DOCTOR WHO - 4.08/09 : Silence in the Library / Forest of the Dead
Beware of spoilers !
Par Sullivan Le Postec • 28 juin 2008
L’annonce, juste avant la diffusion de ce double-épisode, de l’arrivée prochaine de Steven Moffat à la tête de la série pour prendre la succession de Russell T Davies n’a fait que relever le niveau de nos attentes. Comme d’habitude, nous n’avons pas été déçus.

Chaque saison, l’histoire livrée par Steven Moffat pour la série, qu’elle soit en une ou en deux parties, a marqué par sa capacité à dérouter totalement le spectateur, ses scénarios devenant même de plus en plus inattendus et plein de surprises au fil du temps. Des ombres menaçantes, une gigantesque bibliothèque et une petite fille au rôle mystérieux. Voilà les éléments dont on savait qu’ils seraient présents dans cet épisode. Sur cette base, tout était possible. Et, sachant que Moffat était à la barre, surtout le meilleur.

Silence in the Library

Scénario : Steven Moffat ; réalisation : Euros Lyn.
Ayant reçu une étrange demande par le biais du papier psychique, le Docteur amène Donna jusqu’à la Bibliothèque, une sorte de bibliothèque ultime contenant tous les livres de la création. Celle-ci est totalement vide, et elle l’est depuis une centaine d’année : un événement mystérieux a provoqué la disparition des 4022 personnes qui s’y trouvaient. Les systèmes automatisés de la bibliothèque les avertissent de se méfier des ombres. Bientôt, une équipe débarque, menée par l’archéologue River Song, et comprenant également le descendant des bâtisseurs de cette bibliothèque. Il apparaît que River Song est celle qui a fait venir le Docteur sur place : elle le connaît très bien. Mais son message est arrivé trop tôt dans sa ligne temporelle personnelle : lui ne l’a pas encore rencontrée et ne peut faire que des conjonctures sur la nature de leur relation. Le Docteur n’a cependant que peu de temps pour se poser des questions : il doit protéger tout le monde des Vashta Nerada, créatures de l’ombre qui dévorent la chair, et comprendre le rôle d’une mystérieuse petite fille, pour qui la Bibliothèque semble être un monde imaginaire, et qui suit leur parcours. Pour la protéger, le Docteur utilise les systèmes de la Bibliothèque pour téléporter Donna à l’intérieur du Tardis. Mais celle-ci n’y apparaît jamais et se retrouve bientôt intégrée à la base de visages des systèmes automatiques, basés sur des personnes mortes...

Forest of the Dead

Scénario : Steven Moffat ; réalisation : Graeme Harper.
Les morts dévorés par les Vashtas Nerada dans l’équipe menée par River Song s’accumulent, mais le Docteur ignore toujours s’il peut se fier à celle-ci, qui prétend qu’il lui aurait offert un tournevis sonique plus perfectionné que le sien. Elle gagne sa confiance en murmurant un mot à l’oreille.
La mystérieuse petite fille suit sur son écran de télévision à la fois ce qui arrive à l’intérieur de la bibliothèque, mais aussi l’arrivée d’une femme dans une institution psychiatrique : Donna. Elle y est suivi par le même psy que la petite fille elle-même, le docteur Moon. Une vie fantasmée dans laquelle elle se marie et a deux enfants défile au rythme d’ellipses cinématographiques.
Bientôt, le Docteur comprend que c’est par le biais du papier des livres que les Vashtas Nerada, qui vivent habituellement en foret, en sont venus à prendre possession de cette planète. Il s’avère par ailleurs que la petite fille est Cal, plus jeune fille du concepteur de la Bibliothèque, mourante, et dont il a fait le cœur de l’ordinateur central qui gère la Bibliothèque, lui offrant une vie éternelle virtuelle au milieu de tous les livres de la création. Au moment de l’attaque des Vashtas Nerada, Cal a voulu sauver tous les gens présents et a utilisé le système de téléportation pour les sauvegarder dans le disque dur central. Il est possible de les ramener à la vie, mais un sacrifice est nécessaire. Une fois de plus, quelqu’un prend la place du Docteur : River Song, parce que si le Docteur mourrait ici et maintenant, alors ce qui constitue pour elle un passé commun n’existerait jamais. Le contraire signifie que le Docteur a toujours su la manière dont elle allait mourir. Ce qu’elle a murmuré à l’oreille du Docteur, c’est son véritable nom. Un nom qu’à son sens, il ne pourrait révéler qu’en une seule occasion...
Les 4022 usagers disparus de la Bibliothèque, ainsi que Donna, sont ramenés à une vie de chair. Mais un dernier rebondissement survient quand le Docteur réalise qu’il aurait forcément tout fait pour sauver River Song. Effectivement, il a inclus dans son screwdriver un dispositif qui a enregistré sa conscience, qu’il peut sauvegarder pour l’éternité dans l’ordinateur de la Bibliothèque...

