde pensait que j’étais fou. Et effectivement, je l’étais ! Bonne chose, d’ailleurs, délibérée ! Quand les trois autres scénaristes m’ont apporté leur script, je l’ai détesté : il était très, très facile à comprendre. Je voulais quelque chose de plus oblique [il l’a dit en français]. Toujours oblique... Du coup c’est au public de décider. Chacun son interprétation. Je ne veux pas toujours donner la réponse ; ce que j’avais en tête, c’était un allegorical conundrum. Débrouillez-vous avec ça ! [ Précisons qu’un " conundrum " ( en plus de désigner un vorace consommateur de kiwis !) en anglais est non seulement rare mais c’est aussi une énigme dont la solution est fondée sur des conjectures. Voilà. Vous n’avez plus qu’à noyer ça sous une allégorie...] " (In Premiere n°223, Octobre 1995, interview de J.-Y. Katelan).

Et maintenant ?
Patrick McGoohan écrit depuis plus de 30 ans un scénario pour un film tiré de la série et dont il serait le producteur. L ?une des versions de ce script, écrite durant les années 70, aurait montré la Terre dans un futur proche où le Village se serait étendu à l ?échelle planétaire. Le réalisateur attaché au projet depuis quelques années est malheureusement Simon West, le triste responsable de films aussi catastrophiques que Les Ailes de l ?Enfer, Le Déshonneur d ?Elizabeth Campbell ou Lara Croft-Tomb Raider. McGoohan a également poursuivi sa carrière d ?acteur : il a ironiquement interprété le directeur de la prison face au détenu Clint Eastwood dans L ?Evadé d ?Alcatraz de Don Siegel. Plus récemment, il a joué le rôle du roi Edward I dans Braveheart de Mel Gibson. Après le tournage, McGoohan parlait d ?ailleurs de Gibson pour jouer le rôle du n°6 dans l ?hypothétique film. Enfin, sur ce même film, McGoohan retrouvait comme premier assistant réalisateur ?
David Tomblin (co-producteur de la série mais aussi réalisateur et scénariste de certains épisodes) qui fut entre temps premier assistant réalisateur sur L ?Empire Contre-Attaque, Le Retour du Jedi et les 3 Indiana Jones !!
Le Village est quant à lui apparu dans le dernier épisode de Histoire[s] de la Télévisions : dans le dernier épisode de cette série de Les Nuls, la famille Gilet (interprétée par Lauby, Chabat et Farrugia) finit enfin par se décrocher du poste de télé et ne sort de chez elle que pour s ?apercevoir qu ?elle habite ? LE Village !

Liens
Le site du fan-club français du Prisonnier : www.leprisonnier.net
L ?exhaustif et indispensable « site-s ?ur » officiel de Six of One : The Prisoner Appreciation Society www.retroweb.com/prisoner.html