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Episode 2.09
Séries et politique
dimanche 14 mai 2006, par
Les séries sont des miroirs de notre monde. Elles nous renvoient des images plus ou moins déformées de nos réalités. Jusque là je n’invente rien, je ne fais que reprendre les idées de MW. Pour le dernier diptyque de chroniques du M(M)DS avant cessation des activités je vais me pencher sur deux images que nous renvoient les séries. Le mois prochain je traiterais de l’Histoire, et dans cette chronique je m’attacherais à mettre en avant la façon dont la politique peut être montrée.
Les coulisses du pouvoir
Quand l’on pense au lien entre série et politique le premier titre qui vient à l’esprit est The West Wing (A la Maison Blanche). La série crée par Aaron Sorkin nous fait rentrer dans l’un des plus hauts lieux de la démocratie US, le siège de l’exécutif, le symbole du pouvoir : La Maison Blanche. Mais ce n’est pas le politique en tant que nous découvrons, mais les rapports entre ceux qui font fonctionner l’aile ouest de la Maison-Blanche. Quand nous rentrons dans le bâtiment, il n’est pas sacralisé. Nous ne découvrons pas immédiatement le bureau ovale, bureau présidentiel, mais les couloirs encombrés de collaborateurs au travail, les bureaux croulants sous les dossiers. De même, la première “affaire” que va devoir gérer la garde rapprochée du président n’est pas une crise internationale, ni même un problème économique national, mais l’accident mineur qu’a eu le président en VTT.
Nous ne sommes pas devant une série qui se veut didactique et pontifiante, TWW est une série qui filme le pouvoir à hauteur d’homme. Les principaux collaborateurs du Président Bartlett nous sont présentés comme des hommes et des femmes ordinaires, avec leurs soucis, leurs défauts, leurs doutes. La grande force des premières saisons de la série tient dans ce parti pris. Ce qui importe ce sont les relations des différents personnages, leurs réactions face aux situations, et pas les grands sujets qui peuvent être abordés. Certes il est question de crise internationale, de questions de société, de conflits politiques, mais ils ne sont que la toile de fond de la comédie humaine qui se déroule dans les couloirs de l’aile ouest. Pour autant, ces sujets ne sont pas traités avec désinvolture. Lors de la première saison une crise en l’Inde et le Pakistan nous est présenté sans caricature, de façon documentée, et pourtant jamais assommante. C’est l’autre qualité de la série. À chaque fois que les scénaristes (ou plus exactement le scénariste Aaron Sorkin étant quasiment le seul auteur des premières saisons) utilisent un élément “réel” (crise internationale, nomination d’un juge à la Cour suprême, négociation pour faire passer une loi...) il est traité de façon réaliste, et permet au téléspectateur de découvrir, d’apprendre.
Après le départ de Aaron Sorkin TWW se cherchera. L’alchimie des premières saisons semble avoir disparu et la série sans être franchement mauvaise n’a plus le même attrait. Lors des deux dernières saisons, elle retrouvera un second souffle en nous faisant rentrer dans les coulisses d’une campagne présidentielle, d’abord les primaires, puis la campagne en elle-même. TWW devient une passionnante plongée dans l’autre aspect de la politique, celle des conseillers en communication, des spin doctors et autre expert en science électorale.
Une autre série nous fit pénétrer dans les coulisses du pouvoir à Washington : K Street. produite par Steven Soberberg elle avait pour ambition de nous dévoiler l’envers du décor du monde politique en prenant pour angle le monde des lobbyistes qui officie dans la capitale US. L’originalité de la série vient du mélange entre réalité et fiction. Les acteurs de la série pouvaient croiser les vrais acteurs du monde politique. Malgrés des intentions louables, et un dispositif propice aux révélations (la série est largement improvisée) K Street peine à captiver. Trop brouillonne, la frontière entre fiction et réalité est trop floue, trop référentielle, K Street ne restera que peu de temps sur l’antenne de HBO.
Parce que l’on peut rire de tout, il est normal que la politique et les hommes qui l’animent deviennent le sujet de sitcom. La plus connue est Spin City, image renversée de The West Wing, elle nous dévoile les coulisses de la mairie de New York, dont le premier magistrat est un benêt incompétent qui ne doit sa survie à son poste qu’aux talents de son premier adjoint, qui à lui fort à faire avec son équipe de crétins congénitaux, d’obsédés sexuels et autres incapables. Spin City doit beaucoup à Michael J. Fox dont l’énergie et le talent comique donnent le rythme à la série. Le reste du casting se défend très bien, avec une mention spéciale à Barry Bostwick, rescape du Rocky Horror Picture Show, qui campe un maire de New York hilarant de bêtise. Spin City n’arrivera pas à confirmer le succès de sa première saison, et le départ de Michael J. Fox à la fin de la 4° saison pour raison de santé accentuera le déclin.
Outre Manche aussi la politique sert de prétexte au rire, mais celui-ci est beaucoup plus acide, beaucoup plus critique. The New Statesman nous propose de suivre l’ascension politique de Alan B’Stard, arriviste sans scrupule, plus thatchérisme que Thatcher, dans le monde politique anglais. Sitcom ravageuse et ravagée, elle dépeint le monde politique comme un univers encore plus impitoyable que celui de Dallas, où l’on est soit un crétin fini, soit un ignoble profiteur.