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Défi

Commençons la discussion autour de cet épisode par le personnage du Professeur River Song, sans aucun doute l’un de ses éléments les plus mémorable, mais aussi celui qui, de toute évidence, va laisser la trace la plus durable dans la vie de la série.
Steven Moffat s’est toujours intéressé de prêt à ce qu’on pourra appeler les réalités pratiques du Voyage dans le Temps. Déjà, dans « Blink », Le Docteur rencontrait pour la première fois une Sally Sparrow qui, elle, l’avait déjà rencontré. Le personnage de Jack Harkness, introduit par Moffat, est lui aussi depuis le départ défini par les mécaniques complexes qui régissent le Voyage dans le Temps. Mais River Song appartient sans aucun doute à une autre catégorie. Elle représente presque un défi d’écriture que Moffat semble se lancer à lui-même. Nous avons assisté à la quasi-mort d’un futur personnage régulier en guise d’introduction à ce personnage : le début et la fin ont été complètement mélangés. Reste maintenant à écrire cette histoire dont on connaît la fin, mais aussi à mettre en scène les évolutions du Docteur mentionnées par Song : celui qu’elle aime est visiblement un peu différent de celui que nous connaissons.
Cette introduction au personnage de River Song laisse plusieurs possibilités ouvertes, même si l’une d’entre elle semble particulièrement appuyée. En effet, plusieurs séquences sous-entendent assez fortement que les liens futurs entre River Song et le Docteur seront romantiques. Et une cérémonie de mariage peut apparaître comme une occasion dans laquelle on serait ‘‘forcé’’ de révéler à quelqu’un son nom.
Dans le rôle, Alex Kingston participe parfaitement à la création de ce personnage, retrouvant le charisme, la force et l’humour qui étaient les siens dans « Urgences », avant que les auteurs de la série ne réduisent le personnage d’Elisabeth Corday au rang de fantôme sous-employé.

Dialogue

Un autre des éléments marquant de ces deux parties est le dialogue constant qu’ils entretiennent entre la série et les téléspectateurs, au travers d’une profusion de moyens assez étourdissante.
L’intrigue se déroule dans une bibliothèque, ce qui est révélateur de la manière dont elle est aussi une histoire sur la manière de raconter les histoires, et sur la manière de les recevoir. Un détail particulièrement intelligent — et très fidèle au propos global de « Doctor Who » sur la pop-culture depuis sa renaissance — voit Cal, la petite fille à qui on a offert une vie éternelle parmi tous les livres de la création vivre ses histoires... au travers d’un écran de télévision. Pas de conflit entre la « grande » et la « petite » culture dans l’Univers de « Doctor Who ». Devant son écran de télévision, Cal suit les aventures de Donna et du Docteur et comme nous, ou avec nous, est émue, effrayée, passionnée par ce qu’elle découvre. Comme nous, aussi, Cal zappe quand elle s’ennuie ou qu’elle est agacée.
De la même manière, le fait que River Song connaisse le futur du Docteur génère plusieurs discussions sur les ‘‘spoilers’’, une référence méta-textuelle plus qu’assumée. La manière dont est mis en scène le choix du Docteur et de Donna de ne pas se spoiler sur leur futur apparaissant sans le moindre doute comme un ‘‘conseil d’ami’’ d’auteur à fan.

Surprise

La surprise est un élément clef de l’écriture de Steven Moffat. Elle se retrouve à chaque niveau : ses pitchs eux-mêmes sont originaux et déroutant. Mais, plus largement, chaque scène, presque chaque minute comporte sa petite idée originale qui sait prendre le spectateur à contre-pied. « Silence in the Library » s’ouvre sur une séquence pré-générique intrigante qui brouille les cartes de la réalité et de la fiction en faisant apparaître le Docteur et Donna dans ce qui semble être l’univers imaginaire d’une petite fille. Très vite, l’épisode revient à la version de la scène du point de vue des deux personnages principaux, mais amène une autre surprise, puisque le contre-champ n’est pas la petite fille qu’on attendait, mais un dispositif électronique. On pourrait citer aussi les visages informateur (paradoxalement mais brillamment, le ton neutre avec lequel sont délivrés les messages d’horreur des victimes de l’attaque relève la tension), les empreintes de vies des dispositifs neuronaux de communication, la vie fantasmée de Donna et ses transitions sous forme d’ellipses cinématographique (mises en valeur par un montage volontairement maladroit — trop serré), le concept d’ombre dévoreuse, les squelettes en scaphandre...

Dans cette saison marquée par le hasard des rencontres ou non-rencontres, on notera aussi la conclusion amère qui voit Donna persuadée qu’elle a imaginé de toute pièce son mari parfait, échouant à le retrouver par un concours de circonstance.
Comme souvent, le deuxième double-épisode de la saison sert aussi à faire monter les enjeux du final à venir. Souvent, d’ailleurs, certains des moyens de le faire ne sont pas très apparents au premier visionnage. On verra ce qu’il en sera par la suite. Pour l’heure, il est de plus en plus certain qu’un destin particulier attend Donna. Et que, d’une façon ou d’une autre, celui-ci risque d’être un point final.
Voir des personnages s’interposer pour sauver la vie du Docteur ou l’empêcher de se sacrifier a été un élément récurrent de cette saison depuis l’épisode de Noël. Le motif reviendra-t-il en conclusion ?

Dernière mise à jour
le 1er juillet 2011 à 15h05