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Episode 2.08

Une histoire des séries - 4° Partie : Le Second Age d’Or et après...

mardi 11 avril 2006, par Jarod

Toutes les bonnes choses ont une fin, et voici donc le quatrième et dernier volet de cette trilogie consacrée à l’histoire des séries télé. Cette fois-ci le coeur du second âge d’or dans les années 90 et la suite.

Dans les années 90, les trois networks historiques voient arriver de nouveaux concurrents. Dès 1987 c’est la FOX qui entre dans la danse suivie par the WB et UPN en 1995. Ces nouvelles chaînes savent que pour s’imposer elles doivent proposer des séries différentes, s’adressant à un autre public que celui de NBC, ABC, et CBS.
La FOX a bien compris cela, et après avoir bousculé les habitudes en matière d’animation avec les Simpsons et renforcée par le succès de The X Files, elle décide de parler au public féminin.
Pour ce faire, elle confie au scénariste qui monte David E. Kelley le soin de lui créer la série qui séduira les femmes.
Kelley après avoir travaillé sur L.A. Law a lancé sa propre série qui sans être un hit obtiendra un beau succès d’estime : Picket Fences. Avocat de formation il créera The Practice sur ABC série judiciaire sombre et réaliste, et quand la FOX lui passe commande il décide de rester dans le milieu des cabinets d’avocat, mais en choisissant un angle radicalement différent.
Ally McBeal démarre en fanfare surprenant les téléspectateurs par son univers fantasque, délirant, barjo, et les mini-jupes de l’avocate qui donne son nom à la série. La série captivera aussi bien les femmes qui trouvent en l’avocate célibataire et fleur bleue une image (déformée) de leur situation, et aux hommes... pour d’autres raisons.
La série devient une référence, avant de disparaître dans l’indifférence générale comme suite à un essoufflement évident.

Une autre héroïne télévisuelle viendra des nouveaux networks : Buffy. Symbole de l’émergence du girl Power, Buffy contre les vampires (Buffy the vampire slayer) débarque sur la toute jeune WB.
Network clairement orienté vers le public adolescent et jeunes adultes The WB construira sa grille sur des séries aux personnages correspondant à sa cible. CE qui donne le meilleur (Buffy, Angel), mais le plus souvent le pire (Charmed, Smallville).
Buffy correspond parfaitement aux attentes de la chaîne, mais parce qu’il y a derrière cette série un vrai créateur, et un scénariste de talent, BTVS a une profondeur et une richesse narrative que l’on peine à retrouver dans d’autres productions.
Joss Whedon a d’abord imaginé Buffy pour le grand écran. Très déçu, à juste titre, par le résultat, il bataillera pour imposer sa vision de son héroïne sur le petit écran.
Sous les aspects d’une série fantastique pour ado en mal de sensations, Buffy est une réflexion sur l’apprentissage, l’acquisition de la maturité et la difficulté de vivre dans le monde étrange des adultes. Joss Whedon avec Buffy prouve que l’on peut aborder des sujets et grave (voir le superbe The Body) dans une série populaire sans tomber dans les discours pontifiants et moralisateurs.

Si les nouvelles chaînes et les chaînes du câble sont en forme, cela ne veut pas dire que les networks sont à la peine dans les années 90. Pour NBC c’est une période faste au cours de laquelle elle assoie sa position de leader. Outre ER, la série des années 90, NBC s’impose aussi grâce à des sitcoms comme Seinfeld puis Friends.
Seinfeld est la création de Jerry Seinfeld et Larry David, deux comédiens de stand-up. Commandée par NBC, Seinfeld reste dans la forme très traditionnelle, mais détone dans son contenu. Vendue comme “a show about nothing” (une série sur rien), Seinfeld suit 4 amis new-yorkais dans leur quotidien, et les écoute parler. Très dialoguée, très référentielle, Seinfeld arrive à faire rire avec des détails insignifiants, et une grande maîtrise de la narration. Elle peut également laisser froid et être très irritante avec ces personnages tous aussi lâche, égocentrique et névrosé les uns que les autres. Elle sera aux États-Unis un énorme succès, au point que certaines chaînes du câble ont interrompu leurs programmes lors de la diffusion du dernier épisode de la série.
Friends est une sitcom pur jus, dans la lignée de Cheers, qu’elle cite régulièrement. Relatant les aventures de 6 amis new-yorkais d’une vingtaine d’années Friends devient très vite un phénomène culturel, le miroir d’une génération, ainsi que la sitcom la plus drôle de la télévision (dans ces premières saisons). Crée par Kauffman et Crane, le duo à l’origine de Dream On, Friends par sa qualité d’écriture emporte l’adhésion du public à travers le monde, et surtout aux USA où elle assure à NBC des audiences confortables pendant 10 ans.