The New Statesman est un exemple de ce que les Britanniques peuvent faire quand ils s’attaquent au monde politique, si la sitcom utilise le rire pour enfoncer le clou, State of Play y va de façon plus directe. Sous l’apparence d’une enquête journalistique sur un double meurtre State of Play rentre dans les rouages de la corruption, du lobbysme, et manipulation dans les plus hautes sphères du pouvoir. La série démonte avec talent et sans jamais être pesante ou démonstrative le fonctionnement d’un monde où la vie humaine n’a d’importance que tant qu’elle peut rapporter des voix ou des crédits.
La vie dans la cité... et ailleurs
Les séries politiques ne sont pas seulement celles qui mettent en scène des hommes politiques, ou qui nous conduisent à découvrir l’envers du décor. Les séries US ont une capacité à interroger le réel, à critiquer la société, à digérer l’histoire récente pour fabriquer de la fiction intelligente. Il ne s’agit pas forcément de proposer une vision partisane ou d’imposer un point de vue, mais de créer la réflexion chez le téléspectateur.
Les séries judiciaires, par exemple, se penchent sur l’esprit de la loi. La plupart, sinon toutes, les séries de ce genre ont un épisode tournant autour de la peine de mort. Chacune avance ses arguments pour ou contre, et tente de faire réfléchir, ou de convaincre le téléspectateur.
Avec Law & Order nous rentrons dans quelque chose de légèrement différent. Depuis le début cette série qui tire ses histoires des gros titres attaque les pouvoirs en place, questionne la société, pousse les lois jusque dans leurs limites. La grande qualité de L&O est de proposer une réflexion au téléspectateur. Chaque personnage apporte un point de vue sur l’affaire en cours. Et chacun peut avoir raison. Les points de vues s’affrontent, avec subtilité, et à la fin de l’épisode la réflexion continue. En un mot une série citoyenne.
La critique politique va parfois se nicher dans des séries que l’on ne peut qualifier de subtiles. Ainsi 24 dont la saison 1, certes divertissante, mais peu profonde, ne laissait présager une saison 2 au discours politique critique. En relatant la manipulation de l’opinion et des instances gouvernementales pour déclencher une guerre contre un pays du Moyen-Orient, 24 nous livre en temps réel une critique de l’administration Bush et de sa campagne de propagande pour imposer la guerre contre l’Irak. Dans cette saison les épisodes les plus captivants ne sont pas ceux avec poursuite en voiture, séance de torture et explosions nucléaires, mais ceux en huis clos où le président tente de conserver son poste contre les faucons de son propre cabinet.
Tout comme le polar qui pose un regard interrogateur sur la société, la SF se permet de proposer des allégories, des interprétations et une critique du monde moderne qui dans les meilleures d’entre elles constituent un vrai discours politique.
Dans les années 60 Star Trek est une série éminemment politique. La vision utopique du futur élaborée par Gene Roddenberry lui permet de porter un regard critique sur son époque. Le discours de Star Trek malgré quelques critiques, reste très positif, reflet de l’optimisme de l’époque, si l’on y trouve une représentation de la guerre froide dans le conflit larvé entre la Fédération et L’Empire Klingon, le pacifisme est de mise, et les problèmes de l’époque sont présentés comme étant surmontables.
Par la suite ST : The Next Generation poursuivra cette voie en y introduisant un soupçon de noirceur (avec les Borgs) mais les thèmes trekien sont toujours au centre des scénarii, racisme, place de l’autre, religion homosexualité... mais le traitement devient moins optimiste et plus réaliste.
ST : Deep Space Nine reste la série la plus politique du trekverse. En poussant l’utopie roddenberriene dans ses retranchements, elle interroge plus que ses aînées notre monde. Les conflits armés, les occupations militaires, les fanatismes religieux que l’on peut voir dans DS9 sont les reflets de ceux que nous connaissons. La noirceur de DS9 n’est que la traduction de la noirceur de notre monde.
Aujourd’hui Battlestar Galactica réussi le tour de force de mener histoire de SF solide et passionnante à un discours politique tout aussi captivant. Série de SF “réaliste” BG ne se contente pas d’aligner combats spatiaux pour flatter les bas instincts du public, mais s’interroge aussi sur la légitimité d’un président non élu, la place des militaires dans un gouvernement, ou de leur légitimité à jouer les forces de maintien de l’ordre, la place du choix à l’avortement dans une société à reconstruire, le droit de manipuler les élections pour le “bien” des électeurs, mais aussi la place du religieux, et quelques thèmes trekien comme le racisme ou la question de l’identité.
Que ce soit de façon sérieuse, humoristique, directe, critique, allégorique, la politique dans son sens le plus large occupe les séries US et Britanniques de façon beaucoup plus importante que les séries hexagonales. En s’autorisant ces traitements elles permettent au téléspectateur de s’interroger, d’apprendre et donc d’être citoyen.
Difficile de dire de même pour le téléspectateur français, dont les séries s’ingénient à laisser le monde réel de cote, à ne jamais construite de discours critique, à ne jamais offrir une réflexion. Et l’on s’interroge encore sur le pourquoi du 21 avril 2002
Prochain et dernier rendez-vous avec Le Monde (Merveilleux) Des Séries, le mois prochain avec Séries et Histoire
LTE || La Ligue des Téléspectateurs Extraordinaires