Dans une autre registre NBC innove avec deux séries policières proche dans l’esprit, mais qui choisissent deux approches formelles différentes : Homicide et Law & Order.

Homicide sous des dehors de série réaliste (elle est adaptée d’un livre documentaire sur la vie des policiers de Baltimore) est une fiction très littéraire. Les enquêteurs de la criminelle passent de nombreuses heures à parler, et pas seulement des crimes qu’ils tentent d’élucider. Cuisine, politique, femmes, sport, tout est sujet à discussion. Pour autant l’aspect policier n’est pas anecdotique comme c’est le cas dans Moonlighting, les flics qui nous sont présentés sont les meilleurs de la ville, ceux qui osent plonger dans la noirceur de l’âme des criminels, et ils n’en sortent pas toujours indemnes. Le réalisme de la série vient de cet aspect. Comme dans ER, toutes proportions gardées, les hommes que nous suivons nous sont présentés sans emphase, ils sont humains avant tout, donc faillibles, donc fragiles.

Dans un genre différent de Homicide, Law & Order se penche aussi sur le crime dans une grande ville, mais en laissant les personnages à la marge.
Aujourd’hui doyenne des drama-serie aux États-Unis, Law & Order doit, pour la première partie de ses épisodes, beaucoup à son aînée Dragnet. Tout d’abord, les scénaristes ne cachent pas qu’ils trouvent leur inspiration dans les faits divers (même s’ils les accommodent pour les faire rentrer dans le cadre dramatisé des épisodes). Le réalisme de la série vient à la fois de son traitement cinématographique quasi documentaire, caméra mobile, grain de l’image “sale”, et surtout tournage dans les rues de New York (alors que des séries comme NYPD Blue ou New York 911(Third Watch) sont tournées à Los Angeles, l’équipe ne se déplaçant que deux à trois fois par an pour tourner dans les rues de Big Apple). Cet aspect réaliste vient également du traitement scénaristique des enquêtes. Elles sont présentées au plus proches de ce qu’elles sont. Lenny Briscoe et ses collègues passent plus de temps à arpenter les trottoirs qu’à courser des suspects en voiture. Ils sortent plus rapidement leur carnet et leur stylo que leur arme. Ce n’est sans doute pas un hasard si les policiers New Yorkais estiment que c’est cette série qui se rapproche le plus de leur travail.
Ces deux séries sont tellement proches dans l’esprit qu’elles connaîtront plusieurs cross over au cours de leurs histoires.

La fin des années 90 va être marquée par l’émergence de HBO. Avec ses séries originales cassant le cadre des séries classiques, épisodes de 60 minutes, saison de 13 épisodes, régularité aléatoire, propos non censurés, liberté de ton...

Après avoir placé les criminels sous les verrous dans Homicide, Tom Fontana s’est demandé ce qu’il se passait. Pour répondre à cette question il crée Oz. tragédie moderne dans un milieu carcéral fantasmatique et pourtant réaliste, Oz réunit estime critique et succès public. Elle est la première grande série de HBO, celle qui va impose le ton. Violente et contestataire, réaliste et fantasmatique, Oz imprime sa marque sur HBO. Les séries de la chaîne ne seront pas comme les autres. Tous les sujets peuvent être abordés, rien n’est tabou, tout est montrable.
Suivant Oz d’autres productions HBO deviendront des succès (plus ou moins important, pus ou moins mérités).
The Sopranos plonge dans l’inconscient d’une famille de mafioso, et devient une des séries les plus acclamées par la critique, même quand la série s’embourbe, que les épisodes tardent à venir, et ne répondent pas à l’attente suscitée.
Bien meilleure, et plus maîtrisé, scénaristiquement Six Feet Under nous raconte la vie d’une famille de croque-mort après la mort du chef de famille. Drôle et profonde, elle offre une vision de la mort loufoque sans être ridicule, profondément pessimiste sans être déprimante.
HBO devient rapidement synonyme de série de prestige et de qualité, qui si elles ne sont pas des succès d’audience du fait de la nature de HBO, influence le paysage sériesque en profondeur.

Au tournant du millénaire, les acteurs “marginaux” prennent une place de plus en plus importante, SciFi, FX, Showtime, USA Network autant de chaînes du câble qui offrent une alternative aux productions habituelles. Elles sont un compromis entre l’exigence (voire l’élitisme) de HBO et le conformisme des networks. Plus libres dans le ton que ces derniers, elles n’ont pas le radicalisme de la première. Les séries qu’elles proposent n’en sont pas moins intéressantes, autant dans le fond que dans la forme.
Que ce soit The Shield qui propose une vision violente et sans concession d’un flic prêt à tout pour enrayer le crime, y compris utiliser les mêmes armes que ceux qu’ils poursuit, Nip/Tuck qui au travers du quotidien d’un cabinet de chirurgie esthétique à Miami explore les rapports familiaux, les dérèglements sexuels et les dysfonctionnements relationnels des deux médecins, Rescue Me, petit bijou du petit écran, qui ose porter un regard critique sur les pompiers de New York, héros déchu du 11 septembre, présenté comme alcooliques, idiots, coureur, mauvais maris, misogynes, et surtout au travers de son anti héros rongé par de nombreux démons et les fantômes de son passé, Battlestar Galactica, remake d’une série de SF des années 70, sublime drama politique dans l’infinité de l’espace, subtile et noire, épique et intime, Dead Like Me, trop courte série sur la vie après la mort, parfaite allégorie sur les difficultés du passage à l’âge adulte sous couvert de fantastique humoristique, les séries du câble sont souvent bien plus audacieuse que les autres, plus excitantes, plus libres. Bref probablement ce qui se fait de mieux à la télé.

En parallèle sur les networks la donne change. NBC cède sa place de leader. La chaîne n’a pas su renouveler sa grille, ses séries phares disparaissent (Friends, Seinfeld) ou vieillissent en suscitant de moins en moins d’intérêt (Urgence, le franchise Law & Order). Elle n’arrive pas à trouver de quoi contrer les nouveaux hits de ses concurrents.
Sur CBS, qui se taille la part du lion dans cette redistribution, c’est CSI (Les Experts) succés surprise qui ouvre la voie pour les productions de Brukheimer. Le producteur de blockbusters cinématographiques il impose sur le petit écran des séries de plus ne plus formaté, rompant avec la continuité narrative pour revenir à des histoires fermée. Décliant son premier succès de manière géographique (CSI:Miami, CSI:NY) sans innovation ni créativité, exploitant un filon tant qu’il rapporte.
ABC tire également son épingle du jeu avec des séries comme Alias, Desperate Housewives, ou Lost qui à défaut d’être révolutionnaire captivent l’auditoire et permettent à la chaine de faire le plein semaine après semaine.

Au même moment

... en Angleterre :
La fiction britannique se révèle de plus ne plus intéressante au cours des années 90 et 2000. Après les années de vaches maigres, des séries de qualité reviennent sur les écrans. Spooks (MI:5) nous plonge dans le monde des agents secrets qui n’a rien à voir avec celui de James Bond, State of Play mini série palpitante prouve que l’on peut faire de bonnes séries sans flic ou médecins, mais avec des journalistes enquêtant sur un scandale policier. Preuve de ce regain le retour d’une figure mythique de la télé britannique le Docteur Who dans une nouvelle série, remodelé sans trahir le monument sériesque qu’est Dr Who.

...en France :
Navarro, Julie Lescaut, L’Instit règnent toujours sur le paysage sériesque français. Pourtant, l’explosion des séries US sur les écrans hexagonaux pousse les patrons de chaînes à faire évoluer les formats. Mais il ne suffit pas de copier la copie de CSI pour faire de RIS une série de qualité. Il ne suffit pas d’avoir vu State of Play pour arriver à faire de Engrenages un suspense captivant. Heureusement, quelques fictions unitaires sortent du lot. Du côté de Canal + les téléfilms historiques (93 rue Laursirton, Nuit Noire, SAC, Le Rainbow Warior) apportent une vraie différence, et surtout un vrai regard sur les événements décrits. Il nous a été donné à voir sur France 2 le superbe Un Amour à Taire, fiction tranchant avec les téléfilms formatés. Pourtant, la route risque d’être longue avant de voir le PAF changer ses habitudes.


Cette série de chroniques doit beaucoup, surtout pour son découpage, à l’opuscule Séries télé, de Zorro à Friends, 60 ans de téléfictions américaines, Marin Winckler, Librio 2005. D’autres ouvrages déjà cités dans mes chroniques m’ont aidé comme Les Grandes Séries Américaines, Huitième Art, où Le Guide Totem des Séries Télé.